Avec son énergie débordante, Carlo Crisci semble ne jamais avoir quitté le monde de l’enfance. Tout en suivant le fil d’une discussion, il possède cette faculté de s’éparpiller dans tous les sens pour mieux se recentrer le moment venu. Une manière de canaliser son énergie pour concrétiser efficacement ses idées. Le chef qui ne jure que par son huile d’olive et bichonne ses propres jus tels des œuvres d’art construit ses créations comme les couches d’un millefeuille, produit par produit, essai par essai, jusqu’à obtenir un résultat digne de passer en salle.

La cuisine de Carlo Crisci? Elle est à son image: spontanée, directe, inventive, tout droit sortie de son monde imaginaire. A l’heure où de nombreux chefs calculent, lui compose. Là où les autres se médiatisent, lui joue la carte de la discrétion. S’il nage à contre-courant des tendances actuelles, ce n’est pas intentionnellement mais juste pour suivre le chemin qui est le sien. Même s’il a conscience que le monde change et que le métier de cuisinier évolue. Avec ses yeux qui se plissent à l’évocation des souvenirs d’antan, Carlo Crisci se livre sans équivoque pour le plus grand plaisir des terriens qui essaient de le suivre.

Patronne bluffée

Tout commence par du pain grillé au feu de bois arrosé d’huile d’olive et saupoudré de sucre: une bruschetta préparée pour les goûters de son enfance qui nous entraîne dans l’univers familial du chef, au sud de l’Italie, durant ses vacances d’été. Son accent vaudois ne trahit pas ses origines; le jeune Carlo a en effet grandi entre Vallorbe et Lausanne. «J’étais dans les jupons de ma mère et dans les pieds de mon père», s’amuse-t-il.

La voie des fourneaux n’est pourtant pas une évidence. «J’étais parti pour être graphiste, couturier ou coiffeur. Tout sauf cuisinier! A cette époque, j’estimais que ce n’était pas un vrai métier. Je n’arrivais pas à évaluer l’aspect créatif ni la possibilité de m’amuser dans ce travail.»

Alors que son père tient déjà un restaurant, le déclic viendra de son professeur de dessin qui le pousse à suivre un apprentissage en cuisine. Les débuts sont chaotiques. Carlo Crisci navigue entre un boulot peu rémunérateur et un établissement peu formateur. L’appel viendra de son père qui, après avoir connu le succès avec la Dent de Lys aux Paccots, reprend l’hôtel Hermitage. L’entreprise est un échec. Elle marquera profondément le jeune apprenti qui, après un passage au Grand Hôtel du Lac à Vevey, trouve une place dans la brasserie Die Glauque à Bâle. Révélation! A l’occasion de la visite de l’épouse du chef, la patronne lui laisse carte blanche. «J’ai sorti une quinzaine de plats pour m’amuser.» La propriétaire est bluffée. Tous les soirs, elle laisse le jeune prodige composer une nouveauté. Carlo commence enfin à cultiver ce plaisir créatif qui lui manquait tant. «Elle m’appelait Carleto et n’arrêtait pas de me lancer des fleurs. Le chef en place appréciait modérément.»

Fantaisie vitale

A l’avènement de la nouvelle cuisine, Carlo Crisci comprend qu’il est impératif de faire son marché, respecter les saisons et mettre en valeur le produit principal d’un plat. Le chef a 26 ans lorsqu’il reprend le restaurant Le Cerf en 1982. Tout reste à faire dans cette demeure de style médiéval située au centre du village de Cossonay. Les débuts sont difficiles, mais le jeune chef s’accroche. «J’ai fait une semaine avec zéro couvert. J’ai dû me battre pour y arriver. C’est ce que j’appelle la panique intelligente.»

Le propriétaire de l’établissement le soutient moralement et financièrement. «Je n’ai pas payé de loyer pendant les six premiers mois d’exploitation», se souvient-il tandis qu’un croustillant de langoustine en duo de carotte sauvage pimentée et capucine vient irradier la table de sa beauté colorée. «Il ne peut pas y avoir de création sans amusement. Pour moi, la fantaisie c’est vital.»


A déguster

Restaurant Le Cerf, rue du Temple 10, Cossonay, 021 861 26 08, www.lecerf-carlocrisci.ch

A consulter

Le site d’Edouard Amoiel, www.crazy-4-food.com