Economie verte
2,3 millions de tonnes de nourriture sont jetées chaque année. Des pertes ont lieu à toutes les étapes de la chaîne, du producteur au consommateur. Mais les ménages sont responsables de la moitié du gâchis

Evidemment, on n’est jamais très fier en lâchant le pot au fond du sac. Bon, ce n’est qu’un yoghourt. Une paille. 180 grammes qui s’additionnent à la barquette de fraises laissée pourrir et à la miche que l’on pensait sincèrement recycler en pain perdu. 180 grammes parmi les 300 kilos de nourriture que jette chaque Suisse chaque année. La statistique est évidemment un raccourci coup de poing, mais la réalité est impressionnante. Ce sont donc 2,3 millions de tonnes d’aliments qui sont gaspillées tous les ans dans le pays, dont près de la moitié incombe aux ménages. Ce gâchis est l’une des préoccupations de l’initiative «pour une économie verte», soumise au peuple le 25 septembre.
Les causes sont multiples et se retrouvent à tous les niveaux de la chaîne, ici comme ailleurs en Europe. 11% de la production est écartée, ainsi, notamment parce que les fruits ou légumes ne correspondant pas au calibrage attendu. Exit les carottes à deux pattes ou les pommes bosselées. 30% échoient à l’industrie de transformation: pelures, os de la viande… «De très gros efforts sont faits dans ce secteur pour minimiser les pertes, car elles représentent une diminution des gains pour les entreprises», précise Dominique Kohli, vice-directeur de l’Office fédéral de l’agriculture.
Recyclage des produits périmés
Pour les mêmes raisons, les distributeurs tentent également de réduire la part de gaspillage. La marchandise périmée ou avariée est recyclée en aliments pour animaux, en biogaz ou en compost. Une partie est cédée à des organisations comme Table suisse ou Table couvre-toi. L’an dernier par exemple, Coop a remis 2200 tonnes de nourriture à Table suisse et Table couvre-toi. Une quantité relativement stable d’une année à l’autre, composée d’aliments dans les délais de consommation ou jusqu’à 7 jours après la «date limite d’utilisation optimale».
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«Nous récoltons en moyenne 17 tonnes de subsistance par jour, dont 95% de produits frais, souligne Baptiste Marmier, responsable de Table Suisse pour Vaud et Neuchâtel. Notre marge de manœuvre se situe entre la date de vente et la date de consommation ou lorsque le fruit, par exemple, n’est plus assez beau pour être vendu mais reste parfaitement consommable. Il peut encore s’agir d’un citron abîmé dans le filet ou d’une feuille de salade marron sur la totalité de la tête. Nous redistribuons tout le même jour, à des institutions sociales comme la soupe populaire, un centre d’accueil en urgence ou un foyer de requérants.» L’organisation travaille à une base de données en ligne pour optimiser les liens entre distributeurs et organismes de partage.
Désastre environnemental
L’idée d’assouplir les dates inscrites sur les emballages est une lapalissade, mais personne ne semble vouloir prendre le moindre risque. «Un yahourt peut très bien être consommé une semaine après la date de péremption s’il a été tenu au frais, mais imaginez qu’il y ait un problème un jour, en raison d’une interruption de la chaîne du froid par exemple, ce serait un scandale! Personne ne veut s’y hasarder», estime Jacques Martelain, directeur du service de Géologie, sols et déchets de l’Etat de Genève. Au gâchis alimentaire s’ajoute le désastre environnemental puisque les denrées ont parfois parcouru des milliers de kilomètres pour arriver dans nos rayons… et finir à la poubelle.
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Dans les restaurants, ce sont les cartes pléthoriques et les assiettes trop fournies qui sont pointées du doigt. Mais le gros de la dilapidation se passe chez vous et moi. Là encore, les raisons sont variées. «Il y a la propension à acheter trop, les actions dans les supermarchés, la terreur du «migros-data», l’augmentation du nombre de repas pris hors du domicile, les jeunes générations qui n’ont plus les solides connaissances de leurs mères et grands-mères dans l’art d’apprêter les restes…», énumère Dominique Kohli.
«Les consommateurs, aujourd’hui, sont loin de la production. L’adéquation est donc difficile. Mais la cause principale vient du fait que les prix sont bas dans les pays développés. Les ménages suisses ne consacrent que 7% de leur budget à l’alimentation; ils peuvent donc gaspiller sans que cela n’ait un énorme impact, analyse João Almeida, auteur d’une thèse en 2011 sur le sujet à l’université de Bâle et cofondateur de Food Ways. Cela tient de nos modes de consommation aussi. Par exemple, nous achetons la viande pour faire des grillades au dernier moment, en fonction de la météo, tandis que la décision de produire cette viande doit être prise des mois auparavant.»
Le succès des «gueules cassées»
Des initiatives sont lancées ici et là pour sensibiliser la population à la question. A Zurich, Saint-Gall ou Fribourg ont fleuri des boulangeries proposant les produits de la veille, «Frisch von gestern». En France, de plus en plus de supermarchés proposent des «gueules cassées» à moindre prix; grains de raisin menus, patates en forme de cœur ou camemberts à la robe légèrement ondulée. A Lausanne, le vice-président du parti socialiste Denis Corboz, organise depuis l’an dernier des soirées «Deuxième service» au Casino de Montbenon. Le concept: mandater un chef renommé pour cuisiner un repas de fête avec des aliments destinés à la casse. En 2015, Eric Godot, de La Source, a officié. Cette année ce furent l’étoilé Guillaume Rainex, ancien d’Anne-Sophie Pic et François Grognuz, de la Brasserie de Montbenon. La troisième édition est en cours d’élaboration. «C’est un peu l’alliance des contraires! Je cherchais un moyen de toucher la population sur ce sujet capital, note l’initiateur. Les cuisiniers sont épatés chaque fois de la qualité des aliments que nous leur proposons, récupérés chez Table Suisse. Les convives également.»
Nous devons viser l’objectif d’une consommation responsable mais cela ne viendra pas d’une police de l’alimentation ni d’une régulation étatique.
Le mois prochain, FoodHack Geneva, le premier hackathon dédié à la problématique, aura lieu à Genève. Le canton, lui, a choisi de jouer les pompiers et la carte du recyclage. 100 000 «petites poubelles vertes» seront distribuées dans les semaines qui viennent pour récolter les déchets alimentaires (LT du 12 septembre 2016). «Lors du dernier audit des poubelles du canton, nous avons constaté que le tiers des incinérables étaient constitués de déchets organiques. N’ayant que très peu de marge sur le comportement des gens, nous avons opté pour cette action après-coup, qui contribue également à la sensibilisation», prône Jacques Martelain. Dominique Kohli abonde: «Nous devons viser l’objectif d’une consommation responsable mais cela ne viendra pas d’une police de l’alimentation ni d’une régulation étatique. Il faut une prise de conscience et nous sommes en train d’y arriver. L’information est le principal levier.»
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La lutte contre le gaspillage alimentaire est l’une des vingt-sept mesures figurant dans le plan d’action Economie verte adopté par le Conseil fédéral en 2013; pour y parvenir, les autorités misent sur un «dialogue élargi». Et le fonctionnaire de citer une exposition commandée à Foodwaste pour le Comptoir Suisse, des recommandations émises à la grande distribution quant aux dates de péremption ou la création de l’association United Against Waste, réunissant des organismes comme Nestlé, GastroSuisse ou les hôpitaux universitaires avec comme objectif de réduire les pertes de 50%. Et si on faisait des confitures?
Les bons usages du côté des ménages
Au moment des courses
Elaborer des menus pour la semaine.
Se concerter avec son conjoint ou colocataire avant les emplettes.
Faire ses courses deux fois par semaine plutôt qu’une.
Eviter de les faire la faim au ventre.
Vérifier le contenu du frigidaire avant de partir en commissions.
Privilégier les portions petites et non emballées.
Ne pas céder aux actions «3 pour 2».
Acheter un frigidaire plus petit.
Pour le stockage
Régler son frigidaire à 5 degrés.
Placer ses restes de manière à les rendre visibles.
Congeler avant qu’il ne soit trop tard.
Stocker pommes et bananes séparément car elles activent le processus de maturation des autres fruits.
Cuire la viande qui se périme afin de prolonger sa durée de conservation de 2-3 jours.
Consommation
Se fier à ses sens pour observer si un produit est toujours consommable après la date.
Rajeunir une salade flétrie en la plaçant une heure dans l’eau.
Confectionner une limonade lorsqu’il reste un demi-citron plutôt que le laisser sécher dans le frigidaire.
Redonner du croquant à des biscuits ramollis en les passant au four.
Recycler les restes en soupes, gratins, tartes ou sauces.
Faire des confitures avec les fruits fatigués.
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