Valérie Vuille, sentinelle antisexiste
Égalité
Elle dirige DécadréE, association féministe genevoise qui pointe et tente de corriger les dérives sexistes dans la publicité et les médias

«C’est un peu étroit», s’excuse-t-elle en montrant les lieux. Septième étage d’un immeuble de la rue de Carouge. Trois mètres sur trois. Voilà le siège de DécadréE.
L’exiguïté du local tranche avec l’intense activité de cette association féministe genevoise. Sexisme dans la publicité et la communication, représentation faussée dans les médias, écriture inclusive, voilà parmi d’autres les questions que DécadréE soulève. «Nous sommes avant tout des accompagnatrices de changements», affine Valérie Vuille, la directrice. Deux salariées, dont elle, une dizaine de bénévoles à travers la Suisse romande, des femmes mais aussi deux hommes. Elles et ils sont journalistes, psychologues, sociologues, anthropologues, historiens, illustrateurs etc. L’association fondée en 2016 a fait beaucoup parler d’elle en épluchant entre février 2019 et 2020 mille cent vingt contenus journalistiques. Un rapport titré «Traitement médiatique des violences sexistes» a été mis en ligne.
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Conclusion accablante: les médias romands évoquent encore trop les violences tels des faits divers ou des histoires «people» de célébrités, et non des problèmes de société. Des articles continuent à véhiculer des informations participant à la justification des violences. Exemples: l’auteur était sous l’emprise de drogues ou il serait un amoureux éconduit. Des titres demeurent sensationnalistes et le terme de «crime passionnel», qui induirait la notion de circonstance atténuante, est souvent préféré à celui, jugé plus exact, de «féminicide.»
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Valérie Vuille a bien sûr participé à la grève des femmes du 14 juin 2019. «J’ai raté la précédente, celle du 14 juin 1991», confie-t-elle en souriant. Elle avait alors 6 mois mais sa mère n’avait pas osé aller marcher avec le bébé dans la poussette. «Aujourd’hui on vient en famille, que ce soit pour la défense du climat ou celle des droits féminins», observe-t-elle.
Valérie Vuille est née à Fribourg. Mère psychologue, père ingénieur en informatique, deux sœurs et un frère. Enfant très active qui après l’école a essayé la danse, le dessin, l’escalade avant de trouver sa voie: le théâtre. A 20 ans, elle joue sous la direction de la comédienne et metteuse en scène Anne Schwaller. Bachelor en littérature et cinéma à Lausanne, six mois à Paris pour approfondir l’esthétisme au cinéma. Première expérience journalistique à L’Auditoire, la publication des étudiants lausannois. On l’accrédite pour des festivals comme Locarno ou le FIFF à Fribourg. «Une semaine à voir plein de films, le rêve!» dit-elle. Elle écrit aussi dans la page jeune du vendredi de La Liberté: «Je me souviens avoir raconté l’histoire d’une jeune réfugiée d’origine vietnamienne sans passeport ni autre papier d’identité. Au fil du temps, l’injustice sous toutes ses formes, qu’elle soit quotidienne ici chez nous ou au bout du monde, m’a insupportée.»
Valérie Vuille se dit fière de s’inscrire dans la lignée des femmes d’aujourd’hui, fortes et engagées, qui œuvrent pour l’égalité. En 2013, elle s’inscrit à Genève en étude genre. Puis fonde DécadréeE avec une poignée d’ami(e)s. Elle explique: «Notre ADN est le travail sur les contenus, la représentation et le symbolique. Nous apportons notre expertise en ne blâmant pas mais en sensibilisant et en conscientisant. Nous prônons l’ouverture et le dialogue.»
Illustration avec ce travail auprès de la société genevoise d’affichage (SGA). DécadréE a dirigé un atelier pour évoquer le sexisme dans la publicité afin de le réduire, plaider aussi pour davantage de diversité. Les publicités diffusées en 2019 sur les panneaux d’affichage genevois ont été analysées sur des critères comme la nudité, la sexualité, la violence, les stéréotypes, la race, l’ethnie, la diversité des corps. Il est ressorti de l’étude que les publicités sexistes sont encore présentes et que plus d’un quart de l’échantillon est stéréotypé dans tous les secteurs (banques, assurances, culture, alimentation…). Le recensement a montré que les publicités sont peu inclusives: 11% représentent des personnes racisées, 4,16% des morphologies diversifiées et 0,4% des couples homosexuels.
DécadréE cible les jeunes, les futurs journalistes notamment, en proposant des formations au bon traitement des violences sexistes. «Les journalistes ont un rôle essentiel dans la création du savoir. Nous voulons construire avec chaque personne afin que leurs articles soient dénués de biais et de discriminations.» Comment son engagement est-il perçu autour d’elle? «Je suis parfois confrontée à des personnes qui sont en désaccord avec mon travail. J’ai l’impression, peut-être à tort, d’avoir ouvert le débat sur cette question dans ma famille. J’en parle librement avec eux et cela engendre des questions, mais jamais de rejet. J’ai un compagnon qui s’informe, partage mon engagement, se révolte aussi. Ce n’est pas toujours une chose évidente et on ne parvient pas toujours à aller au-delà des rôles et des tâches assignés, mais on y travaille ensemble. C’est quelque chose qui est très important pour moi.»
Profil
1990 Naissance à Fribourg.
2014 Premier article dans «L’Auditoire».
2014 Premiers cours en études genre.
2016 Création de DécadréE.
2018 Manifeste de DécadréE pour un meilleur traitement médiatique des violences sexistes.