Famille
L’infertilité gagne de plus en plus de couples en Suisse. De nombreux facteurs sont en cause, dont l’âge plus avancé des potentiels parents. En outre, l'adoption est en baisse

Sur la photo de mariage, dans le passé, ils sourient timidement. Le cliché suivant, dans le vieil album familial, les présente un nourrisson dans les bras, neuf ou dix mois plus tard. Plus tard, devenu adulte, cet homme-là publie ses images dans des livres commandés sur Internet. Entre les photographies de son mariage et celle de la naissance de son premier enfant, de multiples pages pour raconter les vacances au ski ou à Cuba, l’année passée à l’étranger, les travaux dans la maison etc. De plus en plus, le projet d’enfant arrive tard, une fois que l’on a vécu un certain nombre d’expériences, terminé ses études, dégotté un emploi stable, un partenaire fiable et un logement convenable. C’est l’une des principales raisons à la baisse de la fertilité en Suisse, où le taux de fécondité stagne aujourd’hui à 1,54 enfant par femme contre 2,7 en 1964.
Age moyen à la maternité: 31 ans
Laissons parler les chiffres officiels, de l’Office fédéral de la statistique. L’âge moyen à la maternité ne cesse de grimper, de 31,2 ans en 2010 à 31,7 en 2014 – contre 28 ans au début des années 1980. Le nombre de pères de moins de 29 ans, lui, diminue depuis 2008 tandis que ceux de plus de trente ans et jusqu’à 50 ans et plus augmentent toujours plus.
«L’âge est l’un des principaux facteurs de la baisse de fécondité. 10% environ de la population est infertile si l’on considère l’ensemble de la Suisse, mais la proportion passe à 25-30% chez les individus de 30-35 ans souhaitant des enfants, note Didier Chardonnens, docteur spécialiste en gynécologie et médecine de la reproduction, président du laboratoire «babyIMPULSE» à la clinique des Grangettes, à Genève. Cela signifie que si ces dames avaient essayé de faire des enfants à 18 ans comme leurs grands-mères, elles en auraient probablement eu.»
Nette baisse de la fertilité à 35 ans
La fertilité, maximale dans la vingtaine, commence en effet à diminuer à 30 ans pour subir une nette inflexion à 35. Elle est très faible à 40 ans et quasi-nulle après. En cause: le risque plus élevé d’avoir contracté des maladies sexuellement transmissibles, l’endométriose – des îlots de muqueuse utérine qui s’implantent dans le ventre en dehors de l’utérus – et/ou la diminution des réserves ovariennes et de leur qualité, accentuée par la fumée, la pollution ou l’obésité. Le nombre de grossesses diminue en même temps que celui des fausses couches augmente.
Chez les hommes, une multitude de facteurs
Et les hommes alors? Didier Chardonnens relève que 60 à 70% des spermogrammes effectués lors de consultations pour infertilité sont anormaux, ce qui implique des spermatozoïdes trop peu nombreux, trop peu mobiles ou présentant une morphologie bizarre. «Là encore, c’est lié en partie à l’âge. Beaucoup de nos patients ont la fin de la quarantaine ou le début de la cinquantaine et des enfants d’une première union déjà adultes. Mais il y a aussi le tabac, l’obésité, la pollution de l’air et de l’eau, l’exposition aux perturbateurs endocriniens comme le PET ou encore la prolifération des champs électromagnétiques.» L’infertilité, dès lors, est souvent mixte et partagée. «C’est comme une moyenne à l’école: une très bonne note peut en racheter une mauvaise, mais si les deux sont médiocres…», image encore le professeur.
Les HUG tiennent leurs propres statistiques en la matière: un tiers des infertilités constatées ces deux dernières années résultent de facteurs mixtes à la fois féminin et masculin. A la multiplicité des problèmes répondent une palette de traitements, de la stimulation ovarienne à la chirurgie, qui permet de traiter entre autres myomes, endométriose ou dilatation des trompes. Entre 2014 et 2016, 14% des patientes de l’unité de médecine de la reproduction et d’endocrinologie gynécologique des HUG ont subi une opération. La même proportion a été dirigée vers des conseils en termes de sexualité, de perte de poids ou d’hygiène de vie. Près d’un tiers a tenté une fécondation in vitro (FIV).
Pour la FIV, une situation discriminante
«L’intervention, relativement lourde, n’est pas remboursée en Suisse alors que la France prend en charge 4 FIV par grossesse, souligne Isabelle Streuli, médecin-adjoint et responsable de l’unité. Et il y a autant de prix que de lieux et de situations. La fourchette pour une FIV s’étend de 5000 à 12 000 francs en Suisse romande pour un traitement complet (5000 à 8000 aux HUG), ce qui est très discriminant.» Cela explique que les couples helvétiques limitent leurs tentatives. Et comme pour la fertilité, le taux de réussite d’une FIV décroît avec l’âge. Il est de 50 à 60% pour les femmes de 25 ans, 35% pour celles de 35 ans, 10% pour celles de 40 ans et tombe à 1,2% à 42 ans, selon les chiffres de Didier Chardonnens. «Et il faut encore tenir compte du taux de fausse couche, précise le médecin, qui passe de 10% à 20 ans à 80% à plus de 40.»
Le processus, dès lors, peut durer des années. «Le corps des femmes est très sollicité pour un tel traitement. Elles ressentent dès lors une sorte de responsabilité quant à la situation et cela peut devenir très lourd. L’être humain n’est pas bien construit psychologiquement pour gérer l’incertitude à long terme», explique Marysa Emery, médecin qui assure l’assistance psychologique au Centre de Procréation Médicalement Assistée, à Lausanne. En 2013, 6180 couples désireux d’avoir des enfants ont eu recours à une fécondation in vitro en Suisse, soit 7% de moins que l’année précédente. «Le traitement a abouti à une grossesse chez plus d’un tiers des femmes y ayant fait appel et a permis la naissance de 1891 enfants vivants», précise l’OFS.
L’adoption aussi est en baisse
Un certain nombre de couples se tournent vers l’adoption. Mais là aussi, les chiffres diminuent. L’OFS recense 580 adoptions en Suisse en 2010 contre 383 en 2014. Votée en 1993, la Convention de La Haye durcit les conditions d’adoption internationale; elle est de plus en plus appliquée. «Ce texte stipule notamment que les bébés doivent avoir une chance d’être adoptés dans leur pays. On ne peut donc quasiment plus adopter d’enfants de moins de deux ans. Cela effraie de nombreux parents potentiels, craignant d’accueillir un enfant ayant déjà un vécu, un début de langage etc.», poursuit Marysa Emery.
Le système suisse imposant de se tourner vers un pays en particulier, les listes d’attentes sont parfois très longues et il faut avoir le courage de se lancer dans une procédure de plusieurs années qui peut capoter au gré de changements politiques. «Quand on essaie d’avoir un enfant depuis dix ans et que l’on se retrouve à devoir montrer patte blanche devant l’administration, c’est parfois blessant et décourageant», ajoute Didier Chardonnens.
Beaucoup, dès lors, préfèrent le don d’ovocytes, interdit en Suisse, mais légal dans moult autres pays avec des taux de réussite supérieurs à la FIV, en raison du jeune âge des donneuses. Quelques-uns optent pour une mère porteuse. Daniel Wirthner, directeur médical du CPMA, préconise entre autres de «faciliter l’accès aux crèches et au travail à temps partiel pour pouvoir mener de front vie de famille et carrière».
Quelques chiffres
- 1 individu sur 10 est infertile en Suisse
- Age moyen de la maternité: 31,7 ans en 2014
- Taux de réussite d’une FIV: 50 à 60% pour les femmes de 25 ans,
- 35% pour celles de 35 ans,
- 10% pour celles de 40 ans
- 1,2% à 42 ans
- Le taux de fausse couche est de 10% à 20 ans et de 80% à plus de 40 ans.
- 383 adoptions en Suisse en 2014
Colloque international «Gestation pour autrui: dialogue entre le droit et les sciences sociales», les 26 et 27 mai 2016 à l'Université de Lausanne.