Portrait
Johanna Dayer se prépare au titre de Master of Wine, l’examen théorique et pratique le plus complexe de l’univers du vin. A 27 ans, la Valaisanne pourrait rejoindre le cercle très restreint des plus grands connaisseurs de vin dans le monde

M et W. Deux simples lettres, comme les autres. Pourtant, Johanna Dayer en rêve. Pour la Valaisanne de 27 ans, c’est même le saint Graal, car ces deux lettres représentent le titre de Master of Wine, la plus prestigieuse des distinctions dans le monde du vin. A terme, ce «MW» pourrait être accolé à son nom, à jamais.
Depuis plus de deux ans, Johanna Dayer se prépare à ce titre. Elle passera les examens finaux dans moins de 150 jours. Si tout se passe bien début juin, il lui restera à écrire une thèse pour obtenir cette prestigieuse distinction. Elle deviendrait ainsi la première Valaisanne et la troisième Suisse à être couronnée Master of Wine, ce qui lui permettrait de rejoindre ce cercle très restreint, qui compte actuellement 380 membres à travers le monde.
Cette aventure, commencée en septembre 2016, n’est pas une sinécure. «Je savais que la charge de travail serait grande, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit si importante», explique celle qui travaille au sein du Clos de Tsampéhro, né de l’idéal de trois passionnés (Joël Briguet, propriétaire de la Cave La Romaine, Vincent Tenud, œnologue de cette même cave, et Christian Gellerstad, passionné de la vigne et du vin) qui créent de très grands crus.
Une vie sociale entre parenthèses
Pour atteindre son but, la Valaisanne a dû mettre sa vie sociale entre parenthèses: «Tout tourne autour du Master of Wine. Il n’y a pas un jour qui passe sans que l’on y pense. On ne peut pas gâcher une seule journée. Le temps imparti pour s’y préparer est trop court par rapport à la masse de connaissances à emmagasiner.»
Pour réussir les examens, les candidats doivent tout savoir, ou presque, sur le vin. Ils doivent prouver leurs connaissances des différents nectars du monde au travers de dégustations à l’aveugle et en parallèle démontrer que le monde du vin, et toute la philosophie qui l’entoure, n’a aucun secret pour eux, en rédigeant plusieurs dissertations sur la viticulture, la viniculture ou encore le commerce du vin.
A cette montagne de travail se mêle également la notion de plaisir pour Johanna Dayer. Le vin, c’est sa passion. Et ça se ressent. Elle pourrait en parler pendant des heures, sans s’arrêter. Ses yeux brillent quand elle évoque les noms des plus grands œnologues ou ceux de domaines mythiques à travers le monde.
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Une passion qui prend sa source dès l’enfance
Cet amour du vin naît dès sa plus tendre enfance. «Depuis que je suis toute petite, mon papa m’a toujours fait sentir le vin. Puis, en grandissant, j’ai commencé à le déguster», explique-t-elle. Ajoutez à cela un parrain producteur de vin en Toscane et vous obtenez un terreau idéal pour que la passion se développe. Mais le véritable déclic intervient en 2009, lors d’un stage en Toscane, chez Antinori, l’une des meilleures maisons italiennes, où elle rencontre Michel Rolland, la superstar de l’œnologie.
La suite de son parcours l’éloigne pourtant quelque peu du monde du vin. Elle n’intègre pas la haute école de viticulture et d’œnologie de Changins, mais l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL), à la suite d’une discussion concernant son avenir avec ses parents. «Si, au départ, je ne voulais pas forcément étudier à l’EHL, cela s’est révélé la meilleure décision à prendre», reconnaît aujourd’hui Johanna Dayer. Durant ses études, elle préside We Wine, le comité d’œnologie de l’EHL. Cette expérience lui permet de découvrir tout un monde qui gravite autour du vin. Mais il lui manque l’essentiel.
Johanna Dayer n’a que peu l’expérience du terrain. Si elle a découvert les métiers de la vigne et de la cave lors de stages, ses connaissances actuelles, elle les emmagasine sur le tas. «Je crois que des anges gardiens ont mis sur mon chemin des personnes merveilleuses, qui n’ont jamais rechigné à partager leur savoir», sourit Johanna Dayer. Elle apprend aux côtés de Marie-Thérèse Chappaz, l’un des plus grands noms de la vitiviniculture valaisanne. Emmanuel Charpin, son prédécesseur au Clos de Tsampéhro, partage ses connaissances avec elle, tout comme Damien Carruzzo, qu’elle côtoie durant son passage chez Provins entre 2014 et 2017.
Partage et plaisir
Ce sont tous ces échanges qui ont forgé la vision du vin de Johanna Dayer. Pour elle, le vin est tout d’abord synonyme de partage. «Il se passe toujours quelque chose entre les gens lorsqu’il y a une bouteille de vin au milieu de la table. Ça apporte un petit plus», souligne-t-elle. Elle y voit aussi une notion de plaisir: «Au contraire des pommes de terre, par exemple, le vin n’est pas un produit de première nécessité. Nous n’en avons pas besoin pour vivre, c’est juste du bonus.»
Le vin est donc un produit de luxe, quel que soit son prix. Et il faut le respecter. C’est pour cela que Johanna Dayer et ses complices du Clos de Tsampéhro cherchent toujours à innover. Pour le client d’abord, mais aussi pour la planète. «C’est le centre de notre réflexion: faire notre vin de la manière la plus respectueuse possible de l’environnement.» Les actes concrétisent les paroles: un hôtel à insectes a été installé dans le clos, des arbres fruitiers y ont été plantés pour favoriser la biodiversité et du trèfle rouge a été semé pour apporter à la vigne l’azote dont elle a besoin, tout en évitant l’utilisation d’engrais. Des exemples parmi d’autres.
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L’amour des vins suisses
Si, pour ses examens du mois de juin, Johanna Dayer doit connaître les vins produits dans la majorité des régions viticoles du monde, elle a un faible pour les crus produits en Suisse. «Nous avons de véritables trésors, des cépages uniques au monde, il faut les montrer. Les Grisons, par exemple, n’ont pas à rougir face à la Bourgogne», souligne-t-elle. Elle se verrait donc bien continuer le travail commencé par Paolo Basso, élu meilleur sommelier du monde en 2013, et devenir une ambassadrice des vins suisses. Mais, quelque part, la Valaisanne joue déjà ce rôle.
Lundi, elle s’envolera pour Napa, en Californie, pour y suivre des cours et découvrir ce qui se fait dans ce vignoble américain. Dans ses valises, elle glissera quelques bouteilles de petite arvine et de cornalin, pour faire connaître ces cépages valaisans à l’autre bout de la planète.
Profil
1991 Naissance à Genève.
2009 Réalise un stage chez Antinori, en Toscane.
2014 Obtient son bachelor à l’Ecole hôtelière de Lausanne et est engagée chez Provins.
2016 Commence le Master of Wine.
2017 Rejoint le Clos de Tsampéhro.
Nos portraits: pendant quelques mois, les portraits du «Temps» sont consacrés aux personnalités qui seront distinguées lors de l’édition 2019 du Forum des 100. Rendez-vous le 9 mai 2019.