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En France, le recul de l'activité touristique atteint jusqu'à 30% selon les régions

L'absence des Américains est particulièrement douloureuse cette année. La Côte d'Azur est moins fréquentée au profit de régions moins chères. Le point avec Jean-Pierre Serra, l'un des ténors du secteur au niveau national.

La saison touristique en France s'est mal amorcée. Et les prévisions pour l'arrière-été s'annoncent médiocres. Le recul de l'activité, par rapport à l'an dernier, atteindrait de 25 à 30% selon les régions. Une situation jamais vue depuis quinze ans. Les touristes américains et japonais sont très peu présents en Ile-de-France comme sur la côte méditerranéenne. L'absence des Américains est particulièrement douloureuse: l'an dernier, ils avaient dépensé en France un peu plus de 5 milliards d'euros, soit 15,2% des recettes totales (la plus grande part étrangère). De plus, le contingent habituellement très important des Allemands connaît une érosion.

La première destination mondiale s'essouffle-t-elle au profit de concurrents comme l'Espagne? Ou est-elle victime d'un ensemble malheureux de facteurs conjoncturels, donc passagers, à l'enseigne de la morosité économique, des tensions au Moyen-Orient, du ressentiment américain contre le pays de Chirac, de la pollution du Prestige, des grèves syndicales à répétition, des annulations de festivals, de la cherté de l'euro, des intempéries puis de la canicule, des feux de forêt, etc.?

Le point avec Jean-Pierre Serra, président de la Fédération nationale des comités départementaux du tourisme, également président du Comité départemental du tourisme du Var.

Le Temps: Cet été, le tourisme en France ne se porte pas bien. Ou est-il plutôt en passe de changer?

J.-P. Serra: Nous avons effectivement une saison estivale en demi-teinte, surtout dans la deuxième partie de juillet, qui est pour nous difficile. Du côté des touristes français, je crois qu'on assiste à un vrai changement comportemental dans le temps et dans l'espace. En raison, entre autres, de la loi sur les 35 heures, les Français optent pour des séjours de plus en plus courts, de plus en plus nombreux et de plus en plus étalés dans l'année. Ils regardent aussi davantage leur budget, comparent beaucoup les prix et arbitrent pour les destinations les moins coûteuses. Nous assistons en conséquence à une modification de la cartographie touristique. Les flux de la clientèle se redéploient sur l'ensemble du territoire, non plus sur les destinations de prédilection qui étaient la Côte d'Azur ou le littoral Atlantique. Beaucoup de régions naguère peu visitées voient leur fréquentation touristique augmenter, comme l'Auvergne, le Poitou, le Sud-Ouest et l'Alsace. Je crois aussi que le touriste moyen est plus mûr aujourd'hui qu'il ne l'était dans le passé. Le modèle du vacancier «monotype», type mer ou type montagne, est lui aussi dépassé. On zappe désormais ses périodes de séjours comme on zappe ses activités de loisirs, alternant sans problème un repos dans un relais confortable avec une semaine de trek.

– Et la clientèle étrangère?

– La situation dépend du marché émetteur. Les Allemands viennent moins nombreux en raison de la situation économique de leur pays, ainsi que du beau temps durable dans le nord de l'Europe. Les Britanniques sont aussi moins nombreux à cause du mauvais différentiel livre-euro. En revanche, les touristes en provenance du Benelux, ainsi que les Scandinaves, sont toujours plus nombreux à venir en France. Nous souffrons surtout de la forte diminution des venues des touristes américains et japonais, habituellement gros consommateurs de prestations haut de gamme. Paris et l'Ile-de-France ainsi que la Côte d'Azur sont particulièrement touchés par leur absence cette année.

– Les récents incendies dans le Var ont-ils entraîné beaucoup d'annulations?

– Très peu du côté de la clientèle française, davantage chez les touristes étrangers, surtout les amateurs d'hôtellerie et restauration de luxe ou encore de golf. Ils ont peur de ne plus en avoir pour leur argent, pour dire les choses crûment. Le taux d'annulation dans ce créneau haut de gamme est de 15 à 20%, alors que nous nous attendions à bien pire, comme par exemple un taux de 50%. J'aimerais dire ici que, grâce à une impressionnante chaîne de solidarité, de nombreuses structures détruites, comme des campings, ont été redéployées ailleurs. Et je rappellerai que les feux n'ont touché «que» 10 000 hectares de la Côte d'Azur.

– Votre région, la Côte d'Azur, n'a-t-elle pas atteint son point de saturation touristique?

– C'est un vrai thème de réflexion pour nous. Mais il faut distinguer le littoral de l'arrière-pays, aussi bien dans les Alpes-Maritimes que dans le Var. Nous avons effectivement franchi un seuil de saturation sur le littoral il y a deux ou trois ans. Le phénomène a engendré ses propres effets de rejet. Lorsqu'on roule sur des routes perpétuellement saturées, ou lorsqu'on peut à peine accéder à des plages, on réfléchit à deux fois avant de revenir au même endroit. Surtout qu'une politique d'urbanisation effrénée et mal gérée a gravement nui à la qualité de vie sur le bord de mer, sans pour autant atteindre la dérive de la Costa Brava espagnole. La réaction de rejet a toutefois eu une conséquence bénéfique. Le flux touristique se redistribue vers le 2e ou le 3e rideau de la côte. Les touristes s'installent dans l'intérieur du pays, à 15-20 km des plages. Ils y trouvent moins de désagréments et un meilleur environnement, ne consommant la mer ou des attractions comme Saint-Tropez qu'à des doses homéopathiques. En réponse à cette nouvelle demande, les chambres d'hôte se développent fortement dans l'arrière-pays. Les structures de ces régions correspondent aussi mieux à l'attente touristique du moment, qui privilégie le service de qualité et l'offre personnalisée.