Le français parle du «congé paternité», «congé» étant neutre (on donne son congé à un locataire); mais l’allemand évoque le Vaterschaftsurlaub, soit, littéralement, des «vacances paternelles», la traduction masculine du Mutterschaftsurlaub. Et si le choix de ces mots, très chargés, rendait partiellement compte des différences d’approche constatées d’un côté et de l’autre de la Sarine face au congé paternité, sur lequel la Suisse vote le 27 septembre?

La façon dont ces mots influencent le débat est l’un des nombreux thèmes que la rédaction du Temps développera dans son numéro du samedi 12 septembre, qui comportera dix pages spéciales consacrées au congé paternité et à ses enjeux.

Quelques articles de la série:

C’est vrai, Le Temps compte un certain nombre de jeunes parents des deux sexes, également touchés par la difficulté pour les pères de passer du temps avec leur enfant à sa naissance (mais Ringier Axel Springer libère déjà dix jours de congé aux nouveaux pères). Le sujet a cependant rarement été l’objet de débats en conférence de rédaction; peut-être que la majorité de notre équipe, moins jeunes compris, était convaincue du bien-fondé de ce congé paternité, déjà en place dans tous les autres pays européens. Ce qui ne nous a pas empêchés, bien sûr, d’aller interroger les opposants à ce congé paternité. «Nous avons rencontré le patron d’une entreprise vaudoise qui votera contre, raconte Aïna Skjellaug, qui a coordonné ces pages spéciales. Ses arguments sont ceux qui prévalaient il y a peu de temps encore, et l’on se rend compte que des événements comme la crise économique découlant du covid peuvent tout rendre très fragile», s’inquiète-t-elle.

Des exemples à l'étranger

A ne pas rater non plus, le rappel du long chemin politique effectué par le congé paternité avant d’être soumis au peuple. Avec les souvenirs, pas si lointains, de Grégory Jaquet, ce député socialiste neuchâtelois et membre de Männer.ch, qui s’était distingué il y a quelques années en réduisant son temps de travail au sein de la police: «Aux yeux de nos adversaires politiques, nous étions des tire-au-flanc, désireux d’obtenir des vacances tout en étant payés. C’était comme si on revendiquait les 35 heures.» Tout est dit…

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Un congé paternité en bonne et due forme peut-il faire du bien à la démographie suisse? On évoque souvent la générosité des pays scandinaves, mais saviez-vous que la Corée du Sud est la championne du monde du congé paternité, qui atteint 53 semaines chez elle? Le Japon est tout proche, avec 52 semaines. «Mais le droit à ces congés est très rarement utilisé, il est mal vu de les prendre», corrige Aïna Skjellaug. Face à de nombreuses études montrant que des enfants bien accueillis font des familles plus unies et engendrent des coûts moindres pour la société, le Japon a lancé une émission de téléréalité dans laquelle un père s’occupe seul d’un petit enfant pendant une semaine, pour l’émulation.

La figure paternelle aussi a changé. Nous avons fait dialoguer la famille des Veillon, une paire de pères: le papa, Pierre-François, ancien conseiller d’Etat puis conseiller national, UDC, un modèle plus traditionnel, et son fils Vincent, l’amuseur de la RTS et comédien, lui-même père de deux petites filles. «Je suis conscient d’être d’une génération qui n’est plus celle d’aujourd’hui, où les parents s’impliquent beaucoup plus à la naissance, où le couple a plus besoin d’être ensemble, reconnaît Pierre-François. […] Il y a moins de cours de répète, on peut mettre quinze jours pour un enfant.» Eclat de rire de son fils. Les deux hommes sont très proches.

On ne naît pas père, on le devient. C’est le photographe genevois David Wagnières qui a réalisé toutes les images de ces dix pages spéciales.