PORTRAIT
Depuis trois ans, l’éducatrice anime une éco-crèche, à Genève, où les petits courent et créent dehors, par tous les temps. En septembre prochain, la jeune femme envisage d’ouvrir une école sur le même modèle

Faire le portrait de Sandrine De Giorgi, c’est accepter d’enfiler des bottes et de s’enfoncer dans la forêt. Sentier boueux, feuilles de chêne par brassées, la promesse d’un chevreuil à l’arrivée: la balade a à peine commencé que, déjà, on se sent portée. Cette sérénité, 35 enfants de 2 ans et demi à 6 ans la vivent régulièrement dans l’éco-crèche que l’éducatrice a cofondée à Genève, en 2016. Toute la journée, les petits courent et créent, totalement à l’extérieur. Il y a bien une roulotte pour les siestes, mais, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, les Alice, Emile ou Arthur s’ébattent, sinon, en pleine nature.
«Cette immersion développe non seulement leur agilité et leur endurance, mais aussi leurs capacités cognitives et leur bienveillance», assure Sandrine De Giorgi, qui annonce une liste d’attente d’une centaine de candidats. Sur le même modèle, celle qui est également pédagogue par la nature et ambassadrice du projet «Dehors à petits pas» avec le WWF Genève et Silviva, vient de lancer, en septembre dernier, les mercredis nature pour les 4-8 ans. Son objectif 2020? Ouvrir une école en forêt, toujours à Genève.
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Vu la singularité de la démarche, on s’attend à rencontrer une jeune femme un peu baba cool. C’est tout le contraire. Sandrine De Giorgi est une trentenaire sérieuse, posée. «Je suis réfléchie, oui, depuis toute petite. Et fiable. C’est grâce à ces qualités que j’ai pu convaincre les services concernés. De toute façon, emmener des enfants en forêt exige une grande discipline.» Justement, quels sont les écueils du plein air? «Les enfants ne doivent rien manger de ce qui pousse en forêt et restent dans le champ visuel d’un éducateur. Sinon, que du bonheur!»
Seul le vent est un danger
Mais quand il pleut ou il gèle, ce doit être pénible de rester dehors durant huit heures, non? Sandrine sourit. «Quand il pleut, on tend une bâche au-dessus du canapé forestier pendant les activités sociales et créatives. Sinon, on fait des jeux de mouvements pour se réchauffer. Si on est bien équipé, ce n’est pas si terrible que ça. Le plus dangereux, c’est le vent et le risque de chute de branches. La loi impose l’existence d’un abri à proximité pour qu’on puisse s’y réfugier.»
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Dans la commune de Dardagny où se trouve l’éco-crèche, c’est le centre Pro Natura qui remplit cette fonction. A la Petite-Grave, à Cartigny, lieu des mercredis nature et de la probable future école en forêt, le domaine de la champignonnière sert de solution de repli. Dans les deux cas, les enfants ont rendez-vous avec les éducateurs à la gare de Cornavin et se déplacent en train puis en bus, question de cohérence écologique.
La nature a toutes les vertus
Mais pourquoi cette conviction de la nature comme lieu idéal d’apprentissage? «J’ai grandi dans une maison à Chavannes-des-Bois et mes parents, secrétaire et architecte, avaient un potager sur les flancs du Salève que nous avons, mon frère, ma sœur et moi, soigné. La nature m’a toujours réjouie. Elle apaise l’âme, galvanise le corps, instruit l’esprit, stimule la coopération et renforce la réactivité. Elle offre un terrain de découvertes inouï et, avec l’urgence climatique, éduque les petits aux gestes salutaires pour l’écologie.»
Parce qu’ils n’avaient pas envie de dépendre d’une voiture, Sandrine et son mari architecte se sont établis en ville. Mais lorsque en 2015, leur aîné, Marcel, a rejoint la crèche du quartier, le couple a éprouvé une telle frustration face au peu de plein air proposé qu’il a lancé, avec d’autres parents et professionnels, la création de cette éco-crèche. Comme Sandrine était éducatrice de la petite enfance depuis 2006 et avait développé un vaste réseau en devenant adjointe pédagogique en 2011, les appuis ont rapidement afflué.
Le financement? «Au départ, nous n’avions pas de subventions. Nous avons bénéficié d’un crowdfunding pour faire démarrer le projet et construire la roulotte destinée aux siestes, mais les cotisations étaient entièrement à la charge des parents. Aujourd’hui, la crèche fait partie du réseau de la ville de Genève et elle est subventionnée comme n’importe quel établissement.» Sophie, sa petite fille de 4 ans, a pleinement profité de ce cadre rêvé.
Les pieds sur terre
En septembre dernier, lorsque les enfants de la première volée ont atteint l’âge scolaire, Sandrine a mis sur pied des mercredis nature où là aussi, les enfants jouent et créent plusieurs heures en forêt, quelle que soit la météo. «Avec Bruno Chevrey, président de l’association, nous avons fondé le label «Geducation par la nature» de sorte à développer plusieurs offres de formation dans tout le canton.»
On le voit, Sandrine n’est pas perchée à la cime des arbres. Elle qui a pour amie la conseillère élue aux Etats Lisa Mazzone est bien ancrée dans la réalité du terrain. Mais elle cultive aussi un côté très créatif – elle a fait sa maturité artistique au Collège Voltaire – et suit un enseignement bouddhiste pour transmettre cette sensibilité aux enfants.
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Avant l’entretien, sur le canapé forestier construit avec l’aide d’amis et de parents, la jeune femme propose d’ailleurs un petit rituel de pleine conscience. Elle nous invite à fermer les yeux, à respirer profondément et nous donne un gland et un peu de mousse dans le creux de la main avec la proposition de, non pas reconnaître ces éléments, mais de les (res)sentir. L’exercice est troublant. A la fin, on lève les bras au ciel et on prend l’énergie de la nature pour l’amener dans notre cœur. C’est atypique et puissant. Sous ses airs de sage enseignante, Sandrine De Giorgi est atypique et puissante.
Profil
1983 Naissance à Genève.
2002 Maturité artistique au Collège Voltaire.
2006 Diplôme d’éducatrice de la petite enfance.
2010 Tour du monde en couple, sac au dos.
2016 Création de la première éco-crèche genevoise.
2019 Création des mercredis nature et ambassadrice du projet «Dehors à petits pas».