Boire et manger
La myrtille, la betterave ou la violette arborent les mêmes couleurs mais ont surtout en commun d’étonnantes vertus. Vous avez dit superpouvoirs?

2018, année ultraviolette. Dixit le Pantone Color Institute, qui élit chaque année la couleur la plus tendance. Ultra Violet ou plus précisément 18-3838, soit «une des couleurs les plus complexes, mêlant deux tons diamétralement opposés, du bleu et du rouge, pour créer quelque chose de radicalement nouveau», indique la société du New Jersey.
Incidemment, le 18-3838 est aussi la star du moment en cuisine, omniprésent sur les blogs et les réseaux via de multiples avatars nommés betterave, chou rouge, pomme de terre bleue de Suède, vitelotte ou bleue de Saint-Gall, myrtille, aubergine, artichaut violet, oignon rouge, cassis, aronia, açaï, nais aussi maïs violet, mûre, prune, figue ou sureau, et la liste n’est pas exhaustive…
Ultraviolet? C’est aussi le nom d’un des restaurants les plus encensés de la planète. L’enseigne homonyme du chef Paul Pairet à Shanghai truste depuis plusieurs années les meilleures places des classements mondiaux.
Les happy few admis dans le saint des saints couleur ultraviolette (dix convives par soir, au terme d’une liste d’attente redoutable) ont livré des récits fascinants d’expériences multisensorielles…
Régime pourpre
De son côté, le grand distributeur bio anglo-saxon Whole Foods prophétisait déjà l’avènement de la couleur fétiche de Prince dans les assiettes de la planète dès 2016. Le trend serait né aux Etats-Unis avec le boom de l’igname pourpre, tubercule utilisé comme colorant naturel. Très présente dans la cuisine philippine, cette racine violette est désormais omniprésente dans la pâtisserie états-unienne, des donuts aux glaces et aux cakes, auxquels elle donne une teinte vive hésitant entre lavande et violette…
Le distributeur avançait alors que la teneur en pigments de l’igname et autres végétaux était le gage d’une grande richesse en nutriments et antioxydants.
Certaines stars avaient à leur tour fait bourdonner les réseaux en vantant la Purple Diet – notamment en tant que régime post-partum miracle de Mariah Carey. Revoici donc la couleur de «la contre-culture, de l’anticonformisme, de la créativité et de la pensée visionnaire», avec cette fois la caution de la communauté scientifique.
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Réparer les cellules
Il fut ainsi question d’aliments violets lors du séminaire annuel de la Société suisse des cuisiniers, réunissant nombre de scientifiques; une journée consacrée aux superfoods, ces superaliments ou «bombes nutritionnelles» auxquelles on a tendance à prêter toutes les vertus…
«Pour établir le potentiel d’un aliment ou d’une plante, des analyses complexes, longues et coûteuses sont nécessaires, et il est rare qu’on prenne la peine de les mener», nuance d’emblée Beatrice Elena Baumer, ingénieure EPF en sciences de l’alimentation et enseignante à la Haute Ecole de Wädenswil.
La chercheuse s’est notamment penchée sur une ancienne variété locale de pomme de terre dite bleue de Suède. Le tubercule s’est révélé extrêmement intéressant: il contient 1,6 fois plus de polyphénols que les variétés jaunes, dont des anthocyanes aux effets anti-cancérigènes, mais aussi régulateurs de la tension artérielle, antimicrobiens, etc.
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Comme quoi la couleur n’est pas uniquement un critère esthétique. Elle reflète aussi des propriétés nutritionnelles. Les aliments violets sont ainsi particulièrement riches en anthocyanes, ces pigments aux puissants effets antioxydants. Spécialiste de la prévention du cancer, Tommaso Cimeli relevait lors du même colloque qu’une centaine de nos cellules sont endommagées chaque jour: «Notre métabolisme détermine s’il y a lieu de réagir, mais en général, ces cellules vont s’autodétruire. Certaines substances végétales contribuent toutefois à les réparer ou à freiner ce processus, à l’instar des polyphénols abondants dans les choux, l’aubergine et les pommes de terre bleues, mais aussi dans de nombreuses baies et fruits: myrtille, cerises, prunes, raisin, etc».
Le printemps au menu
Mais au fait qu’en disent nos chefs? Nicolas Darnauguilhem est fou de violette. La fleur, donc. Parce qu’elle est «la fleur de l’espoir, surgie tout de suite après la primevère et qu’elle annonce le printemps, les morilles, la douceur. Parce que son goût intense et ses notes veloutées vous changent un plat, pour son parfum entêtant, presque capiteux.» Magnifique sur une salade et en déco, magnifique un peu partout. Le chef du Neptune, à Genève, aime aussi la mauve, entre autres fleurs, dont on peut extraire les nuances violacées et les saveurs sauvages en l’infusant, voire en la faisant macérer dans de l’alcool ou du vinaigre. Il cite également le chou rouge, version fermentée ou en simple salade paysanne, voire la vitelotte, cette autre pomme de terre violette formidable.
Autre chef genevois hypercréatif, voire hyperactif, Serge Labrosse propose volontiers un taboulé de chou-fleur violet et gambas, explosion de notes grenat et pourpre. Voire des endives violettes, servies croquantes avec des noix et des cromesquis de vieux gruyère… Surtout, le chef étoilé de la Chaumière à Troinex et du Boléro à Versoix, entre autres adresses à succès, se réjouit de concocter des assiettes qui annoncent enfin le printemps: du poulpe grillé aux parfums de basilic pourpre et de Provence, associé pour la beauté du camaïeu à une purée de pommes de terre vitelottes à l’ail rose de Lautrec…
Mais encore? Toujours à propos de superfoods, le champion de lutte à la culotte Nöldi Forrer a livré son secret: la veille d’un combat, la légende vivante du sport helvétique se shoote au jus de betterave…