Parents, gare au burn-out
Pandémie
Depuis le début de la pandémie, certaines familles ont vu leurs relations s’améliorer, mais alors que la fermeture des écoles fait débat et que les loisirs sont réduits, pour d’autres, le risque d’un épuisement, voire d’un burn-out parental, a augmenté

Diane, 40 ans et maman d’un petit garçon de 7 ans, dit n’avoir jamais vécu une année aussi difficile. «On est épuisées par nos multiples rôles: maman, psy, prof, épouse, cuisinière, aide aux devoirs… Tout ça commence à nous peser.» Il y a de quoi. Si les écoles ne sont pas (encore?) fermées comme au printemps, les possibilités de loisirs pour les enfants ou les adolescents, comme pour leurs parents, sont en berne. Les contacts devant toujours être réduits pour limiter les risques de contamination, l’entraide ne va plus forcément de soi.
Carine, elle, gère sa fille et son fils tout en suivant une formation à distance et en menant à bien divers mandats. Souffrant de fatigue chronique, son quotidien est déjà difficile à gérer, mais la pandémie l’a encore compliqué. «Je ne sais pas si l’on peut parler de burn-out parental, peut-être que c’est un burn-out tout court. Mais j’arrive à saturation. Si les écoles referment, c’est l’angoisse. J’ai un enfant qui a vraiment besoin de se dépenser et son activité sportive n’est plus accessible. J’ai les nerfs à vif à cause du travail, il m’arrive de hurler, de pleurer. En temps normal, je n’arrive pas à ces extrêmes.»
Déséquilibre des ressources exacerbé
Hors situation pandémique, le burn-out parental toucherait environ 5% des parents suisses, selon une étude à paraître du Consortium international de recherche sur le burn-out parental (IIPB) menée dans 42 pays. Relativement peu connue, peu diagnostiquée et taboue, la maladie survient souvent chez des parents perfectionnistes qui finissent par s’épuiser. Elle se manifeste à travers une intense fatigue physique et psychique, une perte d’accomplissement personnel et une distanciation émotionnelle vis-à-vis de ses propres enfants qui peut se traduire par un désintérêt pour eux ou une forte irritabilité. «On ne se reconnaît pas, et on culpabilise […] C’est le résultat d’un stress chronique qui n’est pas contrebalancé par des ressources suffisantes. Et en ce moment, on manque de certaines ressources», détaille Sandra Bon, psychothérapeute à Neuchâtel, qui anime d’ordinaire des ateliers de prévention du burn-out parental.
L’augmentation des communications en comparaison avec 2019 est massive. Le sentiment de ne plus arriver à faire face augmente, et les peurs prennent le dessus.
Parmi ces ressources, il y a celles, autrefois très accessibles, des cours de sport ou des soirées entre ami-es. «Ces moyens plus concrets de recharger ses batteries disparaissent en ce moment, c’est un défi d’en trouver d’autres. Mais il y a des ressources alternatives, plus subjectives, sur lesquelles on peut agir: s’accorder du repos mental, essayer de baisser ses standards très élevés pour un temps au moins, être bienveillant avec soi-même», ajoute la psychothérapeute.
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Ainsi, depuis plusieurs mois, les lignes d’écoute et de conseil aux parents sont débordées. Le numéro d’Elternnotruf, qui propose un soutien psychologique, est un exemple parmi d’autres. «L’augmentation des communications en comparaison avec 2019 est massive. Nous recevons des appels non-stop de parents d’enfants de tout âge. Ce qui était déjà difficile avant la crise l’est encore plus maintenant. Les mères de familles monoparentales qui n’ont plus le soutien des grands-parents sont notamment touchées. Le sentiment de ne plus arriver à faire face augmente, et les peurs prennent le dessus», résume Marielle Donzé, psychologue FSP et thérapeute de couple à Zurich, répondante pour la ligne Elternnotruf. «Derrière le burn-out parental se cache un syndrome d’épuisement, et même si on ne peut pas chiffrer l’augmentation des cas, il est certain que le coronavirus a ajouté une pression supplémentaire au surmenage et a accru le stress familial. Un appel permet ainsi de réactiver les ressources en jeu et d’aider le parent à se réinvestir dans la relation avec son enfant.»
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En effet, même si les données ne sont pas encore disponibles partout, le problème occupe les chercheurs. A l’Université de Tilburg (Pays-Bas), le professeur Hedwig van Bakel mène en ce moment une étude internationale et confirme que ses premiers résultats dessinent une tendance globale à l’augmentation des cas depuis le début de la pandémie.
Un phénomène sociétal
En Belgique, Moïra Mikolajczak est professeure en psychologie des émotions et de la santé à l’Université catholique de Louvain et a cofondé, en 2015, le Consortium international de recherche sur le burn-out parental avec sa collègue Isabelle Roskam. Depuis mars, les deux spécialistes ont également lancé une ligne téléphonique de soutien aux parents qui, sans surprise, croule sous les sollicitations.
«Avec la pandémie, en Belgique, nous avons pu chiffrer une augmentation d’environ un tiers de familles souffrant de burn-out parental, toutes catégories sociales confondues. Pendant le confinement, entre autres, les ressources sociales étaient coupées et on ne pouvait pas démissionner de l’autorité. La situation sanitaire obligeait d’interdire aux adolescents de sortir, il fallait occuper les enfants et travailler en même temps. Cela dit, dans un autre tiers des familles, le premier confinement a diminué les «stresseurs»: il n’y avait plus de pression liée aux activités extrascolaires, certains frères et sœurs ont dû réapprendre à dialoguer et cela a renforcé les liens. Les parents ont pu prendre plus de temps avec eux», constate Moïra Mikolajczak.
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Sandrine, qui a vécu un burn-out parental deux ans auparavant, acquiesce. Malgré les difficultés du télétravail avec ses deux jeunes enfants, pour elle, le premier confinement a même été l’occasion de vérifier qu’elle était «bien guérie» et de ne plus tenir, coûte que coûte, à être «la mère parfaite.» «Je trouve qu’on vit dans une société où la parentalité positive [aussi appelée «éducation bienveillante», elle désigne une approche alternative de l’éducation basée sur le respect de l’enfant. Elle proscrit, entre autres, toute violence] est prônée et devient culpabilisante. Il faut être une bonne mère, tout en étant une bonne employée… Maintenant, je me dis que j’aime mes enfants inconditionnellement et qu’ils pardonneront mes erreurs.»
Cette crise nous pousse à regarder ailleurs, à nous inspirer de manières de vivre plus collectives. Et pour l’instant, il faut distinguer le lâcher-prise de la démission.
Pour Moïra Mikolajczak, il serait urgent d’apprendre d’«autres pays»: «Dans certaines sociétés, comme les nôtres, il y a plus de jugement, d’injonctions aux parents, et on exerce la parentalité de façon très solitaire, en contraste avec d’autres endroits où c’est l’affaire de toute la famille, voire de tout un village. Que ce soit en Belgique ou en Suisse, on combine une grosse pression sur les parents et un tissu social peu dense. Je crois donc que cette crise nous pousse à regarder ailleurs, à nous inspirer de manières de vivre plus collectives. Et pour l’instant, il faut distinguer le lâcher-prise de la démission: si l’on n’a pas, en ce moment, les ressources pour faire respecter certaines règles (comme le temps sur les écrans), on peut choisir en conscience de laisser faire pour une certaine durée.» Et plutôt que de parler directement aux enfants de son possible «burn-out», au risque de les faire culpabiliser, les spécialistes proposent d'exprimer l'idée d'épuisement et de discuter en famille de ce qui pourrait être fait ensemble afin d'alléger la fatigue du parent concerné.
Alors, tout en restant vigilant, point de fatalisme: Marine, 38 ans, qui venait de traverser un burn-out parental avant la crise, a bien cru replonger durant le premier confinement. Mais elle a tenu bon, notamment grâce au sport et aux outils développés durant sa thérapie, «et maintenant je me sens plus sereine. Oui, une nouvelle fermeture des écoles me fait peur, mais gardons espoir.»
Quand s’inquiéter?
Parmi les signes avant-coureurs qui devraient mettre la puce à l’oreille, la perception d’un changement en soi-même est importante: se dire «je ne suis plus le ou la même», réaliser qu’on n’a plus de patience ou qu’on n'a plus le même plaisir à faire des activités avec ses enfants, ainsi qu’une grande fatigue. Selon Sandra Bon, «les signes peuvent être très personnels et s’accompagner d’une certaine irritabilité, d’un manque de sommeil, d’appétit ou l’inverse. Ce sont des signes difficiles à distinguer des symptômes de la dépression.»
Numéros d’aide
Elternnotruf (français et allemand): 0848 35 45 55; Pro Juventute: 058 261 61 61; La Main Tendue: 143
Plus d’informations sur www.burnoutparental.com