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Petites doses, grandes conséquences
Mais en quoi boire une bière de temps à autre est-il si néfaste pour le bébé à venir? Et que dire de toutes ces femmes qui ont levé le coude sans modération en ignorant qu’elles attendaient un heureux événement? «Les douze premières semaines de gestation sont très délicates, précise le Dr Baud. C’est pendant cette période que se forment les différents organes du bébé. Boire de l’alcool pendant le premier trimestre de grossesse peut mener à des malformations du cœur ou du cerveau, notamment. Après douze semaines, tous les organes sont formés mais le cerveau continue à évoluer jusqu’à la naissance et même après. L’alcool consommé aux deuxième et troisième trimestres peut avoir un impact négatif sur la croissance du fœtus et son développement cérébral. Retard mental, hyperactivité, troubles de l’attention et du sommeil sont alors à craindre.»
Aucune consommation d’alcool, même modeste, ne peut être considérée comme inoffensive pour le fœtus. Toute diminution est donc bonne à prendre. «Certaines femmes ont de la difficulté à admettre que l’apéritif du vendredi ou un petit verre de temps en temps peuvent avoir un impact négatif sur le développement de leur bébé, constate Katyuska Francini, médecin associé au service d’obstétrique du département femme-mère-enfant du CHUV. Une dose minime autorisée n’est pas envisageable car chaque bébé, à l’instar des adultes, est différent face à la toxicité de l’alcool. Ces futures mères, ne voyant pas où est le problème, ont malheureusement tendance à ne pas adhérer au principe du zéro alcool. Des entretiens motivationnels sont un outil possible pour les aider dans cette démarche tout comme l’aide du conjoint qui peut les soutenir en évitant les tentations.»
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Davantage de prévention
Pour Katyuska Francini, certaines professions sont plus à risque que d’autres: «Les femmes d’affaires qui se rendent chez un client et acceptent un verre ou celles qui enchaînent les réunions se terminant par des apéros sont plus sollicitées que d’autres et ne se rendent pas toujours compte que leur consommation peut devenir problématique.» L’entourage, privé ou professionnel, a ainsi son rôle à jouer pour éviter les TSAF aux bébés à naître.
«Un bébé dont la mère a beaucoup bu pendant la grossesse va passer par une période de sevrage après la naissance»
David Baud
Les chiffres¹ de l’Office fédéral de la santé publique semblent réjouissants: 77% des femmes enceintes ou allaitantes cessent de boire, mais 18% déclarent boire au moins une fois par semaine pendant cette période. Pour David Baud, il faut faire encore plus de prévention: «L’alcool passe tout droit dans le placenta pour aller au bébé. Il ne le filtre pas à travers son foie comme le font les adultes! A noter qu’un bébé dont la mère a beaucoup bu pendant la grossesse va passer par une période de sevrage après la naissance. Il sera irritable, mangera peu, transpirera beaucoup et sera particulièrement agité. Une phase qui peut durer plusieurs jours et qui n’est pas sans conséquence pour son bien-être.»
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Après l’accouchement, les femmes qui allaitent devraient continuer à renoncer à l’apéritif. L’alcool passant dans le lait maternel, le bébé trinque. Les mères qui veulent tout de même faire schmolitz peuvent boire juste après avoir allaité, afin que l’alcool soit éliminé avant la prochaine tétée.
La culpabilité n’aide pas à arrêter de boire
Les femmes souffrant d’une dépendance à l’alcool se retrouvent face à un défi de taille lorsqu’elles envisagent une grossesse: comment cesser totalement de boire et tenir sur la durée? «Le désir de grossesse est un moteur très puissant qui aide beaucoup les femmes dépendantes à l’alcool, explique Nicolas Bertholet, médecin adjoint au service de médecine des addictions du CHUV. Malheureusement, les femmes enceintes qui présentent une addiction à l’alcool et qui boivent subissent une énorme stigmatisation de la part de la société. Elle entraîne un sentiment de culpabilité qui retarde l’entrée en soins avec des conséquences d’autant plus importantes sur la santé du nouveau-né.»
Estelle² fréquente les Alcooliques anonymes depuis quinze ans. Cette mère de trois jeunes adultes a vécu cette pression: «Je savais que je ne devais pas boire enceinte, mais c’était plus fort que moi. J’avais tellement honte que je n’ai jamais parlé à mon gynécologue de mon alcoolisme. Je buvais en cachette de mon entourage.» Ses trois bébés sont nés en bonne santé, même si l’un d’eux a eu un poids faible à la naissance. «J’ai ressenti une énorme culpabilité, surtout lors de ma troisième grossesse car je ne suis pas parvenue à diminuer ma consommation, ce que j’avais réussi lors des deux autres.»
Nicolas Bertholet aimerait que la stigmatisation cesse: «L’addiction, quelle qu’elle soit, n’est pas une tare morale et encore moins le symptôme d’un manque de caractère. C’est une maladie traitable et non pas une fatalité. Il ne faut donc pas hésiter à consulter. Un plan de traitement peut être mis en place avant la grossesse afin qu’elle commence sous les meilleurs auspices.»
1) Monitorage suisse des addictions réalisé sur mandat de l’OFSP entre 2011 et 2016.
2) Nom connu de la rédaction.