Pour les fins gourmets curieux de découvrir l’authenticité de la culture culinaire régionale, les filets de perche sont un véritable trésor, un cadeau des eaux. Nous, Romands, en sommes fiers et passionnément amoureux. Certains leur vouent un véritable culte. Pour les visiteurs, ils représentent une étape gastronomique obligatoire. Nature, au citron, aux fines herbes, au vin blanc ou à la crème, ce petit poisson si convoité ravit nos papilles.

Et pourtant, son identité est souvent usurpée. Car en raison d’une demande sans cesse croissante et l’impossibilité d’y faire face, la perche d’importation vient combler un déficit d’offre locale. Impossible de satisfaire tout le monde. Le jeune Julien Monney, pêcheur professionnel depuis 2010, défend l’aménagement d’une pêcherie du lac afin de délimiter et faciliter la pratique de la pêche: «Il y a toujours des perches dans le Léman, la difficulté c’est parfois de les trouver», tout en insistant sur leur qualité d’exception due à «l’abondance des aliments naturels dans le lac qui favorisent une excellente nutrition. Le milieu ambiant fait ainsi toute la différence».

Derby gastronomique

Une autre guerre fait rage; celle-ci plus régionale. Un «derby» gastronomique entre les cantons de Genève et de Vaud. Les deux régions lacustres revendiquent toutes deux d’avoir les meilleures perches du coin. Une vieille rivalité historique. Mais Julien Monney tranche rapidement: «Les eaux sont territoriales, raconte-il. «Un Genevois pêche sur Genève et un Vaudois pêche sur Vaud. La délimitation se fait par des points de repère sur la rive». En bonne cohabitation, les pêcheurs n’empiètent pas sur la zone de leurs voisins, c’est une question de respect et d’éthique.

«Il existe plusieurs techniques de pêche», explique Julien Monney. «Au filet maillant, à la nasse et à la monte (ancrer le bateau, tendre le filet et rabattre les bras instantanément)». Cette dernière est du reste la seule pêche active autorisée sur le lac. Le départ dans l’eau dépend de la saison. «Quand les eaux sont chaudes, je pose mes filets avant le lever du jour et je les relève deux à trois heures après. Quand la température de l’eau est froide, je tends mes filets à trois heures du matin et je peux me permettre d’attendre un à deux jours avant de les remonter». Après la pêche vient la préparation: «Je les écaille et les débite en filets.» Un coup de poignet, un savoir-faire est nécessaire. Opération périlleuse? Pragmatique, le jeune pêcheur affirme que «c’est un geste qui s’acquiert avec le temps. Après avoir coupé plus d’une tonne de perches, on commence gentiment à prendre la main».

Comme dans du beurre

Des filets de pêche aux filets dans l’assiette, il n’y a qu’un pas qui se franchit allègrement en arrivant au célèbre Café-Restaurant des Voyageurs à Genève. Le sympathique et souriant patron, Jean-Luc Leroux, reçoit exclusivement les perches du lac. En cuisine, le chef, Samuel Plaud, les portionne dans un bac, les emmitoufle dans du papier absorbant pour leur enlever un maximum d’humidité. Puis il les tourne dans de la farine fleur (la plus fine), les passe au tamis pour «enlever tout excédent, éviter la formation d’une croûte épaisse à la cuisson et leur conserver une consistance très tendre».

L’aventure culinaire continue. Samuel Plaud chauffe la poêle avec de l’huile d’arachide et deux belles cuillères de beurre. «Le mélange ne doit pas colorer avant d’avoir déposé les perches», précise-t-il. «Je positionne le côté chair dans le fond de la poêle pour éviter que les filets ne se rétractent et ne vrillent.» Le chef a du métier et les étapes s’accélèrent. Il lance ensuite une pincée de sel et pousse le gaz à fond. «J’interviens seulement quand les filets sont bien cuits d’un côté et que la sauce est devenue couleur noisette.»

A cet instant, il rajoute une dernière cuillère de beurre cru qui, dit-il «a pour effet de faire mousser davantage»; puis il roule les filets. La colorisation s’uniformise. Dans un crépitement mélodieux et une symphonie de saveurs, l’ensemble joue sa partition. Comble de précision, le chef dresse les filets un par un et les superpose jusqu’à former un soleil dans l’assiette. Et pour terminer, «je les arrose une dernière fois de beurre meunière».

«Quel courage endurci soutiendra les assauts qu’on lui prépare ici?» dirait Racine. Car l’instant est gourmand, comment y résister?


A déguster

Julien Monney, Pêcherie Coheran à Hermance, vendredi après-midi au marché de Collonge-Bellerive et le samedi matin au marché de Rive. Tél. 076 411 31 44.

Café-Restaurant des Voyageurs, 6, avenue de la Gare des Eaux-Vives, 1207 Genève. Tél. 022 735 58 98. Fermé le samedi et le dimanche.

A consulter

Le blog culinaire d’Edouard Amoiel, www.crazy-4-food.com