Des personnages hauts en couleur sont parachutés sur une île déserte. Ce territoire limité devient subitement le théâtre de joyeux affrontements. L’objectif pour les joueurs de Fortnite: être le dernier survivant. Simple et ludique, le concept d’Epic Games a séduit des millions de personnes. Le jeu vidéo est devenu en quelque sorte une île aux enfants. Pour nombre d’entre eux, cet espace virtuel est devenu un terrain de jeu idéal. Ils se lancent des défis et tentent de vaincre leurs camarades. Comme pour les cartes Pokémon ou les indémodables billes, les jeunes joueurs rêvent de devenir les meilleurs. Une forme de pression s’installe alors au sein du groupe. Certains parents décident donc de soutenir leur progéniture en leur offrant des cours, raconte le Wall Street Journal dans un article qui suscite la curiosité des internautes.

De véritables entraîneurs se mettent au service des champions en herbe. Pour environ 50 dollars, Ally Hicks a pu offrir quatre heures de leçons en ligne à son fils de 10 ans. «Il y a une pression non seulement pour jouer, mais aussi pour être vraiment bon», explique-t-elle. Rob espère que ses camarades ne découvriront pas son secret pour gagner des parties. Les parents trouvent ces coachs d’un nouveau genre sur les réseaux sociaux ou sur des sites spécialisés, comme Gamer Sensei ou Bidvine. Ce dernier a engagé plus de 1400 coachs pour Fortnite depuis début mars. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il était jusqu’ici cantonné aux adultes n’acceptant plus la défaite.

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Surprise des coachs

Ce nouveau public surprend d’ailleurs les coachs. «Mon père n’aurait jamais payé pour que je prenne des cours de jeux vidéo», confie l’un d’entre eux au Wall Street Journal. La surprise est tout aussi grande du côté des internautes, une lectrice y voit même le signe d’une apocalypse imminente. Comment peut-on laisser des enfants jouer à Fortnite, un jeu où le but est de tuer son adversaire? Les parents répondent à cette incompréhension. Selon eux, leur démarche n’est pas plus affreuse que d’engager un entraîneur pour que leur enfant excelle au basketball ou aux échecs.

Psychologue et spécialiste de l’hyperconnectivité, Niels Weber ne voit pas cette initiative d’un mauvais œil. «Cette démarche devrait plutôt être soutenue dans le sens où c’est une façon d’apprendre aux enfants à jouer de manière plus responsable et constructive. Ils cessent ainsi d’enchaîner les parties et prévoient des sessions de jeu bien délimitées, comme n’importe quel joueur qui veut progresser dans son domaine», estime l’expert lausannois. Après avoir longtemps tenu à distance cet univers, le milieu scolaire propose désormais des ateliers dédiés. A Genève, une activité extrascolaire permet aux enfants de concevoir leur propre jeu vidéo. Cette initiation permet d’ouvrir la discussion avec les élèves et de lutter contre les excès. L’Organisation mondiale de la santé a d’ailleurs décidé d’intégrer le «trouble du jeu vidéo» à la liste des addictions.

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Moments privilégiés

Dans l’article du quotidien new-yorkais, on trouve également le témoignage d’un Suisse vivant à Arzier-Le Muids. Ce professionnel de l’assurance préfère voir ses enfants devant un écran. La raison? «Ils ne vont pas se casser une jambe en jouant aux jeux vidéo.» Derrière la plaisanterie se cachent des raisons plus louables. Engager un coach devient un prétexte pour passer un moment privilégié avec ses enfants, et mieux comprendre leurs centres d’intérêt. «J’ai gagné un peu de crédibilité auprès de mon fils et de ses amis, et ma femme et ma fille se moquent de moi», plaisante un père de famille.

Une poignée de parents espèrent que leur enfant deviendra une vedette du sport électronique. Organisés partout dans le monde, les tournois de jeux vidéo peuvent rapporter gros. Epic Games s’est récemment engagé à verser 100 millions de dollars aux vainqueurs des compétitions Fortnite. Plus surprenant, certains établissements scolaires américains recrutent des joueurs talentueux pour leur équipe universitaire grâce à des incitations financières. De quoi susciter quelques vocations, et motiver des parents.

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En plus de ne pas forcément être saine pour l’enfant, l’opération est particulièrement risquée. La concurrence est rude et peu de joueurs parviennent à percer. «Le phénomène de l’e-sport n’en est qu’à ses balbutiements. L’appât du gain est irréaliste», confirme Niels Weber. Mais le secteur, qui représente un chiffre d’affaires de 1 milliard de dollars, attire de nouveaux acteurs.

PostFinance a récemment annoncé la création d’un pôle dédié au sport électronique. La société financera l’équipe pendant un an à partir du 1er janvier 2019, avec à la clé un logement, une équipe d’encadrants et un salaire mensuel de 2500 francs par joueur. Mais les adeptes de Fortnite ne pourront pas postuler. L’effort se concentrera sur d’autres titres stars, comme League of Legends.