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En France, le «préjudice d'être né» n'est plus reconnu par la loi

Les députés français, gauche et droite confondues, ont mis fin au débat éthique créé par l'arrêt Perruche, qui avait permis à un enfant né handicapé après une erreur de diagnostic lors de la grossesse de sa mère de percevoir des indemnités.

L'idée tient en une phrase: «Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.» Cette phrase, le premier alinéa d'un amendement du gouvernement à une proposition de loi du député de l'opposition de Démocratie libérale (droite) Jean-François Mattei, a mis probablement fin hier après midi au débat créé en France par ce qui est désormais appelé l'arrêt Perruche.

Cet arrêt de la Cour de cassation rendu en novembre 2000 avait accordé à un jeune homme, Nicolas Perruche né polyhandicapé, le droit à des indemnités. Laboratoires et médecins n'avaient pas su déceler la rubéole dont la mère du futur Nicolas était atteinte pendant sa grossesse. Cette décision de la Cour de cassation avait entraîné un tollé de la part des médecins, des hôpitaux et des laboratoires, qui craignaient les effets de la jurisprudence créée par cet arrêt. Depuis le 1er janvier 2001, d'ailleurs, de nombreux centres hospitaliers français refusaient de pratiquer des échographies de peur de se voir poursuivis en cas d'erreur dans leurs diagnostics. Mais l'arrêt de la Cour de cassation avait également soulevé la colère de certains parents d'enfants handicapés regroupés en collectifs ou associations, qui refusaient l'idée qu'être né pouvait être considéré comme un préjudice. Ces parents qui luttent pour une meilleure acceptation et intégration des handicapés dans la société craignaient, à l'instar de certains élus, de tous bords, une dérive eugéniste grâce à l'interprétation de cet arrêt.

Le 13 décembre dernier, Jean-François Mattei déposait donc une proposition de loi visant à casser définitivement toute «jurisprudence Perruche». Le gouvernement, vilipendé par l'opposition et les associations de parents handicapés, gagnait alors du temps et faisait repousser le débat en arguant du fait que, devant un tel débat de société, il valait mieux prendre son temps et ne pas légiférer à la hâte. Il promettait toutefois que le débat serait tranché avant la fin de la session parlementaire précédant la future élection présidentielle. Promesse tenue puisque, hier, gauche et droite sont arrivées à un consensus et que la proposition de loi du député de l'opposition, amendée par le gouvernement, a été adoptée à la quasi-unanimité de l'Assemblée nationale. Seuls une députée UDF, Christine Boutin – par ailleurs future candidate à la présidentielle – et un RPR ont voté contre, trois autres députés de l'opposition s'abstenant.

Aux termes des nouvelles dispositions de la loi qui devra encore être discutée et sera probablement amendée par le Sénat le 22 janvier prochain, un enfant né avec un handicap congénital ne pourra plus demander réparation du seul fait de sa naissance. Il ne pourra donc plus obtenir de lourdes indemnités pour «préjudice moral» tout comme il ne pourra pas poursuivre ses parents pour l'avoir mis au monde. Toutefois ses parents pourront toujours se retourner contre le médecin qui, suite à une «faute caractérisée», n'aurait pas décelé de handicap durant la grossesse, privant ainsi la mère de possibilité d'avorter. L'indemnité alors éventuellement perçue sera versée à l'enfant «tout au long de sa vie» après le décès de ses parents. Une disposition qui devrait au moins partiellement régler le problème de la charge de ces enfants handicapés après la mort de leurs géniteurs. Ces sommes versées ne se substitueront pas aux versements de la Sécurité sociale mais viendront en complément des allocations et prestations perçues. Ce qui signifie que les caisses de la Sécurité sociale ne pourront pas non plus attaquer les médecins pour obtenir le remboursement des sommes qu'elles auraient versées à des handicapés. Cette disposition a de quoi satisfaire le corps médical, effrayé par la hausse de ses primes d'assurance du fait de ces onéreuses poursuites de la Sécurité sociale.

La nouvelle loi ne supprime toutefois pas totalement la possibilité pour une personne handicapée de poursuivre un médecin, mais elle implique que celui-ci ait commis une «faute lourde», qui aurait directement provoqué le handicap, l'aurait aggravé ou aurait empêché de l'atténuer, a précisé la ministre de l'Emploi et de la solidarité, Elizabeth Guigou. C'est cette disposition qui pourrait encore être réécrite par le Sénat le 22 janvier prochain. La loi, enfin, prévoit la création d'un Observatoire de l'accueil et de l'intégration des personnes handicapées, bien nécessaire pour répondre aux carences de la société française en ce domaine.