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Champagne, la vie en rose

La cote des bulles saumonées ne cesse de grimper, en particulier aux Etats-Unis, grâce à une nouvelle clientèle jeune et décomplexée. Une consécration pour une spécialité historique aux expressions très variées

Visite du T Magazine dans les caves de la Maison Bollinger à Tassigny, dans la région de Reims en Champagne (France). — © Lea Kloos
Visite du T Magazine dans les caves de la Maison Bollinger à Tassigny, dans la région de Reims en Champagne (France). — © Lea Kloos

Le rosé a une cote d’enfer. Il représente aujourd’hui plus de 30% de la production de vin en France, contre à peine 10% il y a vingt ans. Cette croissance, dopée par le rosé de Provence, a atteint la très aristocratique Champagne. La part des champagnes rosés atteint 10% des exportations, contre à peine 3% il y a vingt ans. La croissance touche tous les pays, mais elle est particulièrement marquée outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, deuxième pays importateur de champagne après le Royaume-Uni, le rosé représentait 17% de la consommation totale en 2018. Un succès qui s’explique par le développement d’une nouvelle clientèle, à la fois jeune, festive et argentée.

Facilement reconnaissable, la robe saumonée des «pink champagnes» célébrés par la pop star américaine Ariana Grande véhicule l’image décomplexée d’un plaisir instantané. Pour Denis Bunner, chef de cave adjoint chez Bollinger, son succès doit beaucoup aux femmes: «Elles provoquent souvent l’acte d’achat, séduites par sa couleur qui lui donne une identité propre. Le marché a commencé à décoller en 2002-2003, en même temps que les rosés de Provence. Il a d’autres atouts. C’est aussi un champagne qui possède de l’intensité en bouche et qui élargit les possibilités d’accords mets et vins.»

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Historique et sulfureux

© Lea Kloos
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Devenu incontournable, le champagne rosé s’appuie sur une longue tradition. Ruinart est la première maison à l’avoir commercialisé en 1764. Dans le livre de compte d’époque, conservé au siège la rue des Crayères, à Reims, on peut lire à la date du 14 mars qu’un «panier de 120 bouteilles dont 60 bouteilles d’œil-de-perdrix» a été expédié au baron de Wetzel, à Varsovie. Le terme d’œil-de-perdrix, repris beaucoup plus tard par les Neuchâtelois pour baptiser leur rosé de pinot noir, était utilisé à l’époque pour qualifier un champagne à la robe saumonée.

A l’origine, les bulles rosées étaient obtenues par macération, soit le contact plus ou moins prolongé de la peau des raisins noirs avec le jus blanc après foulage. Cette technique, désormais marginale, continue à être pratiquée par certaines maisons de Champagne. Parmi elles, la cuvée Dizy Terres Rouges de Jacquesson est une référence incontestée avec sa robe très foncée et ses arômes éclatants de petits fruits rouges. Le Rosé de Saignée de Larmandier-Bernier et la Cuvée Rosé de Laurent-Perrier sont également de remarquables ambassadeurs de ce savoir-faire, qui donne des vins plus vineux et plus riches que les rosés d’assemblage.

© Alamy Stock Photo
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Le rosé a d’emblée trouvé son public, comme en témoigne Le Déjeuner d’huîtres, toile du peintre-graveur Jean-François de Troy. Réalisée à la demande de Louis XV pour orner les murs de sa salle à manger privée à Versailles, elle met en scène un festin durant lequel des convives extatiques dégustent du champagne rosé. De quoi nourrir la légende d’un breuvage qui offre un plaisir immédiat.

Le champagne rosé a aussi véhiculé une image sulfureuse. A la tête de la maison familiale jusqu’en 1971, Lily Bollinger n’a jamais voulu en produire, le percevant comme un breuvage de cabaret indigne d’être associé à la marque. La situation a prévalu jusqu’à sa mort, en 1977. Le premier rosé de Bollinger est un champagne Grande Année du millésime 1976 mis sur le marché au milieu des années 1980. Il a même fallu attendre l’année 2008 pour que Bollinger lance un rosé non millésimé.

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Des bulles pleines de caractère

Le champagne rosé est devenu une spécialité reconnue comme telle deux siècles plus tôt grâce à la veuve Clicquot, première femme à avoir dirigé une maison de Champagne. En 1818, Barbe Nicole Clicquot, née Ponsardin, crée le premier rosé d’assemblage en ajoutant du vin rouge tranquille à du blanc avant champagnisation – en général entre 10 et 15%. Le mélange de rouge et de blanc s’est imposé comme la principale façon de produire le champagne rosé, avec des ambassadeurs remarquables, tant parmi les vignerons (Egly-Ouriet, Jacques Selosse, De Sousa, Pierre Peters) que les grandes maisons (Bollinger, Gosset, Philipponnat, Charles Heidsieck).

L’excellence des rosés d’assemblage s’explique aussi par le niveau toujours plus élevé des vins tranquilles de l’AOC Coteaux-Champenois. Avec le réchauffement climatique, les meilleurs parchets des villages d’Aÿ, de Bouzy ou encore de Cumières offrent des pinots noirs superbes, aux arômes de cerise et de griotte, qui magnifient le mariage entre rouge et blanc.

La maison Ruinart a également abandonné la macération des origines pour adopter l’assemblage au milieu du XIXe siècle. Un choix logique si l’on en croit Denis Bunner:

«La gestion de la couleur est beaucoup plus aisée en ajoutant un pourcentage donné de vin rouge tranquille avant la deuxième fermentation. Et au final, le résultat est simplement meilleur. Pour nous, c’est l’élément décisif. Au vu du marché, nous ne sommes pas les seuls à le penser.»

L’exceptionnelle diversité des protocoles de vinification permet aux champagnes rosés d’offrir une variété presque infinie de couleurs et de saveurs. Avec des curiosités qui allient les deux techniques historiques. Installé à Aÿ, Jean-Baptiste Geoffroy fait partie des producteurs les plus inventifs. Ce récoltant-manipulant propose depuis 2008 un rosé de comacération, avec des parts égales de pinot noir et de chardonnay qui macèrent puis fermentent ensemble (voir notre sélection).

© Lea Kloos
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Dans le même esprit novateur, la coopérative Mailly Grand Cru propose un rosé qui associe la technique de la macération (90%) et celle de l’assemblage, avec l’ajout d’une juste proportion de vins tranquilles (5% de pinot noir et 5% de chardonnay). Une recette originale qui souligne le foisonnement créatif qui entoure le rosé. Qu’il soit à peine teinté ou presque rouge, de macération ou d’assemblage, peu importe, comme l’a joliment écrit George Sand: «Le champagne aide à l’émerveillement.»

Le champagne rosé offre une multitude d’expressions. Sélection éclectique

© Ruinart
© Ruinart

Dom Ruinart Rosé 2007 – Ruinart

La cuvée Dom Ruinart Rosé est une référence incontournable. La marque, propriété du groupe LVMH, a produit le premier millésime de ce vin mythique en 1966. Il est issu de vignes situées exclusivement en Grand Cru, avec 80% de chardonnay et 20% de pinot noir vinifié en rouge. Vieilli dix ans sur lies, le millésime 2007 offre une robe soutenue avec de délicats reflets cuivrés. Le nez est complexe, sur des arômes d’agrumes et de pomme golden. La bouche est magnifiquement dessinée, avec des notes de mandarine et une bulle très fine. Un must.

© Champagne Geoffroy
© Champagne Geoffroy

Blanc de Rose 2013 – Champagne Geoffroy

A la tête de 15 hectares de vignes situées à Cumières, mais installé à Aÿ, Jean-Baptiste Geoffroy a une tendresse toute particulière pour le rosé, qui représente 25% de sa production. Il propose deux cuvées, dont une millésimée, le Blanc de Rose, comacération de chardonnay et de pinot noir répartis en quantités égales. Le 2013 tient toutes ses promesses, avec beaucoup d’élégance, sur ses arômes de fleurs blanches et de pamplemousse. Il offre une texture soyeuse et beaucoup de dynamisme. Un champagne de pur plaisir qui en redemande.

© Champagne Mailly Grand Cru
© Champagne Mailly Grand Cru

Rosé de Mailly – Champagne Mailly Grand Cru

La coopérative Mailly Grand Cru vinifie la récolte de 25 familles du village situé au cœur de la Montagne de Reims. La cave, qui dispose d’une très jolie vue plongeante sur le vignoble, propose une très belle gamme orientée pinot noir. Dans le lot, le Rosé de Mailly, qui associe les techniques de la macération et de l’assemblage. Cette addition donne un rosé viril (90% de pinot noir) dans sa structure mais très fin dans son aromatique, qui évoque un panier de fruits rouges. Une très belle découverte.

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