Un nouveau site internet nous est né, fruit d’un ambitieux mariage entre la Commission européenne et un consortium emmené par Courrier international. L’enfant, qui veut incarner «une sphère publique européenne», s’appelle Presseurop et permet de lire une sélection d’articles de grands journaux internationaux sur les sujets européens. Les textes sont traduits en dix langues, dont le français.

Dans El País, l’Irish Times, Le Monde, le Financial Times, The Economist, le Corriere della Sera, la Frankfurter Allgemeine Zeitung, ou encore le Washington Post et le New York Times, la dizaine de journalistes ont pour mission de choisir chaque jour les articles qu’ils considèrent comme les plus intéressants. Et les droits d’auteur, alors, dans cette belle entreprise? Presseurop doit passer des accords avec les différents titres, prévoyant une rémunération du copyright à l’unité ou au forfait. Avec des liens qui devraient renvoyer aux articles originaux – ce qui n’est pas (encore?) le cas – et un descriptif du média-source, notamment son tirage et son orientation politique, facteurs qui permettent de mesurer l’audience de l’information publiée et son éventuel biais idéologique.

Chaque article est traduit en dix langues – allemand, anglais, espagnol, français, néerlandais, italien, polonais, portugais, roumain et tchèque – puis, d’ici cinq ans, dans les 23 langues officielles de l’Union européenne: il faudra donc ajouter les compétences de traducteurs vers le danois, le finnois, le grec, le suédois, le letton, l’estonien, le lituanien, le slovaque, le hongrois, le slovène, le maltais et l’irlandais. Journalistes polyglottes, à bon entendeur! Car «la langue de l’Europe, c’est la traduction», a remarqué un jour Umberto Eco, cité dans l’éditorial. Cette diversité linguistique et culturelle a engendré l’une des civilisations les plus créatives, mais aussi des conflits sans nombre. Aujourd’hui, alors que 500 millions d’Européens vivent dans une Union toujours plus étroite malgré leurs hésitations, la langue n’est plus un facteur de divisions.» Quoique... le doute soit permis! Suivez mon regard vers la Belgique déchirée entre ses deux communautés linguistiques ou vers le statut de la langue catalane dans l’Espagne gouvernée en castillan.

Associé au réseau européen de radios Euranet lancé l’an dernier et au futur réseau de télévision EU TV Net, ce «premier site multilingue européen» est «une façon de rendre hommage aux titres de la presse écrite européenne», commente Philippe Thureau-Dangin, directeur de la publication de Courrier international, qui conduit ce projet avec trois autres médias européens reprenant les articles d’autres supports: Internazionale en Italie, Forum Polityka en Pologne et Courrier Internacional au Portugal. Mais quels peuvent être les risques pris par un site lié d’aussi près à la Commission de Bruxelles, qui le finance? Son responsable assure qu’il sera rédactionnellement «indépendant» et qu’il donnera aussi la parole aux eurosceptiques. «Nous pensons avoir 1,5 million de visiteurs uniques par mois pour l’ensemble des dix sites d’ici une année et demie», ajoute Philippe Thureau-Dangin.

Mais surfons un brin. Un premier constat s’impose: les choix sont bons, avec un paragraphe d’introduction qui donne le contexte et l’angle d’attaque du sujet traité. A l’affiche ce matin sur la version francophone? Un article de l’Irish Times, «La mauvaise éducation»,sur cette grosse polémique en Irlande où, «pendant plusieurs décennies, des milliers d’enfants placés dans des institutions catholiques ont été victimes de violences physiques et sexuelles». Un autre d’El Periódico de Catalunya, «Bruxelles, nid d’espions», sur les barbouzes qui quadrilleraient «la capitale politique de l’Europe, où se concentrent des enjeux économiques, technologiques, géopolitiques et militaires».

Mais encore? «La nostalgie de l’îlot de bonheur», vue par le quotidien autrichien Der Standard, s’inquiétant du fait que seulement 21% des citoyens comptent se rendre aux urnes le 7 juin pour les élections européennes: «Synonyme d’ouverture des frontières, l’Union européenne leur fait de plus en plus peur.» Ça nous rappelle quelque chose... Ou «Israël et Palestine, une eurovision», article provenant du journal anglais The Guardian: «Depuis longtemps, Israël prend part à l’Eurovision et aux championnats de football européens. Et s’il devenait membre de l’Union européenne? Peu probable, selon le Britannique Sarfaz Manzoor, mais ce serait une perspective de paix séduisante pour la région.»

A quoi s’ajoute un onglet «Dans la presse aujourd’hui». Mais en ce matin du 27 mai, on n’y trouve que des informations publiées par les journaux... hier, le 26. Vu la rapidité du Net, Presseurop va devoir faire quelques efforts, à moins que l’entreprise ne mise que sur sa plus-value et son originalité. Mais à l’heure actuelle, les internautes se désintéressent assez rapidement d’un sujet vieilli... D’où cette profession de foi, ce rêve de jounaliste: parler de l’Europe dans toute sa diversité, «non pas l’Europe institutionnelle, déjà bien relayée, mais l’Europe telle que la vivent les femmes et les hommes». Via, aussi, des liens vers des contributions radiophoniques (Euranet) et télévisuelles (Euronews).

Presseurop est pourvu d’un plan, évidemment, de capacités interactives comme la possibilité, pour les internautes, de publier un commentaire sur chaque article ou de l’envoyer à une tierce personne. Bref, toute la panoplie habituelle d’un site qui se respecte et que l’on se réjouit, chaque matin entre 8 heures et 9h30, au moment de concevoir cette revue de presse du Temps, de voir tourner un peu plus vite et d’attirer notre attention là où elle n’irait peut-être pas spontanément. Bienvenue!