Les ex, savoir couper sans (se) blesser
Couple
S’aimer beaucoup, s’aimer moins et se quitter. La ronde inexorable concerne un couple sur deux dans nos villes. Petit précis pour se séparer sans se lacérer

Mettre l’ex à distance et le considérer de façon saine. Ni haineuse, ça ronge, ni nostalgique, ça parasite. Plus facile à dire qu’à faire. Dans Se libérer de ses ex, la journaliste Laurence Ostolaza et le psychanalyste Saverio Tomasella montrent que, trop souvent, les ex continuent de hanter notre paysage (senti) mental et de s’immiscer dans nos relations actuelles. L’affaire est d’autant plus corsée quand il y a des enfants en commun ou quand la personne quittée se transforme en harceleur, harceleuse du quotidien. La solution? Ne pas tomber dans le piège de la culpabilité, même s’il y a des menaces de suicide, prévient le psy. «Personne ne peut être tenu pour responsable de quelque chose qu’il n’a pas voulu.» Conseiller une thérapie, appeler les amis de l’ex, appeler les pompiers même s’il le faut, mais ne jamais céder au chantage affectif, c'est la seule manière d’entamer le deuil nécessaire. Petit précis d’une séparation réussie.
Pourquoi se quitter
L’ouvrage commence par le commencement. Les séparations, qui sont légion. En Occident, un couple sur deux dans les villes, un couple sur trois dans les campagnes, divorce. Pourquoi autant de ruptures? Pour deux raisons, qui ont été bien cernées par la thérapeute Sylvie Angel dans un précédent article consacré au divorce. D’une part, la société individualiste prépare mal les jeunes parents aux sacrifices et aux frustrations qui naissent en même temps que naissent les enfants. D’autre part, et plus généralement, le couple est victime d’une trop grande idéalisation: alors que l’homme et la femme se savent imparfaits et s’acceptent comme tels, ils exigent que leur couple, lui, soit parfait et le rendent responsable de tous leurs maux.
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Dans Se libérer de ses ex, Laurence Ostolaza pointe une troisième raison qui va de pair avec son sujet. «Bon nombre de personnes retournent avec leur premier amour ou leur ancien partenaire. C’est devenu un phénomène de société, exploité par le cinéma et les réseaux sociaux qui facilitent ces retrouvailles, surfant sur l’espoir partageable d’un retour aux élans de l’adolescence.» C’est charmant, sourit la journaliste, mais c’est souvent raté, «car les neurosciences démontrent qu’on ne retrouve jamais l’émotion du tout premier baiser avec le même partenaire». On appelle cela l’«adaptation hédoniste». La solution pour durer? «Réinventer, surprendre, étonner. Les nouveaux héros de la conjugalité ont bien compris qu’il ne faut pas changer la valeur constante de l’amour, mais bien les variables», observe l’auteure. Qui conseille encore aux couples de bannir le reproche et de lui préférer la communication sans violence ou de «partager des activités de sorte à mettre leurs cerveaux en résonance».
Comment se quitter
Quand la séparation s’impose, comment la négocier au mieux? Pour le psychanalyste Saverio Tomasella, la coupure nette est nécessaire. «Les ex qui la jouent détendue et restent en contact n’entament pas vraiment le deuil.» Souvent cette bonne entente est compréhensible, car liée aux enfants, mais, sur le plan intime, elle brouille les cartes, détaille le spécialiste. Le risque de ce déni? «Glisser vers l’aveuglement et l’insensibilité, par souci de confort et d’harmonie.» Les ruptures sont violentes, explique-t-il, car «elles réactivent l’une des peurs primaires de l’être humain, celle de l’abandon». Il faut donc accepter cette violence, entamer un processus de digestion qui dure en moyenne deux ans, pour repartir ensuite vers de nouveaux émois, le cœur et le corps légers.
Le besoin de s’étourdir
Etonnamment, Saverio Tomasella ne condamne pas les personnes qui, retardant leur deuil amoureux, s’amusent beaucoup. Noémie: «J’ai besoin de sortir, d’oublier tout ce gâchis, de me sentir belle. Je veux faire la fête et ne plus penser à rien.» A la journaliste qui, sur la base de ce témoignage, demande si s’étourdir est la solution, le psychanalyste répond: «D’un point de vue moral et rationnel, la réponse est non, et bien des «psys» adoptent ce point de vue par facilité, faible compétence et manque d’humanité. Je ne serais pas aussi sévère. Noémie explique très bien qu’elle n’arrive pas à faire autrement et que, sinon, ce serait l’écroulement. De fait, cette période de tournis lui a permis de faire face. Passé ces quelques mois de distraction, Noémie a trouvé un nouveau travail, s’est posée et se recentre sur sa relation avec ses enfants.»
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Les piliers du deuil
Car, lorsqu’on se sépare, il faut absolument prévoir le vide lié à ce départ. Et trouver comment l’occuper en partie, sinon c’est le vertige. Louis: «Lorsque mon ex m’a annoncé sa décision de ne pas revenir, je n’ai pas pu m’empêcher de marcher dans l’appartement durant trois jours et deux nuits, comme si rester immobile me condamnait à la mort.» La marche forcée peut être une solution… Le travail revalorisé, une activité sportive ou récréative et les amis constituent de meilleures options. Ne pas hésiter non plus à se faire masser pour que le contact physique demeure. Et, bien sûr, des thérapies peuvent aider à passer le cap. Saverio Tomasella est confiant. «Le cerveau, très souple, est friand de changement. Il ne demande qu’à créer des nouvelles connexions neuronales, selon un processus appelé la «neurogenèse». Ces nouvelles connexions permettent de prendre des nouveaux chemins de vie et de passer à autre chose.» Ainsi, lors d’un deuil, ce sont plus la morale et les projections psychologiques primaires qui freinent la transition que la neurophysiologie, toute disposée à innover.
Quand l’ex s’obstine
Justement, dans son ouvrage, Laurence Ostolaza cite des cas de harcèlement primaire de la part d’ex coincés sur la case ressentiment, qui ont parfois duré jusqu’à… quinze ans! Coups de téléphone incessants – jusqu’à 40 en trois heures! –, appels dénigrants aux collègues et aux membres de la famille, SMS rageurs et, bien sûr – c’est le pire –, utilisation des enfants comme moyen de pression. Que faire lorsque la séparation tourne au cauchemar? La journaliste conseille sans hésiter l’action judiciaire. Le harcèlement par téléphone est sanctionné d’une lourde amende et suivi de mesures restrictives. «Oui, mais», répondent les harcelés, qui partagent souvent des enfants avec leur ex harceleur, «porter l’action en justice signifie envenimer la situation». Faux, répond l’auteure. Tous les cas de harcèlement qu’elle a rencontrés se sont clairement calmés lorsque la justice a tranché. Et, souvent, le lien avec les enfants s’est amélioré.
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Quand l’ex déprime
Chantage affectif, menaces de suicide. Parfois, séparation rime avec dépression et/ou manipulation. Que faire quand un ex actionne ce levier? Saverio Tomasella: «Le mieux serait de ne pas céder à cette odieuse prise en otage, mais comment ne pas être impressionné par une menace de mort? Dès lors, il faut empêcher le passage à l’acte, en retirant les médicaments et tout objet qui pourrait servir ce dessein, puis appeler les pompiers. Ensuite, il faut inviter cette personne à consulter. Enfin, il faut confier la situation aux amis et à la famille de l’ex en crise et s’éloigner. Il n’est pas sain que le fauteur (involontaire) du trouble soit en même temps le médecin.» D’ailleurs, prévenir des proches et garder les preuves de cette action de soutien permet de se protéger devant la loi en cas de suicide, indique Roland Poynard, avocat parisien. Car pousser quelqu’un au suicide peut être qualifié d’assassinat, moyennant les preuves d’une manipulation psychologique, précise le pénaliste. Que l’on se rassure, le passage à l’acte dans ces cas où l’orgueil est blessé est d’une grande rareté. Le plus souvent, la personne crie au loup et l’avocat conseille aux ex concernés de «rester sourds à ce chantage».
Quand les ex s’alignent
Heureusement, en règle générale, la séparation ne connaît pas ces grands drames. Elle n’en demeure pas moins une épreuve qui peut être adoucie, observe Laurence Ostolaza, moyennant ces constats à se déclarer mutuellement: «Nous avons fait au mieux durant notre relation, en fonction de notre énergie, de nos capacités et de nos héritages familiaux et/ou culturels. Les torts sont partagés, chacun a sa responsabilité dans la dégradation de la situation. Cette séparation fait partie de notre chemin de vie, il est important d’en tirer les enseignements pour ne pas commettre les mêmes erreurs à l’avenir. L’échec n’existe pas, la fin de la relation est une expérience, une expérimentation. Une fois la séparation accomplie, nous faisons de notre mieux, si nous sommes parents, pour rester respectueux de sorte à bien accompagner, réconforter et soutenir nos enfants.» Si le climat du moment ne permet pas une telle reconnaissance, les ex peuvent recourir à des conseillers conjugaux ou à des médiateurs. Tomber d’accord sur ses désaccords est déjà une manière de panser les plaies et de regarder vers l’avant.
Se libérer de ses ex, Laurence Ostolaza et Saverio Tomasella, Ed. Odile Jacob, Paris, 2019.