La galaxie Noma, itinéraire dans la ville aux 15 macarons Michelin
gastronomie
Autour de René Redzepi, derrière son contraire Rasmus Kofoed, un climat d’émulation inouï. De multiples enseignes ont vu le jour ces dernières années ou s’apprêtent à ouvrir. Avec souvent des choix singuliers et des promesses tenues. Repérages et dégustation
La galaxie Noma, itinéraire dans la ville aux 15 macarons Michelin
Autour de René Redzepi, derrière son contraire Rasmus Kofoed, un climat d’émulation inouï. De multiples enseignes ont vu le jour ces dernières années ou s’apprêtent à ouvrir. Avec souvent des choix singuliers et des promesses tenues. Repérages et dégustation
Cette ville est une pochette-surprise. Pas une seconde sans qu’il en sorte quelque chose. Qu’une annonce d’ouverture fasse dresser l’oreille, que le départ d’un chef chouchouté n’intrigue, qu’une rumeur de rachat ou de faillite fasse clapoter la cookosphère. En 2013, Copenhague bruisse de murmures et de clameurs gourmandes.
Dix ans plus tôt, un obscur jeune chef s’installait dans un entrepôt du vieux port avec une ambition folle.
Entre les deux, une révolution s’est produite. Un big bang, comme le rappelle Christian Puglisi, qui faisait partie de l’aventure: «Quand le Noma a ouvert, personne n’y croyait, quand le manifeste de la nouvelle cuisine nordique a été rédigé, tout le monde a ricané. En 2003, tout le monde voulait faire du foie gras. On l’a oublié un peu vite…»
René Redzepi, le jeune chef surdoué a réinventé la cuisine de son pays autour de quelques lignes de force: territoire, saisons, traditions et techniques locales.
Couronné à trois reprises meilleur chef du monde par le magazine Restaurant, il est à l’origine d’une formidable émulation. La seule capitale de Copenhague compte aujourd’hui 15 étoiles et dessine un paysage étonnamment gourmand. A l’est Noma, à l’ouest Relae, au nord Geranium, au sud Kadeau; ailleurs et alentour ont surgi de nouveaux points cardinaux du bien-manger. Longtemps considérée comme un désert culinaire, Copenhague est désormais un but de pèlerinage pour les «foodies» de la planète entière. Enfin, entre le haut de gamme et les restos traditionnels, la bistronomie nordique a fait son apparition.
René Redzepi se dit aujourd’hui ravi de cette relève talentueuse: «C’est un aboutissement de contribuer à une vraie réflexion sur la cuisine, partir de cette révolution pour exprimer la singularité de chacun.»
> Le puriste Christian Puglisi
Avec son crépi blanc grossier et ses briques rouges, son piano ouvert sur quelques tables carrées, le décor de Relae est plus que minimaliste. Anti-Michelin, pourrait-on dire. Les suspensions si farouchement scandinaves zooment sur les assiettes. Un signe. Une image pour signifier qu’une fois la cuisine installée, il n’y avait rien à gaspiller en décorum. Le seul luxe est dans le produit, note en substance Christian Puglisi, le chef du Relae. Une philosophie du dénuement saluée pourtant par le guide Michelin, qui lui a attribué sa première étoile dès 2010.
Christian Puglisi faisait partie de la première brigade du Noma à son ouverture en 2003. Il l’a quittée en 2009 pour créer son propre lieu; cela a donné Relae en 2009, suivi de Manfreds & Vin, super bistrot et bar à vin qui lui fait face.
Comme la plupart de ses pairs danois, Christian Puglisi se dit plutôt locavore. Quoique. Il n’a pas signé le manifeste de la Nouvelle cuisine nordique et cet enfant de l’immigration, né d’un père sicilien et d’une mère norvégienne, ne voit pas pourquoi il s’interdirait un citron de Messine. «Mon seul dogme est la qualité…»
Ce puriste s’est toutefois mis une contrainte supplémentaire en ne recourant qu’à des produits biologiques, respectivement des vins naturels. La certification bio qu’il vient d’obtenir est une première, unique pour une table étoilée. Est-ce d’autant plus difficile de se montrer créatif? Oui mais les défis, ça le stimule.
Cela dit, on recourt aux mêmes produits dans les deux adresses avec un petit plus en termes de raffinement et de créativité, côté Relae, une note plus décontractée chez Manfreds. Une même philosophie du dépouillement et de la sincérité des deux côtés.
Trois éléments par assiette, pas plus, et un maître mot, l’intégration – «mon background à moi» –, pour des énoncés qui ressemblent à ceci: carpaccio de bœuf aux anchois et ail des ours, porc de Hindsholm aux orties et au concombre ou pour des menus végétariens avec d’étonnants porridges et risottos, jouant aussi sur les traditionnels laitages et céréales danois. De part et d’autre de la rue, des plats exquis servis dans une atmosphère chaleureuse, que la table tienne plus de la jam session que du récital en queue-de-pie, autant dire une ambition folle, et un carnet de réservations qui déborde…
> L’antinomique Rasmus Kofoed
Pas sûr que Monsieur Paul goûterait les plats élaborés ici par une équipe de virtuoses…
Trois statuettes à son effigie jaugent pourtant la brigade du Geranium, bras croisés sur les pectoraux, posture impériale du chef qui ne doute jamais… Rasmus Kofoed, chef du Geranium doublement étoilé au guide Michelin, est le seul à avoir remporté successivement trois Bocuse – de bronze, d’argent puis d’or, entre 2009 et 2011 –, soit une des plus prestigieuses récompenses de l’univers gastronomique.
A 38 ans, après en avoir consacré neuf à jouer les bêtes de concours, il règne sur un décor de marbre et de transparences, huit étages au-dessus du stade de Copenhague. Un cadre anthracite et minéral, un rien glaçant et terriblement international, dont le seul ancrage local est un alignement de bouleaux évoquant des totems.
Rasmus est végétarien, sportif émérite, issu d’une famille modeste et nombreuse. Passé par l’Ecole Steiner, il a désormais pour fournisseur principal une ferme biodynamique des environs; sinon, la plupart des herbes, fleurs, algues, mousses, lichens qu’il utilise sont locaux et sauvages, tout comme les poissons et fruits de mer, mais pas exclusivement. «Si j’ai envie de travailler de l’ananas demain, je ne vais pas me l’interdire au nom de principes locavores.»
Pour le reste, au-delà de leurs origines plutôt modestes et de leur passeport, tout oppose Rasmus Kofoed et René Redzepi. Anti-nomiques?
Le premier pratique une cuisine virtuose, de haute technicité, puisant largement dans le répertoire hispanique de ces deux dernières décennies. Effets spéciaux, illusions visuelles, olfactives, jeux sur les textures. Le tout est extrêmement habile (pierre d’aneth). Souvent spectaculaire (sphère de carotte cristallisée renfermant une pastille molle d’argousier). Parfois bon (crème de topinambour et noix).
> Le châtelain vert Claus Henriksen
Imaginez un château médiéval furieusement romantique avec sa petite chapelle, ses lits à baldaquin, ses fantômes, son jardin à la française au cœur d’une nature sauvage. C’est ici à Dragsholm Slot, à Horve, gros village zélandais posé à une heure et demie au sud de Copenhague, qu’est né le mouvement Cook it Raw en 2009*. Ici qu’ont convergé, à l’occasion du sommet mondial sur le climat, une quinzaine de chefs parmi les plus créatifs de la planète, de René Redzepi à Massimo Bottura. Leur objectif? «Zero energy cooking», autrement dit cueillir, pêcher, chasser, récolter des ingrédients variés dans cette nature prodigue et les apprêter sur le mode le moins gourmand en énergie et le plus respectueux de l’environnement.
Dragsholm est donc le lieu de tous les commencements. C’est dans ce château qu’officie désormais Claus Henriksen, issu lui aussi de la galaxie Noma. Imaginez un clone nordique d’Alain Passard pour ce qui est de la philosophie verte et créative, un faux jumeau blond aux yeux bleus, moelleux et espiègle comme un troll. Sa cuisine? Elle est vivifiante, battue par les vents de la côte zélandaise, frottée à tous les parfums de la forêt voisine, roulée dans l’humus du parc et du potager bio.
La carte est à géométrie variable selon le lieu: terrasse, brasserie, bar ou resto gastronomique. Dans ce dernier, le chef propose des menus (presque exclusivement) végétariens: déclinaison d’asperges blanches et vertes, cultivées et sauvages, rôties et crues ou d’un chou local aux saveurs de noisette, rehaussé d’une crème de palourdes, exquis carpaccio de veau mariant la rose, la carotte et la menthe ou encore étonnantes fraises à l’essence de pin. Pas surprenant que tous les collègues de la ville et du Noma viennent se ressourcer chez lui… On adore.
* «Cook it Raw», Editions Phaidon, 2013 (en anglais).
> Les nouveaux venus Victor et Sam
Ils ont à peine ouvert et déjà, on s’y bouscule. On décroche in extremis une table dans ce bistrot de charme à trois pas de Tivoli; déco sobre, bois clair et ampoules nues, mobilier chiné avec goût, où l’on retrouve de vieilles connaissances. Ou presque. A l’origine de Bror, deux anciens de Noma: Victor Wagman et Sam Nutter. Côté vins (naturels), le blond Alexander est un ancien de Relae. On reste décidément entre de bonnes mains et l’accueil est désarmant de gentillesse.
Au bout de trois ans et demi au Noma pour l’un, quatre pour l’autre, dans ce lieu «particulièrement inspirant», la paire a eu envie de se lancer à son tour. Ce drôle d’endroit sur deux niveaux dans une ruelle de l’hypercentre s’est offert au moment idéal.
«Tout a été monté en deux temps trois mouvements», explique Victor. Avec un minimum de moyens mais le plein d’idées. L’essentiel reste dans les assiettes. Des asperges des Lammefjordes rôties et effilochées, fines lamelles de fraises blanches et noisettes ou une lotte aux oignons nouveaux et algues, un filet de mulet au concombre et son bouillon d’aiguilles de sapin, un tartare de bœuf à la rhubarbe ou enfin des fraises aux fleurs de sureau. Le tout est drôlement déluré, vif et plein d’allant. Heureuse petite adresse donc, de la vraie bistronomie, et une addition très raisonnable à l’aune de la capitale danoise.
> Le plus attendu Matt Orlando
Le monde était, dit-on, à ses pieds et lui a choisi de rester à Copenhague. Matthew Orlando, dit Matt, le Californien passé chez Heston Blumenthal et Thomas Keller avant d’être le talentueux chef de René Redzepi, vient d’ouvrir son propre restaurant dans un ancien entrepôt du port évoquant le Noma. La ressemblance devrait s’arrêter là: Amass, c’est le nom du nouveau lieu, se veut «rustique, brut, plus familial que son modèle». Il aura son propre jardin à l’arrière et entend offrir une «expérience», impliquer et surprendre ses hôtes.
Noma. www.noma.dk Relae. http://restaurant-relae.dk Manfreds & Vin. www.manfreds.dk Geranium. www.geranium.dk Dragsholm Castle. www.dragsholm-slot.dk Bror. http://restaurantbror.dk Amass. www.amassrestaurant.com