Chelsea, jeune journaliste new-yorkaise, en a assez du stress et du nombrilisme de la métropole. La veille de Noël, on l’envoie justement en reportage à Holly Falls, village du Colorado où elle a grandi – et d’où une tempête de neige l’empêche de repartir. Quelle n’est pas sa surprise lorsque Chelsea retrouve Jake, un amour de jeunesse devenu charpentier. Elle tombe rapidement sous le charme de ses chemises à carreaux et de sa vie sans chichis. Ils s’embrassent sous le gui – après que Chelsea a ouvert sa boutique de cupcakes.

Cette comédie romantique vous est familière? C’est parce qu’il s’agit d’un scénario type que l’on pourrait obtenir en agrégeant une centaine de films de Noël. Et l’entreprise ne serait pas difficile: depuis un mois et demi, nos écrans sont arrosés de ces fictions anglo-saxonnes aux happy ends vanillés. On les voit généralement l’après-midi à la télévision, mais aussi chez les géants du streaming, qui se sont mis à en produire – Netflix dévoilait par exemple, début novembre, le deuxième volet de The Princess Switch, saga populaire qui suit une pâtissière devenue princesse d’un royaume enneigé.

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Mais une autre sortie hivernale lui a volé la vedette. Happiest Season, nouveauté de la plateforme Hulu, raconte les Fêtes d’une jeune trentenaire (Kristen Stewart) invitée pour la première fois dans la famille de sa compagne. Qui, elle l’apprend vite, n’a pas encore fait son coming out… Signé de l’actrice queer Clea DuVall, Happiest Season a fait sensation. Un couple de femmes sous les guirlandes: du jamais vu dans le monde des christmas movies. «J’ai espéré toute ma vie voir une rom-com de Noël gay», confiait Kristen Stewart. Assiste-t-on à une révolution rouge et blanche? Décryptage d’un genre ultra-populaire, qui a tardé à inviter la diversité à la table de Noël.

Trompette ou serpillière

Pour comprendre le phénomène, il faut remonter à ses racines, dans l’Amérique des années 1940. «La première comédie romantique à l’esprit de Noël pourrait bien être Holiday Inn, avec Bing Crosby et Fred Astaire, en 1942», estime Mark Voger, auteur du livre Holly Jolly. Celebrating Christmas Past in Pop Culture. Cette comédie musicale, sur un roi du showbiz mué en gérant d’hôtel de vacances, pose les fondamentaux du film de Noël: neige, bande-son festive, jeux amoureux à l’issue prévisible. «Le thème de la rédemption aussi, qui nous vient tout droit des récits de Dickens», précise Mark Voger. Sous le sapin, des familles invariablement blanches. «On adore nos classiques mais on oublie que dans ces films les personnes noires étaient destinées à tenir une trompette ou une serpillière.»

Des décennies plus tard, les ingrédients n’ont pas vraiment changé. Une recette adoptée par de grandes chaînes américaines qui produisent des téléfilms de Noël en masse – Hallmark en tête. Historiquement fabricant de cartes de vœux, le leader du genre a diffusé, rien que cet hiver, une quarantaine d’inédits. Des productions à bas coût pour des audiences qui se comptent en millions.

«Il y aura toujours un public pour ces produits légers et festifs, à travers lesquels on célèbre les Fêtes parfois par procuration», souligne Lauren Rosewarne, maître de conférences à l’Université de Melbourne et spécialiste du film de Noël. Qui observe son lent formatage. «Ces récits simplistes et répétés à l’infini façonnent nos attentes, entraînant à leur tour la production de films de plus en plus similaires.» Et très traditionnels, comme l’illustre leur public cible: selon une enquête de 2017, relayée par le LA Times, les programmes Hallmark seraient principalement suivis au sein des Etats conservateurs du Sud et du Midwest des Etats-Unis.

Diva noire américaine

Ces films voyagent jusqu’en Suisse, où l’on en est friands. La RTS l’a compris et en diffuse tous les après-midi dès le mois de novembre. Cette année, la cadence est même passée à deux par jour, avec succès: 40 000 téléspectateurs en moyenne. Comme un antidote à l’angoisse actuelle. «C’est une valeur refuge, une télévision de confort et d’accompagnement, souligne Alix Nicolet, adjointe à la programmation TV de la RTS. Mais il y a aussi les amateurs qui guettent les inédits.»

Responsable des achats fictions, Sandrine Waller est chargée d’en obtenir les droits auprès des distributeurs américains et canadiens, avant M6 ou TF1. «Un concours hippique», résume-t-elle. Au programme cet hiver? La Diva de Noël, avec une Noire américaine dans le rôle principal. «C’est une évolution récente. Habituellement, il y a un peu toujours le même casting et peu de mixité», relève Sandrine Waller.

Un constat de plus en plus polémique, et des chiffres irréfutables: en 2019 encore, seuls quatre films Hallmark mettaient en scène des personnages principaux de couleur, et un seul troquait le Noël chrétien pour la fête juive d’Hanoucca. Aucun personnage d’origine asiatique à l’horizon, tout comme les couples LGBT, pour ainsi dire inexistants.

Représentations positives

Mais 2020 semble marquer un tournant. Peu après Happiest Season, Hallmark dévoilait The Christmas House, avec à l’affiche son tout premier couple homosexuel. «Nous souhaitons que nos programmes, nos talents, nos histoires et nos personnages reflètent les expériences de tous les téléspectateurs et créent un environnement accueillant», déclarait cet automne une représentante de Hallmark. Lifetime, sa concurrente, a riposté avec The Christmas Setup, dans lequel deux hommes tombent amoureux.

«C’est un changement de paradigme majeur», estime Alonso Duralde, critique de cinéma américain et auteur de Have Yourself a Movie Little Christmas. Qui l’attendait de pied ferme. «Il y a longtemps eu un débat autour du «divertissement familial», avec l’idée que la présence de personnages LGBT en était l’anathème. Lentement mais sûrement, l’industrie reconnaît que les personnes queers font partie de foyers, qu’elles ne sont pas une menace pour la structure familiale en général. Noël appartient à tout le monde, on doit pouvoir en dire autant des films.»

Promouvoir l’inclusion sous les flocons, l’idée réjouit aussi Sylvie Cachin, directrice du festival de films genevois Everybody’s Perfect. «Dans Happiest Season, on retrouve la structure, les effets comiques typiques de ces films: les deux femmes pourraient tout aussi bien être remplacées par des personnages hétérosexuels. Je trouve enthousiasmant que ces histoires soient racontées au grand public avec le langage de la comédie populaire. On a besoin de ces représentations positives. Qui sont aussi un miroir pour de nombreuses familles.» Elles n’ont pas manqué le rendez-vous: Happiest Season est le film d’Hulu ayant réalisé le meilleur score d’audience le week-end de sa mise en ligne, a communiqué la plateforme.

Une évolution qui reflète celle du cinéma et des séries d’aujourd’hui, note Sylvie Cachin. Et de nuancer: «On parle ici de productions commerciales d’un certain Occident, qui en a les moyens. Dans les pays de l’est, en Afrique ou en Amérique du Sud, ces questions restent douloureuses et prendront plus de temps à être mises à l’écran. Les lignes bougent, mais très timidement.»