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Florence Richard, l’avocate des parents sans crèche

Mue par la volonté d’offrir une solution aux mères et aux pères qui ne trouvent pas de mode de garde, elle a ouvert un espace de coworking avec garderie pour rompre l’isolement qui marque trop souvent la nouvelle vie des jeunes parents

Florence Richard, fondatrice de l'association «I work U play», à Lausanne, le 26 janvier 2023.  — © Eddy Mottaz/Le Temps
Florence Richard, fondatrice de l'association «I work U play», à Lausanne, le 26 janvier 2023. — © Eddy Mottaz/Le Temps

Une épreuve transformée en idée, en connaissance, puis en actes. C’est l’histoire à l’origine de «I work U play» («Je travaille, tu joues»), une association qui réunit sous le même toit, à Lausanne, des bureaux et une garderie. Avec ce projet, Florence Richard aimerait «créer une bulle», pour permettre aux parents sans mode de garde de s’offrir quelques heures de concentration, à moindres frais. Tandis que des bénévoles s’occupent de leur enfant, ils peuvent se consacrer à une recherche d’emploi, ou développer un projet professionnel. «Mais aussi souffler et socialiser», explique l’avocate, elle-même mère de deux jeunes enfants.

Cette garderie particulière ouvre ses portes le 21 février au cœur de la Powerhouse, en face de la gare de Lausanne, un «coworking solidaire» qui abrite plusieurs organisations réunies autour d’une même volonté de transmission de savoirs et de compétences. Comme les programmes «ada: flow», par exemple, qui offre une formation en informatique à des femmes qui ont interrompu leur activité professionnelle.

Pas d’hésitation

Présidente de l’association Powerhouse, Magaly Mathys n’a pas hésité longtemps avant d’ouvrir ses portes à ce nouveau projet: «Florence Richard est déterminée et mue par une énergie incroyable. Nous sommes un espace d’empowerment et d’entraide. Son projet correspond tout à fait aux valeurs de solidarité qui sont les nôtres.»

Cascade d’ondulations encadrant un visage fin, regard franc et curieux, Florence Richard sait s’entourer. Elle a réuni autour d’elle des partenaires professionnels et des bénévoles, tous convaincus par son idée. Les profils de celles – des femmes seulement, pour l’instant – qui donneront de leur temps pour les enfants des autres? Des mères qui ont interrompu leur carrière pour leur propre famille et qui cherchent à renouer avec une activité hors de chez elles, en douceur. De jeunes retraitées, avec du temps à disposition mais sans petits-enfants à l’horizon.

Lire aussi l'opinion: Les grands-parents, la plus grande garderie de Suisse

A l’avenir, Florence Richard souhaite instaurer un tournus de parents bénévoles. Comme il ne s’agit pas d’une institution d’accueil collectif de jour officielle, puisque les parents restent sur place, «I work U play» n’a pas besoin d’autorisation d’exploiter et ne doit pas se soumettre aux règles habituelles en matière de qualification du personnel ou d’infrastructure.

A une semaine de l’ouverture, aucun bruit ne vient troubler le calme de l’espace, doté de cinq postes équipés d’ordinateurs. La petite pièce attenante a été aménagée pour les futurs hôtes: cuisine miniature, petites tables et chaises, jouets chinés, rangés dans leurs casiers. Les enfants seront encadrés par deux bénévoles, tandis que leurs parents travailleront, entre une et trois après-midi ou matinées par semaine, pour 25 francs la demi-journée.

Florence Richard, le 26 janvier 2023: «C’est inacceptable de se retrouver obligée d’interrompre sa carrière parce qu’on ne trouve pas de solution de garde.» — © Eddy Mottaz/Le Temps
Florence Richard, le 26 janvier 2023: «C’est inacceptable de se retrouver obligée d’interrompre sa carrière parce qu’on ne trouve pas de solution de garde.» — © Eddy Mottaz/Le Temps

Le projet de Florence Richard prend racine dans sa propre expérience. Elle a commencé sa carrière comme avocate dans des cabinets, puis à la Cour d’arbitrage de la Chambre internationale de commerce. En 2019, elle démissionne de son emploi pour suivre son mari, lui aussi avocat, en Suisse, avec leur fils d’un an. Dans son nouveau pays de résidence, elle se frotte à une expérience commune à de nombreux jeunes parents qui n’ont pas l’intention de tirer un trait sur leur activité professionnelle et ne peuvent pas forcément compter sur leurs proches: l’ardue quête d’une place en crèche.

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«C’est une situation très fragilisante, qui engendre énormément d’isolement. Cette problématique touche tout le monde, des cadres comme des personnes à bas revenus. Le plus souvent des femmes. Mais des hommes aussi», souligne Florence Richard. L’idée de «I work U play», naît au milieu d’une nuit particulièrement éprouvante, alors qu’elle allaite son second bébé, né dix mois après son arrivée en Suisse. «Je me sentais dévalorisée.»

Il ne lui faut pas longtemps pour constater qu’elle n’est pas seule. A Lausanne, elle fréquente la Maison Ouverte, un lieu avec coin canapé et jeux, qui accueille les enfants accompagnés de leurs parents. L’occasion d’échanger avec d’autres mères et pères qui, en attente d’une solution, ont mis leur vie professionnelle en pause. «Je soutiens totalement les personnes qui font le choix de cesser leur activité professionnelle pour s’occuper d’un jeune enfant. Mais c’est inacceptable de se retrouver obligée d’interrompre sa carrière parce qu’on ne trouve pas de solution de garde», estime Florence Richard.

Loin de se cantonner à des anecdotes, elle fouille les statistiques officielles, pour mieux mettre en relief un problème endémique. Le rapport «Les Familles en Suisse» indique que 78% des mères d’enfants de moins de 25 ans travaillent à temps partiel, contre 12% des pères. Parmi elles, 14 à 17% souhaiteraient travailler plus.

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Dans toute la Suisse…

«J’ai surtout été frappée de voir la réduction systématique du taux de travail des femmes, après l’arrivée d’un enfant. Alors qu’avant, dans les couples, la majorité des partenaires travaillaient à temps plein.» Ces données révèlent aussi que le manque de structures d’accueil touche toute la Suisse – à Lausanne, pourtant une des villes les mieux dotées en crèches du pays, on dénombre une place pour deux enfants en âge préscolaire – et que 40% des enfants de moins de 4 ans sont gardés par leurs grands-parents.

Jusqu’à ce jour, Florence Richard continue de s’interroger. Comment ce besoin peut-il être à ce point sous-estimé dans un pays parmi les plus riches du monde, avec des entreprises et des organisations internationales attirant une main-d’œuvre qualifiée, mobile et éduquée?

Aujourd’hui, elle travaille dans la traduction et se consacre à son association. Son fils a commencé l’école et sa fille va à la crèche, trois jours par semaine. En décembre, «I work U play» a reçu le Prix communal 2022 du Bureau lausannois pour les familles. Qui sait, cela pourrait donner des idées à d’autres?


Profil

1986 Naissance en Belgique

2015 Avocate en cabinet puis à la Chambre internationale de commerce, jusqu’en 2020.

2019 Naissance de son fils

2020 Arrivée à Lausanne

2021 Naissance de sa fille

2023 Ouverture de «I work, u play»


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