François Brahier a installé son franches-montagnes, Escobar, dans une écurie de six chevaux qui comprend des boxes avec terrasse, des prés et un petit paddock en écorce. L’écurie est l’ancienne remise d’un agriculteur à la retraite et les propriétaires nettoient les boxes à tour de rôle.

Ses débuts

«Les chevaux ont toujours été ma passion. Je montais dans une écurie où il y avait 11 filles et un garçon, moi. Je nettoyais les boxes le matin pour pouvoir monter gratuitement. Si, en plus, je voulais suivre une leçon, cela coûtait 5 francs. Je la finançais en rendant des petits services aux voisins. Je ne venais pas d’un milieu équestre ou aisé, mon idéal était Zorro.

A l’époque, on disait qu’il fallait dominer le cheval, le «casser». Mais je n’avais pas la force pour le faire et ça ne faisait pas partie de mon tempérament. Je me préparais à passer la licence, mais le cheval que je montais a été vendu un mois avant l’examen. J’en ai débourré un autre mais, cette fois encore, il a été vendu. Ça m’a tellement dégoûté que j’ai tout arrêté. J’avais 19 ans.»

Son cheval

«Escobar, un franches-montagnes de 12 ans surnommé Topet. En 2005, j’ai été victime d’un burn-out. J’ai été en arrêt pendant huit mois et ça m’a obligé à me poser des questions de fond avec un psy et un guide spirituel. Pour mon anniversaire, mes enfants et ma femme m’ont offert un abonnement de leçons au centre équestre du village. J’ai regoûté à des sensations que j’avais refoulées et j’y ai pris du plaisir, même si je ne voulais pas m’attacher.

Par la suite, je me suis rendu au marché concours de Saignelégier car je voulais assister à une présentation de la méthode du chuchoteur Pat Parelli. En entrant sous la tente avec deux de mes filles et mon fils, un ami m’a dit: «J’ai un cheval pour toi, je ne te dis pas lequel, va regarder.» Il y avait 24 chevaux de 3 ans sous la tente et mes enfants et moi en avons repéré deux. C’était un de ceux-là. Le regard d’Escobar m’a tout de suite plu. Il se tenait un peu en retrait dans son box, et j’ai aimé ça, parce que je ne suis pas un fonceur non plus. La présentation de Pat Parelli n’a pas eu lieu, mais toute la nuit, je me suis posé des questions. Le lendemain, j’y suis retourné et j’ai monté un peu Escobar. Sous cette tente et dans le brouhaha, la mayonnaise n’a pas vraiment pris. Mon ami avait deux acheteurs et j’ai dû me décider. Je me suis dit: «Je n’ai pas fait beaucoup de folies dans ma vie, je l’achète.» Je n’avais même pas demandé ses origines.»

Sa discipline

«J’aime la promenade. Je ne voulais pas mater ni dominer mon cheval et, du coup, il ne savait pas qui tenait les commandes. Alors que je ne le montais que depuis trois mois, Escobar m’a pris les rênes et est parti au galop sur une route goudronnée en descente. Je me suis cru sauvé quand j’ai pu tourner dans un champ et m’arrêter. Je me suis mis face à Escobar pour avoir une petite explication avec lui, mais il a reculé dans une clôture électrique, s’est pris le jus et est reparti au grand galop. Accroché aux rênes, je me suis pris quatre piquets dans la tête avant de le lâcher. Je me suis déchiré les ligaments des épaules et le cheval s’est enfui. Après cette histoire, il avait peur dès que je me mettais en face de lui. Et comme, avec mes épaules, je ne pouvais plus monter, j’ai commencé à le travailler au sol avec des exercices de la méthode Pat Parelli. Je me suis rendu compte que je devais d’abord maîtriser ma peur pour qu’il maîtrise la sienne.

»Quand Escobar a eu 4 ans, je l’ai utilisé comme cheval de bât pour partir marcher trois jours avec mon frère. Un soir, je l’ai lâché dans une pâture pour qu’il se défoule, mais un paysan a ouvert le portail et il s’est enfui. Je le cherchais quand je l’ai vu arriver au galop sur un chemin en herbe le long d’un mur de pierres sèches. Le soleil se couchait derrière lui et j’ai eu une vision d’émerveillement. J’ai sifflé et il est revenu. Je lui ai dit: «Si tu es capable de revenir, tu peux repartir faire le fou.» Et chaque fois que je l’ai sifflé, il est revenu. Ça a été une étape constitutive très forte. Il m’a montré le lâcher-prise. Et m’a fait comprendre l’importance de la synchronisation des gestes et des tripes.»

Ça lui apporte

«Le cheval m’a invité à me repositionner et à me recentrer sur ma vie familiale et professionnelle. Il m’a aidé à redevenir moi. Escobar, qui avait beaucoup de potentiel, aeu la délicatesse de réduire sa voilure pour venir me chercher, moi le vieux jeune cavalier. On a remonté la pente ensemble, c’était un cadeau de pouvoir grandir avec lui.

»Je travaille avec des handicapés mentaux et Escobar m’a appris le langage du corps, la juste distance pour entrer en relation. Quand je venais à la rencontre d’un handicapé, j’arrivais souvent face à lui avec un air jovial et je lui posais la main sur les genoux. Mais un homme se détournait systématiquement. Une fois, j’ai fait comme avec Escobar, je me suis mis à côté de lui à genoux. Et c’est la personne handicapée qui a elle-même posé sa main sur la mienne.

»Mon métier est prenant. A cheval, je me recentre et je prie. Je suis en lien avec la nature et je peux y déposer des situations et être prêt à en accueillir d’autres. Parfois, je vais juste brosser mon cheval à 10 h du soir. On ne se dit pas grand-chose, c’est tactile.»

Son modèle

«Jean-Luc Mayor, un chuchoteur, est venu faire une présentation dans la région et il a parlé de choses auxquelles j’aspirais avec mon cheval. Je me suis renseigné et j’ai entendu parler de Pat Parelli, d’Andy Booth et d’une méthode qui concilie l’éthologie avec la monte en selle anglaise, elle s’appelle la Cense.»

C’est cher, l’équitation?

«Ici, monter à cheval est meilleur marché qu’ailleurs. Ça me coûte environ 300 francs par mois en nettoyant les boxes. Mais j’ai dû arrêter d’autres sports comme le ski, parce que je n’ai plus les moyens de m’équiper. Si c’était plus cher, je ne pourrais pas monter.»