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Envol vers la lumière

Cinéaste français parmi les plus doués, l'auteur de «Roberto Succo» s'est essayé au film pour enfants avec «L'Avion». Reconversion ou accident de parcours?

«J'ai deux enfants, une fille et un garçon de 7 et 10 ans. Sans eux, je n'aurais jamais fait ce film. Ils sont devenus mon premier public.» Cédric Kahn n'est pas du genre à cacher ses motivations profondes, aussi triviales puissent-elles paraître. Rare film français conçu pour être vu en famille sans que les uns ou les autres ne s'ennuient, L'Avion (Lire LT du 20.7.2005) n'en porte pas moins la marque de son réalisateur. Un cinéaste discret, a priori classé «auteur» et «compétitif» dans les grands festivals, mais qui a surpris tout le monde en signant ce film plus ouvertement commercial. Un film né d'une commande, inspiré d'une bande dessinée et lorgnant clairement du côté de Spielberg! Volte-face? Trahison? Pas à l'en croire.

Le champ de l'imaginaire

«J'ai toujours aimé le cinéma de genre, même si j'ai du mal à en accepter tous les codes. Le genre ouvre le champ de l'imaginaire et n'empêche pas d'être sincère. Feux rouges d'après Simenon a été mon premier essai, mais c'est par hasard qu'il s'est fait avant L'Avion, dont le scénario était déjà prêt.» Voilà qui nous éloigne inexorablement de ses débuts en 1991-92, avec Bar des rails, un premier film salué par une presse unanime pour son réalisme sans faille. «Une histoire d'amour qui déraille», comme il avait coutume de dire. A l'époque en France, il naissait des «enfants de Pialat et de Cassavetes» toutes les semaines et Kahn y figurait en bonne place, pour avoir débuté à 20 ans comme stagiaire de Maurice Pialat qui tournait Sous le Soleil de Satan.

«C'était en partie une fabrication des journalistes», juge aujourd'hui Cédric Kahn, «qui ont confondu nos ambitions avec nos modestes moyens de production.» Depuis, chacun s'en est allé de son côté et il ne viendrait à plus personne l'idée de lui trouver des points communs avec ces maîtres ni avec des contemporains comme Arnaud Desplechins, Eric Rochant, Laetitia Masson ou Xavier Beauvois. De toute façon, il s'est toujours senti à part pour avoir grandi à la campagne, où ses parents avaient préféré s'installer peu après sa naissance en banlieue parisienne, en 1966. Ce n'est donc pas la cinéphilie qui lui a donné envie de faire du cinéma. Un désir apparemment aussi flou que fort lorsqu'il décide de rallier Paris après le bac. «Je m'étais inscrit à l'université comme prétexte, dans l'idée de me présenter aux concours d'entrée d'écoles de cinéma. Mais des opportunités de travailler se sont présentées avant, et en troisième année de fac, j'ai tout plaqué.»

Un ami assistant de production le met en contact avec la comédienne Brigitte Roüan, qui cherche un jeune coscénariste pour sa première réalisation, Outremer. C'est sur ce tournage qu'il fait la connaissance du monteur Yann Dedet qui le prend sous son aile. «Mon travail avec lui a été ma vraie école», reconnaît-il. Plus tard, il fera appel à Dedet pour monter ses propres films. En attendant, deux courts métrages l'amènent à réaliser son premier long et à cosigner le scénario de Les Gens normaux n'ont rien d'exceptionnel de Laurence Ferreira Barbosa, autre film-phare de la jeune génération. Puis c'est la commande d'Arte pour un téléfilm de sa «collection» sur l'adolescence, Tous les garçons et les filles de leur âge. Comme ceux d'André Téchiné et d'Olivier Assayas, le sien connaîtra les honneurs d'une version longue pour le cinéma sous le titre de Trop de Bonheur (1994).

Le complexe de l'autodidacte

Mais cet apprentissage sur le tas a aussi son revers. «L'avantage de n'avoir jamais placé le cinéma très haut, c'est que j'ai pu me lancer très tôt sans y voir un objet inaccessible. Par contre, je souffre encore aujourd'hui du complexe de l'autodidacte. J'ai souvent de la peine à exprimer précisément ce que je veux et je me sens toujours comme un semi-amateur, qui doute de sa légitimité.» Une ambivalence que l'on retrouve face à la presse spécialisée qui l'a vite adopté. «Positif est resté plus fidèle que Les Cahiers du cinéma, mais de toute façon je garde une certaine distance. Sentir la hauteur des attentes placées sur vous peut paralyser. Et j'ai trop besoin de me sentir libre, de conserver un certain capital d'insouciance.»

Sans ça, comment aurait-il osé ensuite adapter L'Ennui d'Alberto Moravia, un auteur jugé «passé de mode» par les producteurs? Pour finir, sa ténacité s'avère payante, et cet étrange récit d'une passion sexuelle reste aujourd'hui encore son plus grand succès public. Trois ans plus tard, Roberto Succo, la cavale d'un tueur en série traitée avec une sécheresse quasi documentaire, assoit une réputation de cinéaste attiré vers la part obscure de l'humain. D'où sans doute la proposition d'un Simenon très noir, qu'il choisira pourtant de tirer vers la lumière.

Besoin d'une pause

En ce sens aussi, L'Avion tombe bien. Cédric Kahn ne se cache pas d'avoir beaucoup pensé à E.T.. «En réalisant un film pour enfants, je crois qu'on se plonge instinctivement dans ses propres souvenirs de jeunesse. Mais mon film est aussi très différent. Je resterai toujours attaché à un certain naturalisme, parce que j'ai besoin de croire à ce que je raconte.» Même après avoir tâté du merveilleux à base d'effets spéciaux, le plus difficile et gratifiant pour lui demeure ainsi de «capter une émotion sur un visage».

A présent, après deux films en deux ans, il avoue avoir besoin d'une pause. «Plus que tout, j'ai peur d'enchaîner sans plus savoir pourquoi je fais des films. Mais autrement, j'ai plus de projets que de temps à disposition! Pour moi, la difficulté consiste à hiérarchiser. En général, j'ai tendance à me lancer dès que je vois clignoter les panneaux «attention danger»!»