Porter et donner la vie en pleine pandémie
Maternité
Valerie et Paolo, jeunes Suisses alémaniques établis à Lausanne, attendent pour bientôt un heureux événement. Comment vit-on une grossesse en pleine pandémie meurtrière? Réponses pratiques, psychologiques et aussi philosophiques des futurs parents

Donner la vie alors que la mort rôde et menace. Porter un bébé, signe de foi en l’avenir, alors que la pandémie fige le présent et assombrit le futur. Cette expérience contradictoire, Valerie la traverse, malgré elle, depuis plusieurs semaines. Son accouchement est imminent, son moral reste vaillant.
Cette Suisse alémanique de 36 ans, installée à Lausanne avec Paolo, son conjoint, dit: «J’ai confiance. Dans ma santé, dans la qualité des soins en Suisse, dans le soutien de mon compagnon, dans la solidité du bébé. J’ai vécu une grossesse sans histoire, je pense que son épilogue sera aussi heureux que son déroulement.» Mais elle dit aussi: «J’ai peur que mon conjoint ne puisse pas assister à l’accouchement. Et je regrette que les premiers mois de la vie du bébé, qui devaient être ponctués de visites dans ma famille et chez mes amis, se résument à un long confinement.» Paroles nuancées de futurs parents.
Pas de visites pour le père
Valerie travaille à Berne, dans la communication. Parce qu’elle était amenée à voir beaucoup de monde et qu’elle faisait les trajets en train Berne-Lausanne au quotidien, sa gynécologue l’a mise en arrêt de travail dès le 4 mars. «A ce moment, on n’était pas encore en confinement et personne ne pouvait imaginer où ça irait.» Vu le tour qu’a pris la pandémie, les choses ont bien changé. «Désormais, mes parents souhaiteraient que j’accouche en privé, ne serait-ce que pour être sûre que Paolo puisse bien être à mes côtés.»
C’est que les consignes évoluent vite. A ce stade, son compagnon peut encore assister à l’accouchement qui est prévu au CHUV, mais il devra s'en aller deux heures après la naissance et ne pourra pas revenir en visite, les jours suivants. Une interdiction qui s’étend naturellement à toute la famille et aux amis. «Du coup, je pense rentrer à la maison aussi vite que possible pour commencer notre nouvelle vie en famille. Une sage-femme à domicile suivra mon évolution (voir encadré). Comme je me sens en parfaite santé, j’espère que ce plan pourra s’appliquer.»
Séparation en cas de contamination?
Qu’en est-il de la peur d’avoir été contaminée et d’avoir transmis le virus à son bébé? «J’y ai pensé, bien sûr, et j’ai demandé à mon médecin si je devais me faire tester. Surtout, je me suis posé la question des mesures en cas d’infection, car j’avais lu que, dans certains pays, une mère positive était séparée de son bébé à la naissance. Vous imaginez! Heureusement, la maternité du CHUV m’a rassurée. Même si je devais contracter le coronavirus, mon enfant ne me sera pas enlevé. De toute façon, je ne me suis pas fait tester, car je n’ai eu aucun symptôme, mais cette histoire m’a quand même secouée!»
Le principal sujet de contrariété concerne le droit de visite post-partum déjà évoqué. Valerie y revient. «Si les choses ne se passent pas bien pendant l’accouchement, je devrai rester longtemps à l’hôpital, seule, avec mon bébé. Je vivrai très mal le fait que l'on soit séparés. Mais la situation sanitaire est exceptionnelle et nous acceptons la contrainte que nous pouvons comprendre.»
Même sagesse du côté de Paolo, le futur père: «Il y a encore quelques semaines, je n’aurais évidemment jamais imaginé devoir quitter ma compagne et notre enfant deux heures après la naissance… Ce moment va être dur. Mais je suis déjà content que le CHUV me laisse assister à l’accouchement, c’est là où je pourrai le mieux aider Valerie. J’espère qu’ensuite, elle pourra quitter le plus rapidement possible l’hôpital avec notre bébé, tout en souhaitant que le personnel médical ne les laisse pas partir trop vite pour libérer la place. Si je devais rester tout seul à la maison, ce serait pénible, d’autant que je ne pourrais même pas fêter l’heureux événement avec la famille ou les amis… Mais bon, on fera avec. Le plus important, c’est que la maman et le bébé aillent bien. Et un jour on aura une drôle d’histoire à lui raconter…»
Avec les grands-parents, le geste juste
Le couple sera aussi éloigné du quatuor des grands-parents. Or, on sait qu’une naissance, surtout un premier bébé, s’adosse beaucoup aux liens familiaux. «Mes parents, qui habitent dans la région de Berne, ont 71 et 73 ans, détaille Valerie. Je suis très partagée. D’un côté, j’aimerais qu’ils viennent voir leur petit-enfant, idem pour les parents de Paolo, mais de l’autre, je ne souhaiterais pas les mettre en danger.» Pour le moment, Valerie pense que les grands-parents se déplaceront une fois, en voiture et non en train pour limiter le risque, et qu’ils enfileront des masques pour prendre le bébé dans leurs bras, un court instant. «J’ai posé la question à ma gynécologue, elle m’a conseillé que chacun garde ses distances. Mais comme j’ai insisté, elle m’a dit que si mes parents se lavaient les mains et les désinfectaient bien avant de porter le bébé, et aussi s’ils couvraient leurs vêtements, ça devrait aller.»
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Car les aînés ne sont pas les seuls en danger. Il s’agit aussi de protéger le nouveau-né dont les défenses immunitaires sont encore fragiles, les premiers mois. «Mais comme j’espère allaiter et que je pourrais le faire même si je devais contracter le virus, m’a-t-on informée, l’immunité du bébé va augmenter», assure Valerie.
La solidarité domine
Comment les futurs parents ressentent-ils, sur le plan psychologique, le fait de donner la vie dans une atmosphère de maladie et de mort? «On est impressionné face à ce monde qui change si vite, c’est vrai. Et puis, dans cette pandémie, il y a ces morts qu’on ne peut pas voir, ni enterrer, ce qui est très triste. Mais il y a aussi beaucoup de solidarité et ça nous réjouit. Dans notre immeuble, on est en contact avec les habitants les plus âgés pour leur faire leurs courses, on imprime des documents pour une locataire qui n’a pas de bureau et d’autres nous aident pour des travaux… Je valorise plutôt cet élan en réseau que le côté sombre du tableau.»
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Par ailleurs, Valerie porte un regard amusé, presque d’aînée, sur la génération de ses parents. «Comme ce sont de vieux soixante-huitards, mes parents ont beaucoup de peine à se restreindre et ont tendance à minimiser, pour eux, la dangerosité de la pandémie. C’est une génération qui n’aime pas les mots d’ordre collectifs et doit se faire violence pour les appliquer. Pour nous, en tant qu’enfants, ça a été difficile de leur expliquer la situation en toute sévérité, mais je crois qu’ils ont compris, maintenant!»
Enfanter dans un monde en déclin
Revenons à la grossesse. Plus largement, Valerie et Paolo n’ont-ils pas d’hésitations à propulser un enfant dans ce monde qui décline? «Je suis sans doute trop pragmatique et optimiste, mais, pour moi, pour nous deux, arrêter de se reproduire n’est pas une solution pour une espèce. Même si la situation actuelle est inquiétante, il faut tout de même voir qu’on vit une époque historiquement très sûre et stable, particulièrement en Suisse. On doit continuer à croire en l’humanité et trouver des moyens de soigner la planète. A 35 et 36 ans, Paolo et moi sommes déjà bien plus conscients du péril écologique que les générations précédentes et je suis sûre que nos enfants le seront encore plus. A moins que la Suisse ne devienne une dictature – ce dont je doute! –, il y aura toujours de la place pour le débat démocratique et c’est à nous de faire en sorte que nos descendants se battent pour la santé de la planète.»
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D’ailleurs, personne, autour d’eux, ne les a interpellés sur ce sujet. «Le seul ami, âgé, qui nous a salués pour notre courage, l’a plutôt fait sous l’angle: c’est beau qu’il y ait encore des couples qui croient assez dans leur histoire d’amour pour se lancer dans cette aventure à deux!» rit Valerie.
Préparation douce à la bulle
Le confinement forcé aura eu de fait ce mérite, les initier en douceur à l’avenir qui les attend. «C’est vrai, c’est comme un palier de progression, réfléchit Valerie. La plupart de nos amis se sont retrouvés parents d’un coup, en plein milieu de leur activité professionnelle. Avec la pandémie qui a entraîné mon arrêt de travail et le home office de Paolo, on est déjà en mode bulle depuis quelques semaines et ça nous prépare à cette vie autour du nouveau-né. Sans compter qu’on aime tellement manger qu’on cuisine trois fois trop, ces jours, et qu’on va garder toute cette nourriture au congélateur pour les moments de surchauffe!» Vu que la grossesse est très avancée, les deux parents ont déjà pu assister aux cours de préparation à la naissance avant le confinement et Valerie a même mémorisé des positions de yoga prénatal qu’elle pratique chez elle, désormais.
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«On reste joyeux et confiants, même si parfois, on est quand même sonnés par la folie qui s’est emparée du monde. Avec les congés maternité, les vacances et le congé sans solde de Paolo, on va passer huit mois de qualité avec le bébé. On va beaucoup communiquer, entre nous et aussi avec la famille et les amis, pour éviter d’être déstabilisés si la situation ne s’améliore pas. C’est le mieux que l’on puisse faire.»
Etre sage-femme en période de pandémie, mode d’emploi
A Genève, l’Arcade sages-femmes compte une soixantaine de professionnelles qui interviennent à domicile, après une naissance. Emma Guillier, l’une d’entre elles, raconte leur fonctionnement en période de pandémie.
Le Temps: Comment exercer ce métier de proximité quand le contact humain est prohibé?
Emma Guillier: En faisant preuve de bon sens et en nous conformant aux consignes de la Fédération suisse des sages-femmes. En cette période particulière, nous préparons par téléphone toute consultation à venir. Cela permet d’établir un premier contact avec la maman, de prendre des nouvelles de son état de santé et de celui de son bébé, et de répondre à ses premières questions. Ensuite, nous nous rendons à son domicile, en enfilant gants et masque, pour accomplir les premières vérifications d’usage, qui consistent en un examen clinique de la mère et de l’enfant, selon les nécessités. Enfin, dès que possible, nous reprenons les consultations par téléphone ou par vidéoconférence, pour éviter toute contamination.
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Combien de consultations à domicile effectuez-vous avant de passer au mode à distance?
Tout dépend de la situation de la patiente et du soutien à la parentalité dont elle a besoin. Dans certains cas, une présence physique et des gestes soignants sont indispensables pour effectuer un suivi post-partum de qualité. Comme lorsqu’on prodigue un massage des seins, si ceux-ci sont sensibles lors de la montée laiteuse, ou lorsqu’on transmet des soins personnalisés pour le bébé. Par ailleurs, pour certaines femmes, la naissance est un voyage émotionnel intense et elles ont besoin d’être accompagnées durant les premiers temps de la maternité. D’autant plus durant cette période de solitude liée au confinement, sachant que ni parents, ni amis ne peuvent être à leurs côtés. Enfin, si le français n’est pas la langue maternelle de la patiente, la présence physique et l’échange non verbal sont indispensables.
Quelle est la position de l’Arcade concernant l’allaitement en temps de coronavirus?
Nous continuons à encourager et à accompagner l’allaitement maternel, tout particulièrement durant la pandémie, car il accroît les défenses immunitaires de l’enfant. A ce propos, je rappelle que la LAMal prend en charge jusqu’à 16 visites de la sage-femme à domicile pendant les deux premiers mois de vie du bébé. La LAMal rembourse également trois consultations dédiées à l’allaitement durant les trois années suivant la naissance. Aucune femme ayant accouché ne doit hésiter à nous solliciter, tant qu’elle en ressent le besoin.
Propos recueillis par M.-P. G.