Interview
Les enfants, comme nous tous, baignent dans l’ambiance anxiogène induite par l’avancée du Covid-19. Comment aborder ce thème avec eux et accueillir leurs questions? Le psychologue et maître d’enseignement Vincent Quartier nous répond

«Papa, y’a des nouveaux morts ce matin?» s’enquérait Arsène, 10 ans, cité par Michel Porret, auteur d’un blog hébergé par Le Temps. Le Covid-19 a beau présenter bien moins de risques pour les enfants que pour les personnes âgées ou fragiles, le quotidien des plus jeunes n’en est pas moins impacté: comme tout le monde, ils doivent suivre les mesures d’hygiène préventives – et écouter des conversations qui les dépassent. La fermeture des écoles constitue désormais un bouleversement supplémentaire.
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Dans ce contexte, comment les enfants appréhendent-ils le phénomène, et, surtout, comment leur en parler? Vincent Quartier, psychologue FSP spécialiste de l’enfant et de l’adolescent, Maître d’enseignement à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL, nous répond.
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Le Temps: Face aux consignes d’hygiène, aux informations qui pleuvent et contribuent à alimenter une atmosphère anxiogène, comment bien aborder le sujet du coronavirus avec les enfants?
Il est difficile de donner un conseil tout prêt: cela dépend de l’âge de l’enfant, de ses capacités à comprendre et à discuter. Ce qui me semble important dans un premier temps, c’est d’être davantage à l’écoute que de vouloir expliquer ou, pire, que de vouloir rassurer excessivement. Je remarque que lorsque les adultes veulent rassurer trop vite, ils donnent le message à l’enfant qu’ils ne peuvent pas entendre ses inquiétudes, qu’ils ne sont pas prêts à en parler et sont donc, peut-être, eux-mêmes anxieux. Le mieux est sans doute de pouvoir ouvrir un espace de discussion, d’entendre les peurs avant de dire «mais je te rassure, le coronavirus c’est rare pour les enfants». Il est par exemple possible de lui demander «qu’est-ce qui te fait peur, qu’est-ce qui peut t’inquiéter?» L’attitude de l’adulte est alors importante: rester serein tout en reconnaissant ce qui peut causer du souci. Si lui-même se trouve dans un état de déni ou d’extrême inquiétude, ce n’est bien sûr pas idéal.
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Cependant, je ne pense pas que le coronavirus soit la préoccupation première des enfants actuellement. Nous projetons parfois nos propres peurs sur eux, ils sont certainement moins chamboulés que nous pour le moment.
La fermeture des écoles pourrait changer la donne…
En confinant l’enfant à la maison, on modifie le contexte, oui. Et toute l’organisation familiale va exercer une influence sur le vécu: ce ne sont pas des vacances, ce sont les incertitudes, le stress lié aux questions de garde et à l’évolution de la situation, etc. Cela pourrait en effet avoir plus d’impact sur le quotidien de l’enfant et l’anxiété familiale autour de lui.
Comment l’anxiété peut-elle alors se manifester chez l’enfant?
Elle peut se traduire par des cauchemars, des phobies de l’école et ce qui s’y rattache, ou des microbes par exemple, un retrait social ou de l’agitation… Cela dit, tout enfant ne va pas développer des difficultés ou des troubles. Il y a parfois un terrain propice à l’anxiété qui fait que certaines personnes vont être beaucoup plus attentives et touchées par le contexte anxiogène. Si l’angoisse devient trop forte, il est bon de consulter un professionnel.
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On pense souvent aux «bons mots» à employer pour expliquer une situation, mais les enfants ne sont-ils pas plus sensibles à l’attitude de l’adulte qu’au vocabulaire qu’il emploie?
C’est exact. L’attitude de l’adulte est essentielle, car la communication non verbale est très importante dans l’échange avec l’enfant. Il sera très sensible à la cohérence du message… Si le discours est discordant, par exemple si l’adulte lui adresse verbalement un message rassurant, mais se montre nerveux et très réactif dans son comportement à l’égard de la pandémie, l’enfant sera davantage imprégné par le message non verbal. Pour ce qui est du choix des mots, il est bien sûr important d’utiliser un langage adapté à l’âge de l’enfant… Il est d’ailleurs possible de reprendre les mots utilisés par l’enfant lui-même, si l’on a pris la peine de l’écouter avant, et de compléter au besoin par nos réflexions d’adulte.
L’attitude de l’adulte est essentielle, car la communication non verbale est très importante dans l’échange avec l’enfant. Il sera très sensible à la cohérence du message.
Y a-t-il, par exemple, une manière de présenter les consignes d’hygiène de façon ludique aux plus petits?
Cela peut dépendre de l’âge des enfants mais on peut utiliser un animal en peluche par exemple, et jouer avec pour présenter les gestes recommandés, comme on le fait souvent dans les hôpitaux pour préparer une opération. Au travers des livres, les enfants ont l’habitude de voir les animaux dans des situations anthropomorphes, ça les met à l’aise, ça leur parle, ça dédramatise et leur permet de prendre un peu de distance.
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D’ailleurs, comment un petit enfant peut-il bien se représenter un virus?
C’est une question intéressante car je pense que la situation actuelle est plus proche de l’imaginaire enfantin que du nôtre, et c’est probablement ce qui nous angoisse davantage. Je m’explique: les enfants jouent par exemple au Loup dans la cour, celui qui est touché devient le loup à son tour… Ce type de jeu n’est pas sans rappeler l’idée de la transmission d’un virus; il y a quelques années, on jouait d’ailleurs à «la peste»! Les enfants ont peut-être conservé, au travers de leurs jeux et de leur imaginaire, les traces des épidémies qui ont marqué l’humanité… Du fait qu’ils les jouent, je pense qu’ils sont plus familiers de ces grandes peurs imaginaires et que, du coup, un phénomène tel que le coronavirus leur paraît moins étrange qu’à nous, les adultes.
Il est très probable que la thématique du coronavirus s’invite dans les discussions avec ses camarades. Que conseilleriez-vous finalement aux adultes pour éviter la propagation d’informations erronées?
Il est en effet possible que des rumeurs se répandent: «Dans telle école, il paraît qu’il y a eu un cas». Pour les enfants, un petit peu plus grands, autour de 8 à 10 ans, il peut être intéressant de développer les discussions autour des peurs de la population et des phénomènes de rumeurs qui se créent, débattre avec eux de ce qui appartient au vrai, se demander quels sont les mécanismes qui font que les gens ont besoin de raconter ou de propager des informations effrayantes qui finissent par se déformer, à l’image du phénomène du «téléphone arabe». Il est bon d’en parler car ce sont des éléments qu’ils retrouveront vite, ensuite, sur les réseaux sociaux.
Pour aborder le sujet avec les enfants…
… Le Département vaudois de la formation et de la jeunesse (DFJC) a publié quelques ressources pédagogiques sur son site internet (www.vd.ch/dfjc).
Les vidéos animées «C’est quoi, le coronavirus venu de Chine?» et «Ça veut dire quoi, mettre en quarantaine» du site 1jour1actu.com sont recommandées pour les élèves de la première à la huitième année.