> Le designer de la forme libre

En 1969, la maison de meubles C&B tente un pari. Le jeune designer Gaetano Pesce, 28 ans, vient de lui dessiner un fauteuil aux rondeurs maternelles et sensuelles et à l’allure en plein dans le pop de son époque. Baptisé «Donna» ou «Mamma» en raison de sa similarité anthropomorphique évidente, le «Up 5» est livré tout plat, sous vide, et se gonfle à mesure que l’air remplit la mousse dans laquelle il est fabriqué. L’objet cartonne. Il deviendra la pièce emblématique de son inventeur et l’une de ces icônes du design italien des années 1970.

Mais résumer ainsi la carrière de Gaetano Pesce serait un peu court pour un créateur qui, avec Enzo Mari, Ettore Sottsass ou encore Alessandro Mendini, a changé notre rapport aux formes et à leur environnement.

Architecte, designer et artiste à l’imagination débordante et au caractère bien trempé, il a été l’un des premiers à vouloir construire un immeuble à la façade végétalisée. En 1987, il rencontre un autre gros succès avec ses fauteuils Feltri, sortes de trônes matelassés qui vous donnent l’impression de vous enfoncer dans la corolle d’un arum. Depuis quelques années, il porte aussi ce regard critique de vieux routier du design pour qui la production actuelle est trop esthétique, trop calculée pour plaire. Pour le 150e anniversaire de l’unité italienne, Gaetano Pesce réalisait en 2010 pour l’éditeur Cassina une série de tables en résine aux couleurs nationales. Objet ultra-kitsch dont chaque plateau représentait la pièce d’un puzzle de 61 pièces, clin d’œil à l’année 1861, date de l’unification. Une fois tous réunis, les fragments figuraient ainsi une immense péninsule italienne à la marge entre l’art et le design, de 25 mètres de long.

Le jeu et le hasard, l’accident et la poésie de la forme libre sont toujours au cœur de sa production récente. Très au fait des progrès des matériaux, il expérimente ainsi de nouveaux silicones avec lesquels il produit des vases, des fauteuils et des plats souples et mous dont aucun ne ressemble à un autre. Vivant à New York depuis plus de 40 ans, le designer de La Spezia avait droit l’année dernière à une grande rétrospective de son œuvre. Elle se déroulait à Rome, dans le Maxxi de l’architecte Zaha Hadid. Gaetano Pesce au musée maximum? Ça ne s’invente pas.