Comment garder le moral en temps de pandémie hivernale?
Humeur
Les jours raccourcissent, les brumes s’épaississent et les mesures sanitaires enlèvent une belle partie des animations de la saison froide. Que faire pour que la deuxième vague ne rime pas avec vague à l’âme? Réponse des spécialistes

«L’arrivée de la grisaille avec la deuxième vague… le timing est vraiment mauvais», soupire Sophie. Le pire cauchemar de la Vaudoise de 31 ans: que se superposent au coup de blues saisonnier un nouveau confinement et son lot de sombres perspectives pour l’année prochaine. La vie sociale et les voyages en suspens, l’instabilité économique et la peur de l’autre, omniprésente, en filigrane.
Evident dès le début de la pandémie, l’impact du covid sur l’anxiété est désormais appuyé par plusieurs études. Une enquête conduite en Grande-Bretagne a constaté que les cas de dépression chez les adultes ont doublé par rapport à l’année passée. Un sondage réalisé pour le compte de la Croix-Rouge dans sept pays, dont la Suisse, a montré qu’une personne sur deux estimait que sa santé psychique avait été affectée par le contexte sanitaire. Tout cela, dans une période plutôt ensoleillée, moins propice aux états dépressifs. Qu’attendre donc de l’arrivée du froid, avec les cieux et les humeurs plus sombres?
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Conséquences de la première vague
«La santé mentale des Suisses est mise à mal», confirme la Fédération suisse des psychologues, qui mène actuellement un sondage pour obtenir des chiffres précis. Sur le terrain, l’inquiétude des spécialistes est grande: «Le nombre de consultations pour les troubles anxieux augmente, dans toutes les tranches d’âge», constatent Yuliya Govyadovskaya, psychologue-psychothérapeute à Genève, et plusieurs de ses collègues.
Une certaine fatigue du covid s’installe. Beaucoup avouent qu’ils auront plus de mal à supporter la deuxième vague que la première
En plus du stress accentué par les incertitudes économiques et le manque de prévisibilité, il y a toutes les conséquences de la première vague qui se manifestent depuis le début de l’été: peurs, traumas liés aux violences domestiques, perturbations du sommeil et du comportement chez les enfants qui ont emmagasiné, parfois inconsciemment, l’inquiétude des parents… Sans parler des adolescents, qui ont été touchés «dans tout ce qu’il y a de plus important à leur âge – interactions sociales, premières amours»: un traumatisme qui pourrait se manifester dans leur vie de futurs adultes. «Le covid a exacerbé les angoisses existantes et les conflits latents, dit la psychologue spécialisée dans les thérapies de famille. Et à vrai dire, on s’attend à ce que la situation empire dès novembre, lorsque davantage de personnes sont sujettes aux troubles d’humeur.»
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Lumière du jour pendant trente minutes
A Lausanne, le directeur du Centre d’épidémiologie psychiatrique et de psychopathologie au CHUV, Martin Preisig, n’a pas observé jusqu’à maintenant d’augmentation des niveaux d’anxiété. Une étude qui suit l’évolution de la santé psychique des Lausannois n’a pas montré ce printemps de différence significative par rapport à l’année dernière. Cependant, le spécialiste ne le cache pas: «Une certaine fatigue du covid s’installe. Pendant la première vague, les gens se sont mobilisés face à quelque chose d’extraordinaire, ils ont fait leur maximum. Maintenant que cela revient, beaucoup avouent qu’ils auront plus de mal à le supporter, surtout pendant une période de l’année plus déprimante.»
En temps normal, la dépression saisonnière (qui se manifeste entre autres par la tristesse, une perte d’énergie et des troubles du sommeil, et persiste au minimum deux semaines) touche 2 à 4% de la population. Le covid menace-t-il d’aggraver la situation? «Il faut faire la distinction entre la dépression et les coups de blues hivernaux, qui sont des variations d’humeur passagères, note Martin Preisig. Ces derniers expriment une certaine tristesse liée à la fin de l’été, des activités des beaux jours. Mais les deux se soignent.»
La luminothérapie, pour compenser le manque de soleil, est l’une des méthodes les plus courantes. Mais le remède universel s’avère encore plus simple: passer au moins trente minutes en plein air pendant la journée, en marchant ou en faisant n’importe quelle autre activité physique, car «l’intensité de la lumière naturelle, même en hiver, reste plus efficace que celle des lampes de thérapie», explique le spécialiste.
Sable cinétique et pain maison
Et si les coups de blues s’allongent comme les soirées d’hiver et s’accompagnent d’anxiété persistante? «Le covid a amplifié le stress chronique de nos vies, nous a fait nous sentir plus vulnérables. Il a bouleversé nos rapports au monde et aux autres, ébranlé notre quotidien et nos certitudes. Tout cela met à l’épreuve le système nerveux et nos moyens d’adaptation», analyse Arina Lipkina, psychologue à Moscou, où les jours sont encore plus courts que sous nos latitudes et l’hiver plus tenace. Or le stress passe par trois phases: alerte de l’organisme, mobilisation générale et… épuisement des ressources. C’est dans cette dernière phase que la dépression et l’anxiété peuvent s’emparer de certains d’entre nous.
«Il y a plusieurs moyens de combattre l’anxiété, y compris des tisanes et des aliments riches en oméga-3, mais la clé est de se concentrer sur les sensations physiques agréables», conseille Arina Lipkina: jouets antistress, sable cinétique ou autre matière relaxante au toucher, ruissellement de l’eau, bougies aromatiques, massages… «Ecoutez-vous et demandez-vous ce qui vous détendrait. Mettez de la musique, chantez ou dansez, peu importe comment. La cuisine, également, est une distraction par excellence, surtout la confection du pain – des études montrent que l’odeur du pain au four nous rend heureux. Explorez vos passions, remplissez votre vie de plaisirs simples et puisez l’énergie positive à l’intérieur de vous!»
A Genève, Yuliya Govyadovskaya renchérit: «Nous étions habitués à évacuer le stress en cherchant une compensation dans des loisirs extérieurs: restaurants, sorties, voyages… Depuis le début de la pandémie, privé de ces distractions, on se tourne vers soi et on revient aux fondamentaux: prendre soin de son corps, contempler un paysage, respirer consciemment, cuisiner. Cette impossibilité de se projeter dans l’avenir nous aide paradoxalement à trouver un ancrage dans le présent.»
Résilience nordique
Créer une ambiance cosy à la maison, préparer un gâteau, faire une balade dans une forêt givrée… La recette est bien connue dans les pays nordiques, sous le nom de hygge au Danemark ou de koselig en Norvège. Des études montrent par ailleurs que les habitants des régions où la nuit polaire est une normalité ne souffrent presque pas de dépression saisonnière. Faut-il y voir une résilience liée à un état d’esprit positif face à l’hiver, comme l’affirme une étude menée au-delà du cercle polaire?
Martin Preisig n’en est pas certain. «La migration vers le Sud des personnes qui, par leur constellation génétique, supportaient mal le manque hivernal de luminosité au Nord est l’une des hypothèses qui pourraient expliquer ce faible taux de dépression saisonnière dans les pays scandinaves.» Mais, acquiesce le spécialiste, «si on arrive à changer notre attitude envers l’hiver et l’associer à des activités agréables, c’est une bonne stratégie».
Retour aux sources, donc – à ces choses qu’on laissait de côté auparavant, pris dans un tourbillon d’activités sociales et de consommation de loisirs. A tel point que l’on oubliait parfois de prendre du temps pour en profiter vraiment. Tristement, c’est une fois mises en danger que les joies simples de la vie ont pris plus de la valeur à nos yeux: devenus rares, les repas conviviaux ont rarement eu autant de saveur.
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