La méditation. Quand on n’en connaît rien, on panique à seulement imaginer le cahier des charges à respecter. Un endroit désert pour bien se poser, déjà, sans aucun bruit parasite. Puis allumer un bâtonnet d’encens, fermer les yeux, plonger dans son propre vide et les tréfonds de son inconscient pour trouver la lumière. Déchiffrer le sens de la vie, devenir un sage pour l’éternité. Un programme si dense qu’aucun être humain n’en a jamais trouvé la clé, et surtout pas Fabrice Midal.

Voilà vingt-cinq ans qu’il pratique et quinze ans qu’il enseigne la discipline. Son bureau n’est pas un habitat troglodyte ou une mansarde perchée loin de toute civilisation. Il a choisi de s’établir à La Défense, peut-être l’endroit le plus oppressant de la région parisienne avec ses labyrinthes indéchiffrables et ses farandoles de tours à 40 étages. Haut perché, le regard sur la ligne d’horizon, il s’amuse devant les clichés qui courent encore sur un exercice pourtant simplissime à ses yeux: «La méditation est présentée partout comme le remède ultime pour se calmer ou s’isoler. Alors qu’elle n’est pas faite pour se mettre à l’abri du monde, mais au contraire pour mieux s’y intégrer.»

Lire aussi: A l’école, méditer pour mieux apprendre

Un lien avec la Suisse

Fabrice Midal est ravi qu’un quotidien suisse s’intéresse à lui parce qu’il a un lien particulier avec ce pays: «Mes quatre grands-parents, juifs ashkénazes, ont la même histoire: mes deux grands-mères sont tombées enceintes en 1943 et 1944 et ont pu être sauvées en entrant dans votre pays. Grâce au travail suisse sur la mémoire, j’ai pu lire les comptes-rendus des interrogatoires faits par les gardes-frontière. C’est bouleversant.» Lui a grandi à Paris: milieu très modeste, père représentant et mère secrétaire, pas de livres à la maison. Une scolarité avec des résultats catastrophiques, la sensation de ne «rien comprendre». Avant de découvrir la philosophie en classe de terminale.

Ne demande jamais ton chemin à qui le connaît, tu risquerais de ne pas pouvoir t’égarer

Rabin Nahman de Bratslav

Son histoire raconte essentiellement deux choses. D’abord un message d’espoir pour tous les cancres du monde: ne désespérez pas, un destin meilleur vous attend quelque part. Puis un rappel de l’importance du rôle du père dans chaque vie ici-bas: «Le mien allait voir les profs chaque fin d’année pour leur expliquer que j’allais m’y mettre à fond pendant l’été. Il était vraiment très convaincant, c’est lui qui m’a permis de tenir jusqu’au bac, où je me suis réveillé.»

L'éducation, cette pression

Docteur en philosophie, il se montre cependant plus loquace sur une autre pratique qui a changé sa vie: la méditation. Il parle d’un «choc libérateur, un avant et un après». De sa chance d’avoir été initié par le philosophe chilien Francisco Varela: visites et séances de travail innombrables, afin d’arriver à une maîtrise suffisamment convenable pour l’expliquer aux autres. Avec en premier lieu ce constat: le monde marche sur la tête et ne semble pas vouloir se retourner. «Notre éducation est basée sur la pression. Parfois, les gens s’effondrent parce qu’ils veulent trop bien faire. Ceux qui ont fait un burn-out découvrent ensuite qu’on peut vivre autrement. Mais on n’est pas obligé d’en arriver là pour s’en rendre compte», dit-il.

Tout comme il jure que la méditation permet un autre regard sur les choses. A condition cependant de déconstruire toutes les rumeurs et idées arrêtées sur le sujet. «Elle n’est plus liée au rituel bouddhiste et elle ne sert surtout pas à devenir plus calme et plus efficace. C’est le contraire, même: l’autorisation de se foutre la paix, de nous délivrer de l’asservissement de cette dictature de l’utilité et de la rentabilité propre à notre temps.»

Et la pratique, alors? On est si nombreux à s’avouer impuissant devant un tel mystère… Ce serait paraît-il mille fois plus simple que tout ce qu’on peut supposer. Il suffirait de s’asseoir, un peu où on veut. De laisser les pensées arriver, ce qui est de toute façon inévitable. De ne pas s’inquiéter si certaines séances se font fracasser par la colère et les soucis du quotidien, il n’y a rien de plus humain: «Parce que la méditation, ce n’est pas se désincarner. C’est sentir ses pieds sur le sol, entendre une voiture qui freine, un piéton qui parle. Sans essayer de comprendre ni de juger. En prenant acte, c’est tout.»

A ce sujet: La méditation, secret de beauté de l’âme

Une forme de révolution

Foutez-vous la paix!, voilà un titre qu’on pourra trouver un peu caricatural dans la niche «littérature de pensée positive». Mais le discours finit par toucher au fil de l’ouvrage. Fabrice Midal appelle à une forme de révolution en s’autorisant des rapports complètement neufs aux règles et à la discipline. Demande à ce qu’on arrête de confondre la sagesse avec l’absence d’émotions, en convoquant Nelson Mandela et le dalaï-lama: leurs larmes, leurs colères et leurs actes de désobéissance civile, pour expliquer que non, la sagesse n’est pas synonyme d’insensibilité. Cite Gandhi pour ceux obsédés par la recherche du calme: «Il ne faut surtout pas avoir honte de notre colère, elle est au contraire une énergie profonde pour nous dépasser.» Crache sans complexe sur la dernière injonction à la mode, le lâcher-prise: «N’essayez pas, vous n’y arriverez pas.»

Au final, une ode à l’expression de son ressenti, à l’absence de complexe et à la fin de la culpabilité. Un discours qu’il viendra défendre en personne à Genève en avril prochain.


Conférence de Fabrice Midal, Maison internationale des associations, 20h. Rens. sur son site. Il est également l’un des invités du Salon du livre de Genève.


Profil

1967: Naissance à Paris
1988: Rencontre avec Francisco Varela
2002: Création de l’Ecole occidentale de méditation
2017: Sortie de Foutez-vous la paix!