Société
Au nom du réchauffement climatique et de la surpopulation galopante, certaines écolo-féministes tournent le dos à la maternité pour alléger leur bilan carbone. Bienvenue chez les nouvelles croisées de la dénatalité…

«Trois bombes menacent le monde, écrivait Albert Einstein en 1946. La bombe atomique qui vient d’exploser. La bombe de l’information qui explosera vers la fin du siècle. La bombe démographique qui explosera au siècle prochain et qui sera la plus terrible.» 70 ans plus tard, la population mondiale a quadruplé, avec 7,5 milliards d’individus, dont 200.000 supplémentaires chaque jour. En 2100, il pourrait y avoir 11 milliards d’humains sur terre…
L’institut de recherche internationale «Global Footprint Network» alerte sur le fait que l’humanité consomme déjà les ressources d’une planète et demie par an. Selon ses calculs, le «jour du dépassement», c’est-à-dire le moment de l’année où les ressources renouvelables (poissons, denrées alimentaires, pâturages pour la viande…) sont épuisées et qu’il faut pomper sur des réserves qui s’amenuisent, progresse chaque année. En 1970, il tombait le 23 décembre. Cette année, le 8 août. L’organisation mondiale de protection de la nature WWF vient également d’annoncer que 58% des espèces vertébrées suivies depuis 1970 ont disparu, en raison de la déforestation, l’agriculture intensive, etc.
Lendemains qui déchantent
C’est ce genre de statistiques qui tournent en boucle dans la tête des GINKs – pour «Green Inclinations, No Kids» (Sensibilité écologique, pas d’enfants), soit ces femmes qui refusent la maternité pour alléger leur bilan carbone. Et dont l’un des slogans résume assez bien la philosophie: «Si tu aimes tes enfants, ne les mets pas au monde, c’est une poubelle».
Lisa Hymas, journaliste américaine spécialiste de l’environnement et pionnière du mouvement, joue les Cassandre sur son site Grist. org: «L’avenir promet des désastres sans précédent. Ces pensées ne sont pas paranoïaques. Selon les prévisions, tout enfant né maintenant pourrait, à la moitié de sa vie, voir New York noyée par les ouragans, les champs de blé transformés en poussière, la Californie frappée par des décennies de sécheresse. En 2050, il pourrait assister à des guerres mondiales menées pour la nourriture, l’eau, l’espace…»
Dans son livre «Eco-Sex: Go green between the sheets and make your love life sustainable» (Soyez écolo sous vos draps et rendez votre vie amoureuse durable), Stefanie Iris Weiss, autre GINK américaine, explique aussi les raisons de son choix: «J’ai grandi avec l’idée que je serais enceinte un jour […] Mais en faisant des recherches, j’ai découvert que, même si je passais ma vie à trier mes déchets, faire du compost et lutter contre le nucléaire, j’émettrais, via mon bébé, suffisamment de gaz carbonique pour réduire tout cela à néant.»
Certaines Ginks ne sont pas totalement réfractaires à la maternité, préconisant l’adoption, comme Émilie, professeure de dessin de 42 ans: «J’adore les enfants, mais nous sommes déjà trop, et si je veux vraiment sauter le pas, j’adopterai: autant s’occuper d’enfants qui existent déjà. Hélas, mon refus de maternité est souvent mal jugé.» Car évidemment, ce parti pris suscite des débats houleux. «Penser à ne pas se reproduire, c’est suicider ses ancêtres» vitupère un anonyme sur un forum dédié au réchauffement climatique. «Je ne peux pas être GINK car j’ai déjà un enfant, mais malgré la pression de tous pour que j’en fasse un deuxième, le fait d’avoir jeté autant de couches Pampers pendant deux ans m’a fait vomir, rétorque une autre. Un jour, nos enfants nous demanderont quelle mouche nous a piquées de promouvoir cette natalité à outrance».
Petits pots maisons
La parentalité? Sujet sensible. Encore plus en période de crise, où l’enfant, cet être d’innocence, a tendance à devenir valeur refuge. Pour l’historienne Anne Rothenbülher, c’est cette exacerbation de l’idéal maternel que combattent aussi les GINKs derrière l’écologie: «Nous sommes actuellement dans un modèle de maternité très naturaliste, qui accompagne la montée d’élans conservateurs. La mère vantée est celle qui fait des petits pots maisons, et pourquoi n’arrêterait-elle pas de travailler, pour faire des économies d’énergie?», ironise-t-elle. «Face à ce courant, certaines revendiquent la réappropriation de leur corps, en y ajoutant une dose de nihilisme: le monde est trop moche…»
Pourtant les femmes ne sont pas les seules à prêcher la démographie raisonnée. Dès 2009, le député vert français Yves Cochet affirmait que le coût écologique d’un enfant européen équivaut à 620 trajets Paris-New York. Dans toute l’Europe, de nouvelles associations «dénatalistes» préconisent des familles à deux, voire un seul enfant: «Population Matters» en Angleterre, «Rientrodolce» en Italie (dont le slogan est: «Pour un retour doux à deux milliards d’individus»), ou encore «Démographie Responsable» en France, dont le président Denis Garnier, père de deux enfants, confie: «On ne juge pas les familles nombreuses, et nous avons même une adhérente mère de huit enfants. Notre but est simplement d’encourager à penser à l’avenir, en sachant qu’au-delà de deux enfants, cela peut poser problème.» Surtout dans les pays industrialisés, comme l’explique la militante GINK Lisa Hymas: «En tant qu’Américaine aisée, mon empreinte écologique est 200 fois plus grande que celle d’un Ethiopien, 12 fois plus grande qu’un Indien, et deux fois plus grande qu’un Britannique… La meilleure contribution que je puisse faire est de ne pas concevoir de mini-moi.»
Assurer l’avenir
Alors, faut-il se résoudre à suicider tous ses ancêtres, comme le suggère le mouvement extrême «VHEMT», qui milite directement pour l’Extinction Volontaire de l’Humanité? Pour Philippe Wanner, professeur de démographie à l’Université de Genève, «le problème est plus complexe. On a prouvé, notamment en Suisse, que malgré l’augmentation de la population, on peut baisser les émissions de CO2. Ce qui compte, c’est la responsabilisation civile: transports et énergies propres, ne pas manger de fraises d’Espagne. Les démographes ont tendance à penser que toute contrainte nataliste est une erreur. La politique de l’enfant unique chinoise a abouti à une population vieille et paupérisée, car il faut des enfants pour assurer l’avenir. Et puis faire des enfants est une des dernières libertés.»
Ne pas en vouloir aussi, mais la désapprobation guette souvent ce choix-là, comme le constate la psychologue Édith Vallée, spécialiste des sans enfants volontaires: «Je pense que les GINKs sont comme les autres «childfree»: elles n’ont pas envie d’être mères. Et même si cela n’enlève rien à la justesse de leur propos, brandir l’écologie est sans doute plus présentable socialement que le non-désir d’enfant…»