Florence Guignard, une psychanalyste à l’âme de soignante
Portrait
Elle a accompagné durant quarante-trois ans des petits d’homme et des adultes aussi. Chercheuse insatiable, elle continue de s’engager pour transmettre sa discipline.

Elle ne sait pas dire non quand des collègues lui proposent quelque chose qui l’intéresse. Une conférence à Bologne. Une supervision par Zoom pour l’Hôpital de St. Louis dans le Missouri. La préface d’un livre sur la crise écologique. Et ce samedi, un colloque public à l’Université de Lausanne. A 87 ans, elle n’arrête pas. Aimerait-elle leur dire non? «Il est vrai que j’ai moins d’énergie qu’avant. Je dois prendre soin de moi, ce qui demande du temps. J’ai donc de la peine à terminer d’autres choses.»
Florence Guignard, c’est d’abord un sourire. Lumineux, un brin espiègle, qu’elle rehausse volontiers de rouge. Elle aime rencontrer les gens, travailler avec eux. Avec paradoxalement un côté sauvage. Ce n’est pas pour rien qu’elle s’est établie tout là-haut dans la montagne. A Chandolin, dans le val d’Anniviers. Dans un chalet à l’étage, avec ses deux chats. «C’est mon paradis. Parce qu’il y a le silence, la beauté, la nature. Avant, j’adorais marcher, mais là j’ai des difficultés à cause d’un effondrement de ma colonne vertébrale.» D’être restée trop assise les quarante-trois ans où elle a exercé à Paris et d’avoir beaucoup porté des enfants dans ses bras.
Résistances
Dans son salon, un piano et des livres un peu partout. Ça semble en désordre mais pour elle, ça ne l’est pas. «Je ne peux me passer des livres. Quand j’ai déménagé de Paris, j’ai dû me défaire des deux tiers de ma bibliothèque, mais vous voyez, ils repoussent!» Sur une des piles, un ouvrage en l’honneur d’Annie Anzieu avec qui elle a fondé la Société européenne pour la psychanalyse de l’enfant. «Il nous a fallu batailler des années pour faire admettre à nos pairs l’importance d’un enseignement spécifique. On nous opposait sur le fond l’idée que les enfants n’auraient pas besoin d’autant que les adultes, comme si leur souffrance était moindre!»
Paris, elle s’y est installée avec son second mari, psychanalyste lui aussi. A son cabinet, elle recevait adultes et enfants. «Travailler avec les enfants est un ferment extraordinaire. On voit les choses in vivo avant qu’elles ne soient trop refoulées. Car c’est dans l’enfance qu’on se constitue. Et au fil des ans, à travers ceux que l’on soigne, on voit changer la société.»
Elle dit avoir eu une enfance «où j’étais souvent malade et me suis beaucoup ennuyée à l’école». Marquée par la Seconde Guerre mondiale, privée de père par la mobilisation. Le divorce de ses parents et une famille recomposée «avec trois enfants plus jeunes dont je me suis beaucoup occupée, ce qui m’a confrontée aux aléas du développement psychique». Des études de psychologie à l’Université de Genève, du temps de Jean Piaget et d’André Rey.
Puis elle effectue un premier stage à 21 ans à peine: «On m’a confié d’emblée des enfants, je pataugeais passablement!» Elle a le «grand privilège» de travailler pendant dix ans avec Julian de Ajuriaguerra. «Avec lui, j’ai fait de la recherche pluridisciplinaire, et cela a imprégné toute ma carrière.» Et quelle carrière! Plus de 250 articles publiés, plusieurs livres, des conférences, des supervisions, des enseignements en Europe et en Amérique latine. Elle a aussi été la première rédactrice en chef de L’Année psychanalytique internationale.
Pourtant, à la psychanalyse elle avait d’abord dit non. Lui avait résisté. «Je me suis mariée à la place, à 25 ans. Un joli acte manqué réussi!» Divorce trois ans plus tard et «une période très difficile». Suivront huit ans d’analyse, à raison de quatre séances par semaine avec le psychanalyste Raymond de Saussure. «Avec lui, je me suis vraiment senti le droit d’exister et de me développer.» Elle se forme à la Société suisse de psychanalyse, puis à la Société psychanalytique de Paris, au sein de laquelle elle enseignera durant trente-cinq ans. «J’avais l’idée que quand on devient psychanalyste, c’est pour résoudre nos problèmes, souvent transgénérationnels. Pour laisser la place libre à nos enfants… et qu’ils n’aient pas besoin de le devenir à leur tour!» Réussi: son fils est avocat, sa fille comédienne.
Indépendante
Dans son chalet à Chandolin, deux gros travaux sont en cours: un dialogue autobiographique et le second tome de son ouvrage Quelle psychanalyse pour le XXIe siècle? Les psys qui lui ont le plus apporté? «Freud, Klein, Bion, Meltzer, mais aussi Serge Lebovici, René Diatkine, Michel Fain. Ce qui me lie à une pensée, c’est ce que j’y trouve. Je ne me sens pas prisonnière d’une école. Et l’on ne peut être psychanalyste si l’on n’accepte pas de s’impliquer totalement pour écouter la souffrance. Je suis une soignante, même si je ne guéris pas toujours.»
Elle le reconnaît avec une tendresse amusée: «Mon enfant intérieur? Comme pour tout le monde, il me donne la joie et la force de vivre, et toujours du fil à retordre. C’est encore mon objet d’étude et de transmission.» La mort? «Ce n’est pas mon amie. J’essaie de l’apprivoiser un peu, il faut de toute façon à mon âge.» Une ultime question, à laquelle elle répond avant même qu’on la lui pose: «Non, je ne vous jouerai pas un morceau de piano. J’ai de la peine à le faire devant quelqu’un. C’est une de mes limites, certainement traumatique!»
Profil
1934 Naissance à Genève.
1970 Installation à Paris.
1972 et 1974 Naissance de ses enfants.
1994 Fondation de la SEPEA avec Annie Anzieu.
2013 Déménagement à Chandolin.
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