«Les cuivres, on ne sait pas exactement où ça commence et où ça finit. L'instrument fait partie du musicien. Il est déjà dans l'oxygène dont il gonfle ses poumons.» D'un geste de la main, Georges Curchod refait le parcours de l'air que la trentaine de membres du brass band qu'il dirige expulsent au commandement de sa baguette. La Riviera vaudoise, la fanfare en question, vit dans le même mélange: musique, cinéma, théâtre et télévision se répondent sans que l'on puisse dire où commence l'un et où finit l'autre. Depuis avril, elle joue un spectacle original («La Riviera joue Les Virtuoses»). Pendant qu'est projeté «Les Virtuoses», long-métrage britannique sorti en 1997 qui raconte comment la musique réunit Grimley, bourgade minière du nord de l'Angleterre ravagée par le chômage, l'orchestre en interprète la bande originale en direct. Certaines scènes du film sont rejouées par des comédiennes. Voilà pour la musique, le théâtre et le cinéma.

Les choses auraient pu en rester là. La Riviera, pour fêter ses 35 ans, aurait mis sur pied un sympathique événement comme l'été en parsème toute la Suisse romande. Des musiciens amateurs nord-vaudois auraient rempli des salles entières par leur seule passion de souffler dans un cornet de cuivre. C'était compter sans l'œil du réalisateur Antoine Bordier.

Depuis janvier 2004, il suit l'évolution du projet, caméra au poing. Le feuilleton documentaire qu'il en a tiré est la surprise de l'été sur la TSR. La série a réuni plus de 30% de ceux qui regardent la télévision le lundi soir, juste après le téléjournal. Le troisième épisode, diffusé lundi dernier, a battu Dolmen, la série produite par TF1. Les premiers volets ont cumulé 450 000 spectateurs.

«Antoine nous fait dire beaucoup moins de bêtises à la télévision qu'en réalité», glisse Bernard Favre, cornet solo dans l'orchestre. Dans un feuilleton, tout est en effet question de montage. Celui de La Riviera se jette à l'eau, ciselé par Dan Marcoci, sait jouer des conventions du genre. Les intrigues s'entrecroisent: une cornettiste, médecin de profession, décide de quitter la formation au début de l'aventure; les salles qui accueilleront le spectacle ont toutes des configurations techniques différentes; l'argent pour financer l'opération ne tombe pas du ciel, etc. Egrainés en cinq épisodes, ces petits faits anodins prennent le relief des sagas entraînantes.

Ce qui crée l'épaisseur du feuilleton, ce sont ses portraits. L'orchestre fait s'assoir côte à côte un notable, avocat dont l'entregent sera la clé de la partie financière du projet, et un mécanicien de précision, licencié pour raisons économiques. Postier, clown, ingénieur, les professions et les caractères se juxtaposent au fil des épisodes mais tous les personnages se réunissent dans le bonheur de s'époumoner dans une trompette ou un trombone. Le spectacle filmé par Antoine Bordier mime alors celui du long-métrage anglais où les gueules noires révèlent leur humanité au fil des notes.

Musicalement, la Riviera sait bien qu'elle n'est pas la fanfare la plus irréprochable de la région. Georges Curchod voit tout de même un avantage à cette aventure: «L'orchestre est constitué de bons musiciens. Mais nous vivions dans un gentil «je m'enfoutisme» à la vaudoise qui faisait que l'on négligeait parfois la qualité musicale. Avec notre projet, nous nous sommes réveillés. J'ai vu certains répéter leurs gammes comme s'ils préparaient leur examen militaire. Aujourd'hui, les partitions sont bien dans les doigts.» Devenir des stars de télévision, les musiciens du Gros-de-Vaud n'en reviennent pas eux-mêmes. Leurs répétitions hebdomadaires, ces réunions entre hommes qui, depuis trente-cinq ans, se terminent régulièrement au restaurant dans une bonhomie rieuse, n'en sont pas bouleversées pour autant. Il flottait tout de même, jeudi soir à Arnex-sur-Orbe, un petit parfum d'euphorie. Mercredi, le brass band joue son spectacle en plein air, à Vevey. Ce sera la première représentation depuis que les musiciens sont devenus des acteurs malgré eux.

«La Riviera se jette à l'eau», lu 18 août, TSR1, 20 h 10.

«La Riviera joue «Les Virtuoses», me 20 août, Vevey, Cinéma en plein air. Infos: http://www.rivieravaudoise-virtuoses.ch