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«Face à des dangers comme les éruptions, les chercheurs peinent à être pris au sérieux»

Pour Jean-Jacques Wagner, professeur des sciences de la Terre à l'Université de Genève, il faut immédiatement organiser de manière durable l'occupation des terres autour de Goma. Sinon les habitants s'exposent aux dangers d'une prochaine coulée de lave, demain ou dans cinquante ans.

Le malheur avec les catastrophes naturelles comme celle de l'éruption du Nyiragongo au Congo, c'est l'oubli. Et la difficulté pour les scientifiques d'être pris au sérieux. Les populations qui vivent autour des volcans ont toutes les raisons d'y rester. En permanence, il y a de l'eau et des terres fertiles enrichies par l'altération de la lave. Le danger, lui, ne frappe que de temps en temps. Entre deux éruptions, les gens oublient, ou plutôt occultent le fait qu'ils habitent dans une région à haut risque. En plus, dans le cas du Nyiragongo, les systèmes de surveillance et d'information sont insuffisants, mal entretenus et en manque de personnel.

«Il est fondamental de penser dès maintenant à la survie de ces gens dans le long terme, explique Jean-Jacques Wagner, professeur au Département de minéralogie de l'Université de Genève. Il ne faut surtout pas se dire que l'éruption du siècle ou du millénaire vient d'avoir lieu et que la situation est désormais tranquille pour longtemps. Une nouvelle éruption peut survenir à tout moment. Dès demain, les commerçants vont remonter leur boutique, les habitants revenir à Goma, la vie va reprendre. Et ce sera trop tard. L'occupation des terres devrait être organisée dès maintenant en tenant compte de la menace du Nyiragongo. Il ne s'agit pas d'empêcher les gens d'habiter dans cette zone, mais de gérer l'espace de manière durable, un peu comme les régions sujettes aux crues. Qu'il y ait eu si peu de morts montre que la population a eu un bon réflexe. Mais il n'était pas nécessaire de fuir au Rwanda pour échapper à la lave. Il aurait suffi de monter sur les côtés du volcan, comme on le ferait pour éviter une crue.»

Le Nyiragongo est situé dans une région géologique active et très fissurée associée au Rift. Ces failles ont créé des fossés d'effondrement qui ont donné naissance aux Grands Lacs. En extrapolant sur des millions d'années, les géologues estiment que la partie est de l'Afrique se détachera du continent pour devenir une île. Le Nyiragongo et son voisin très proche, le Nyamuragira, représentent les deux cinquièmes de l'activité volcanique de l'Afrique. Une centaine de cônes parasites émaillent leurs flancs. Ce sont des strato-volcans, c'est-à-dire que leur lave est extrêmement fluide. Les habitants de Goma l'ont bien remarqué puisque la coulée a dévalé les flancs assez abrupts du volcan à plusieurs dizaines de mètres par seconde.

L'histoire du Nyiragongo est assez agitée. La particularité du volcan est de posséder un lac de lave au fond de son cratère culminant à près de 3500 mètres. La pression magmatique est suffisante pour l'alimenter sans cesse. Les chercheurs estiment qu'entre juin 1994 et mars 1995, le volcan a produit en moyenne 1,5 mètre cube de lave par seconde. Alors, de temps en temps, le lac déborde ou, plutôt, s'écoule par une fissure. Depuis qu'il a été répertorié pour la première fois en 1894 par un Occidental, au moins une vingtaine d'«éruptions» ont animé le Nyiragongo. La plus importante date de 1977. Une coulée de lave comparable à celle d'aujourd'hui avait dévalé la pente du volcan, mais s'était arrêtée avant l'aéroport. Elle avait tout de même fait entre 50 et 100 morts. Le niveau du lac de lave est resté menaçant jusqu'en 1982.

En 1994, en plein génocide rwandais, l'activité a repris, accompagnée de secousses sismiques. Dans le contexte géopolitique de l'époque – un million de réfugiés s'étaient installés près de Goma –, l'ONU avait envoyé des experts sur place pour évaluer le danger. Ils ont développé l'observatoire, installé quelques sondes mesurant les déplacements de terrains, la température des gaz, etc. «Mais pour pouvoir faire de la science et, surtout, de la prévention, il faut entretenir ces instruments et maintenir un personnel, estime Jean-Jacques Wagner. Il ne semble pas que le gouvernement en place ait eu les moyens d'assumer ces tâches.» Le résultat se voit aujourd'hui dans les rues de Goma: du caillou pur et dur qui figera à jamais la ville.