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La fête du français et ses effluves politiques

La semaine de la francophonie commence ce samedi 14 mars, et culminera le 20. Dans certains pays, elle est marquée par les débats identitaires.

Ailleurs, capteur, clair de Terre, clic, compatible, désirer, génome, pérenne, transformer, vision: tels sont les «dix mots de demain» retenus cette année pour la semaine de la langue française, outils destinés à plusieurs jeux linguistiques.

Celle-ci a lieu dès ce samedi 14 mars, jusqu’au 22. Avec un point culminant le 20 mars, sacré journée internationale de la francophonie. Lesévénements prévus en Suisse ont cette année pour marraine la journaliste du Temps Joëlle Kuntz.

La semaine de la francophonie est une curieuse démarche, si l’on y pense. Existe-t-il une semaine de la langue anglaise, ou du mandarin? Supposons que cet esprit de mobilisation tient au caractère minoritaire de la langue française, dans la plupart des pays où elle est parlée.

La dimension politique internationale, elle, reste plus trouble. Critiquée – c’est peu dire – pour ses dépenses et ses verbiages diplomatiques, l’Organisation internationale de la francophonie souffre toujours de son image de bras linguistique de la politique étrangère française, même si ce jugement tient sans doute désormais du cliché. Reste qu’engoncée dans son carcan ministériel, l’OIF demeure une lourde machinerie. Ses propres chiffres (PDF) montrent d’ailleurs le décalage entre les frontières politiques et l’usage réel de la langue: l’OIF rassemble 56 Etats ainsi que 14 observateurs, totalisant 870 millions d’habitants. Mais on recense 200 millions de locuteurs francophones… L’année écoulée a d’ailleurs montré l’instrumentalisation politique de la langue, par exemple lorsque le Rwanda, en colère contre la France en raison de procédures judiciaires liées au génocide, a décidé de supprimer l’enseignement du français au secondaire et à l’université.

Aussi festive qu’elle soit, la semaine dédiée à la langue de Jacques Brel est toujours rattrapée par l’actualité politique. Ainsi, TV5 Monde prévoit une couverture massive de la célébration du français, qui tombe d’autant plus judicieusement que la chaîne mondiale fête cette année ses 25 ans. Elle en profite, entre autres, pour ouvrir un site web adapté aux téléphones portables.

Or, la chaîne francophone demeure au centre d’un débat sur le réaménagement du pôle audiovisuel extérieur français. Chantre de la langue de Ramuz, le conseiller national Didier Berberat (PS) a interpellé le Conseil fédéral à ce sujet. Dans sa réponse, relayée par le parlementaire, le gouvernement «rappelle qu’à l’heure de la mondialisation et du rôle dominant de l’anglais, la Suisse accorde une grande importance à sa participation à TV5 en tant qu’instrument privilégié pour la coopération multilatérale et l’expression de la diversité des cultures de l’espace francophone», et que la Suisse «veille à ce que la partie française n’exerce pas dans les nouvelles structures une domination qui serait préjudiciable au caractère multilatéral francophone de la chaîne». A suivre.

En Belgique, même si la crise économique, et les déboires de la banque Fortis, agitent le pays au point de faire oublier, un temps, la crise institutionnelle, celle-ci ne manquera pas d’animer à nouveau les esprits. Ironie de l’histoire, à la faveur d’un tournus élaboré par la Communauté française, c’est Bruxelles qui se trouve cette année proclamée «ville des mots». La capitale offrira ainsi nombre d’animations, notamment des expositions et des concours.

Il se trouve que l’avenir de Bruxelles et sa région (l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde) constitue justement l’un des nombreux motifs de dispute entre francophones et néerlandophones. Un groupe de travail devait empoigner l’épineuse question de cet arrondissement, dont les communes périphériques sont déchirées entre les langues, mais la défection d’un parti majeur repousse, une fois encore, toute nouvelle amorce de dialogue…

Est-ce une forme particulièrement élaborée d’autodérision? A l’heure où, en Belgique, les forums sur le Net pullulent d’invectives entre les communautés, les organisateurs de la semaine francophone à Bruxelles ont décidé de lier leur manifestation à une exposition portant sur le thème «Toute cruauté est-elle bonne à dire?». Au moins, les quelques jours de la semaine de fête linguistique, Bruxelles ne sera-t-elle pas la ville des maux…

Outre-Atlantique, pour une fois, le débat identitaire du moment porte sur une question nationale. Celle du service public, en l’occurrence. Plusieurs décisions touchant à l’audiovisuel font craindre pour l’avenir de Radio-Canada et de CBC, sa grande sœur anglophone.

Entre autres, le refus d’accorder aux émetteurs publics une part des redevances des câblo-opérateurs, ainsi que la pression budgétaire exercée par le gouvernement sur les chaînes, risque de les «asphyxier», dénoncent les syndicats. «L’américanisation culturelle est aussi une menace réelle qui pèse sur le Québec et le Canada», assurent-ils.

Ces tensions politico-culturelles ne doivent pas empêcher de célébrer, puisque la fête est proclamée. Exercice pour la semaine: durant une réunion ennuyeuse, composer un bref texte avec les mots «ailleurs, capteur, clair de Terre, clic, compatible, désirer, génome, pérenne, transformer, vision»…

Chaque vendredi, une actualité d’une région de la francophonie à l’enseigne de «La Toile francophone», sur letemps.ch.