Cette année, Le Temps fête ses 20 ans. Né le 18 mars 1998, il est issu de la fusion du Journal de Genève et Gazette de Lausanne et du Nouveau quotidien. Nous saisissons l’occasion de cet anniversaire pour revenir sur ces 20 années, et imaginer quelques grandes pistes pour les 20 suivantes.

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On les dit impatients, globe-trotters, obsédés par la technologie et la purée d’avocat. Comme des souris de laboratoire, les millennials sont scrutés, décortiqués et affublés de toutes sortes de caractéristiques censées décrire les «jeunes d’aujourd’hui», comme on dit.

Robin Stauffer, lui, est né le 18 mars 1998. Le jour où sortait le premier numéro du Temps. Techniquement, il est en queue de peloton de la génération Y. Mais, on s’en rend compte assez vite, Robin ne remplit pas toute la check-list des stéréotypes. Il ne sirote pas ses spritz dans des bocaux en verre, n’a pas les chevilles à l’air et ne se déplace pas en Uber.

Une histoire qui résonne

Pourtant, on retrouve chez ce natif des Ponts-de-Martel, dans les Montagnes neuchâteloises, les mêmes pommettes aux rondeurs pouponnes, le même regard mi-timide, mi-défiant qu’ont tous les gens de 20 ans. Comme ses contemporains, Robin ne se prétend le représentant de rien mais rêve de tout, prêt à saisir ce que son époque a à offrir. En cela, son histoire résonne avec des millions d’autres.

Une histoire qui démarre au petit matin, dans une étable… et en fanfare. Alors qu’il est au milieu de la traite de ses 30 vaches, Thierry Stauffer a de la visite. Il n’y a pas de téléphone dans l’écurie, alors c’est le voisin qui le prévient: sa femme est en train d’accoucher et elle connaît quelques difficultés.

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Ni une ni deux, Thierry abandonne ses mamelles et descend en vitesse à la maternité de Landeyeux, dans le Val-de-Ruz. Nous sommes le 18 mars 1998. Une manifestation albanaise au Kosovo fait des ravages, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger menace de faire capoter les bilatérales, on s’apprête à recevoir les Spice Girls à Lausanne et, après «une césarienne à la der», Robin rejoint le clan des Stauffer.

J’aurais raté tellement de choses si j’avais grandi en ville! Je serais resté enfermé dans ma chambre, à jouer à la console… Quand je m’embêtais, moi, j’allais jouer dehors, tout simplement

Après cette arrivée chaotique, ses premiers pas seront paisibles. Petit garçon à l’humeur joviale, Robin voit fleurir l’an 2000 sur le plateau verdoyant du «Haut», entre l’école aux Ponts-de-Martel et la ferme familiale. Enfant, avec son grand frère Quentin, il aime chevaucher les vaches comme des poneys, en particulier Balavoine, la plus gentille du cheptel. «Quand je l’ai vendue, il m’a dit que j’étais un salaud», se souvient son père, attablé à la cuisine où le mobilier en bois massif tranche avec un parquet gris moderne.
 

Robin vit une enfance en plein air, protégée sans être gâtée, qu’il évoque avec tendresse devant une part de quatre-quarts. «J’aurais raté tellement de choses si j’avais grandi en ville! Je serais resté enfermé dans ma chambre, à jouer à la console… Quand je m’embêtais, moi, j’allais jouer dehors, tout simplement.»

Vélomoteurs et selfies

Même à l’adolescence, Robin ne se rebelle pas contre cette campagne qui l’a bercé et qui aurait pu l’étouffer. Au contraire, il la sillonne volontiers sur des vélomoteurs maquillés de ses mains bricoleuses. Et nul besoin de club branché: le soir, sa bande organise une torrée, sorte de barbecue de pâturage, ou pétarade à dix, vingt kilomètres de là pour rejoindre une fête de Jeunesses… avec quelques belles cuites à la clé.

Et puis les modes s’invitent aussi jusqu’aux Ponts-de-Martel. Vestimentaires d’abord («les casquettes plates, quelle horreur!»), puis numériques: Robin vit la chute de MSN Messenger et, rapidement, la frénésie Facebook. «Il fallait avoir 13 ans pour ouvrir son compte. J’ai triché sur mon âge pour l’ouvrir à 12», sourit le jeune homme, qui lui a depuis préféré WhatsApp et Instagram, où il poste un mix de selfies et de souvenirs à ski. Mais pas question de vivre les yeux rivés sur son écran cinq pouces: l’obsession des «plus jeunes, qui ne vivent que pour leur Natel», ça a tendance à l’agacer.

Saturne dans le champ

Si son petit coin de nature «le botte bien», Robin l’ado ne rêve pas de reprendre la ferme parentale pour autant. Au sortir du secondaire, c’est décidé: il veut devenir serrurier. Ou menuisier. Travailler avec ses mains, quoi. Finalement, ce sera un apprentissage de mécanicien à Fleurier, où l’envoient ses parents, résignés et, tout compte fait, heureux.

Mais après trois ans de maturité intégrée, Robin le manuel ressent soudain la soif d’étudier. Cap donc sur la Haute Ecole Arc de Neuchâtel, où il entame, ultra-motivé, un cursus d’ingénierie en septembre dernier. Maths, physique, chimie… les branches scientifiques, Robin maîtrise, et s’oriente déjà sur son nouvel objectif: l’aérospatial.

«L’univers, le système solaire, la galaxie… cette immensité, ça me passionne», glisse le jeune homme. Plus tard, il rêverait de travailler à la NASA, pour envoyer des satellites en orbite ou des sondes sur la planète rouge. Et pourquoi pas, un jour, faire partie du voyage. «Une mission sur Mars? Je signerais tout de suite!»

Je ne me considère pas comme un écolo, mais les énergies renouvelables, c’est quand même l’avenir. En tout cas plus que les centrales nucléaires.

En attendant, Robin se régale de vidéos YouTube ou de films hollywoodiens qui racontent l’espace. «Le dernier en date, c’était Interstellar. Il m’a fait cogiter pendant trois jours!» Mais les étoiles, Robin aime surtout les observer en vrai. Dans sa chambre, entre les posters colorés et son petit bureau d’enfant, il nous présente un imposant télescope, commandé sur Internet. «Quand le ciel est dégagé, je l’installe dans le champ juste devant la maison. Je peux parfois apercevoir Saturne ou Jupiter.»

Et si le firmament, ça ne marchait pas finalement, Robin se verrait bien étudier le vertige, plus bétonné, des barrages hydrauliques. «Je ne me considère pas comme un écolo, mais les énergies renouvelables, c’est quand même l’avenir. En tout cas plus que les centrales nucléaires.» Au point que pour les 50 ans de sa maman, le cadet a découpé et soudé une mini-éolienne, qu’on aperçoit dehors, trônant sur la table de ping-pong.

Ces dernières années, c’est comme si tout s’était accéléré. Je me dis qu’il faut que je profite, que je voyage avant qu’il ne soit trop tard.

N’allons pas jusqu’à dire que Robin s’inquiète du réchauffement climatique. Ni des défis politiques et budgétaires qui agitent Neuchâtel. A l’image de son look façon coupe en brosse et sweat-shirt, le vingtenaire n’est pas un angoissé. Ou plutôt, il n’y réfléchit pas vraiment, s’informant assez peu de la santé du monde sauf lorsqu’il questionne la barre de recherche Google. Oui, il connaît Le Temps, mais de nom seulement.

Son monde lui suffit, et l’avenir ne lui semble pas un défi insurmontable. Au contraire, Robin l’envisage avec un mélange de sérénité, de naïveté et d’excitation, comme un gamin dans un magasin de bonbons. «A l’époque, nos parents trouvaient leur voie et la suivaient jusqu’au bout. Aujourd’hui, il est plus facile de changer d’avis en cours de route. J’ai l’impression qu’avec un peu de motivation, tout est possible.»

L’amour vieux jeu

Une seule angoisse au tableau: celle de voir sa jeunesse filer trop vite. «Ces dernières années, c’est comme si tout s’était accéléré. Je me dis qu’il faut que je profite, que je voyage avant qu’il ne soit trop tard.» Autrement dit, avant la famille, que Robin espère fonder à 30 ans et à la campagne idéalement, pour offrir à ses enfants la même jeunesse que lui.

Aujourd’hui, après une relation de deux ans, le jeune adulte est célibataire. Mais ne lui parlez pas de l’amour à la sauce Tinder. «Je me vois mal trouver une fille, enfin, une femme, avec une application. En fait, je suis assez vieux jeu. J’espère que je me marierai une seule fois, et que je mourrai avec ma femme.»