Danny Khezzar, star de «Top Chef»: «J’ai toujours fréquenté plusieurs univers très divers»
portrait
Il est cuisinier et rappeur. Chouchou du programme de M6 et as du reggaeton. A 27 ans, cet ovni de banlieue au regard céleste vient d’être nommé chef de l’étoilé Bayview, à Genève

Il n’y a pas si longtemps, il passait chaque matin un jogging par-dessus son costard en quittant sa banlieue pour aller suivre les cours de l’école hôtelière et prendre son service au Ritz – histoire de «pas avoir de problèmes». C’est l’époque où, jeune commis, il se forme auprès de Michel Roth à sa table parisienne doublement étoilée de la place Vendôme.
Côté face, son quartier de Rosny-sous-Bois, dans le 93, la famille, les amis; côté pile, les ors des palaces. D’un côté, la musique et les frères Bizzy, le groupe qu’il forme avec son meilleur ami, le look qui va avec, les dreads et l’humour; de l’autre, la toque et la tenue blanche impeccable qu’il arbore dans son quotidien de chef d’une table étoilée, au sein d’un palace genevois.
Quarts de finale de «Top Chef»
On peut ne pas regarder Top Chef, difficile toutefois d’échapper au phénomène médiatique Danny Khezzar. Pas seulement parce qu’il semble imbattable dans le nouveau concept de «brigade cachée» de l’émission – qui vient de lui permettre de réintégrer la compétition officielle en quarts de finale –, chaque nouvelle victoire lui valant des torrents de commentaires positifs et d’encouragements sur les réseaux sociaux. Mais surtout parce que les vidéos de recettes qu’il poste de sa cuisine du Bayview révèlent, comme celles de sa musique, une personnalité solaire, un humour qui semble préserver de la grosse tête, un vrai charisme.
Dans la salle lustrée, nappée de blanc, entre cuir moelleux et vaisselle fine de l’Hôtel Président Wilson, avec quelques silhouettes affairées à la mise en place du service de midi, le jeune homme se raconte sans se départir de son sourire, ni de son étincelle de malice.
Aujourd’hui, c’est à scooter que Danny fait les trajets de son quartier d’Ambilly, en Haute-Savoie, au palace genevois des quais, réputé abriter la suite la plus chère du monde. Il vient d’être nommé chef du Bayview – 27 couverts pour dix cuisiniers –, Michel Roth étant promu chef exécutif de l’hôtel. «J’ai toujours fréquenté plusieurs univers très divers tout en sachant m’y adapter», note ce véritable caméléon.
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L’enfance à Rosny-sous-Bois, le 93, centre météo de l’Hexagone et quartier populaire où il grandit jusqu’à ses 18 ans? «C’est ce qui fait ce que je suis maintenant.» A l’école, il a de la facilité, notamment en maths, mais ce n’est pas son truc: «A 15 ans, mes parents nous ont offert un brunch au Ritz, une révélation, raconte-t-il. Mon père m’a suggéré d’aller me présenter au chef Michel Roth, et lui, avec sa vraie gentillesse, nous a fait visiter les cuisines avant de me glisser sa carte en disant: «Si tu cherches un stage, n’hésite pas à m’appeler.» L’année suivante, c’est ce que j’ai fait.»
Grand-père cuisinier
Les origines de Danny, sinon? Un grand-père cuisinier avant que le virus saute une génération: son père est plombier, sa mère secrétaire dentaire. «Ils m’ont soutenu dans tous mes projets. On adore être ensemble et partager des moments autour de la table. Petit, déjà, j’aimais bien essayer des recettes, d’abord en pâtisserie et ensuite des choses simples, style des endives au jambon avec leur béchamel, ça les rendait fiers.»
Quant à la musique, il a toujours baigné dans les rythmes latinos qu’aimait sa famille mais est un pur autodidacte. Il commence très tôt, fréquentant les studios à 12 ans déjà avec son meilleur ami Vincent, son «frère depuis la maternelle», avec qui il s’éclate dans leur duo des Frères Bizzy.
Du rap d’abord, dans lequel ils infusent bientôt des notes de reggaeton, surtout depuis qu’un voyage en République dominicaine leur dévoile un univers plus souriant et coloré, festif et dansant que les barres d’immeubles des cités et les bandes de bad boys. Un premier album (Enfant de la Calle), des concerts à Salou, à Barcelone, au festival de la Goutte d’Or et premiers gros succès – un million de vues pour le très décalé Sapo.
«Jeune ado, je me voyais plutôt star de la musique mais mon premier stage chez Michel Roth m’a ouvert d’autres portes, appris la rigueur, éveillé à cet autre art de la gastronomie.» Entre-temps, à Paris, le Ritz ferme pour travaux et Danny devient commis au Gaya, chez Pierre Gagnaire; les deux chefs aux philosophies si différentes et si affirmées restent, depuis, ses mentors et ses modèles. En termes de rigueur et de créativité.
Désormais installé à Genève et auréolé d’une étoile Michelin, Michel Roth propose à Danny de l’y rejoindre. A 19 ans, en 2015, il quitte le cocon familial et part pour «l’aventure suisse». Arrivé comme commis, il passe successivement de demi-chef de partie au garde-manger à chef de partie des garnitures, premier chef de partie aux cuissons et, enfin, sous-chef, au gré de la hiérarchie propre aux grandes brigades. Il commence à créer des plats.
«J’adore partir d’un mets très familial comme le gratin dauphinois et le transformer en un gratin transparent. Travailler l’asperge avec du sarrasin et une pâte de sésame noir et revisiter la mousseline que faisait ma maman, en injectant un sabayon léger à l’intérieur d’une coquille d’œuf. Réinventer le croissant à partir d’un feuilletage ultrafin de pomme de terre et le garnir d’aligot.»
Il a aimé le côté spectaculaire et ultra-créatif de la cuisine dite «moléculaire» – mais sans les additifs. Il faut d’abord comprendre un produit, connaître sa composition, savoir qu’un bain d’algues avec du calcium va produire une membrane qui explose en bouche: «Garder l’essence d’un produit et y ajouter le côté visuel, créatif et l’émotion.»
Urgence et impatience
Avec Michel Roth, Danny a appris les fondamentaux et les grands classiques de la cuisine française, avant de se perfectionner en expérimentant beaucoup. «La technique est un formidable support de la créativité, un grand répertoire de techniques vous permet de réaliser toutes vos idées, vous évite d’être bridé.» Le jeune chef est aussi, d’abord, un travailleur acharné, avec les défauts de ses qualités. L’impatience, évidemment.
Cette urgence d’apprendre et de créer semble lui réussir. Jusqu’où poursuivra-t-il son aventure télévisuelle? Pas question de spoiler, évidemment: «Ça restera quoi qu’il en soit une superbe aventure, avec de belles rencontres parmi les chefs et les candidats.»
Ses rêves aujourd’hui? Il a déjà réalisé celui d’être chef d’une table étoilée et il entend bien poursuivre: «Continuer ses passions, y travailler et on verra où ça me mène», confie-t-il, heureux de reprendre la table qui l’a vu grandir…
Heureux aussi quand les clients lui disent qu’un plat leur rappelle des goûts d’enfance…
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Profil
29 mars 1996 Naissance à Rosny-sous-Bois.
2012 Entre au Ritz comme commis, tout en fréquentant l’Ecole hôtelière Jean Drouant, à Paris.
2015 Arrivée à Genève.
Eté 2022 Repéré pour le casting de «Top Chef».
Avril 2023 Nommé chef du Bayview.