Du riesling au chasselas, il n’y a qu’un pas, que Philippe Meyer a franchi avec une facilité décon­certante. Arrivé à Cully en 2008 pour travailler au Domaine Louis Bovard, l’Alsacien a succédé à Denis Jotterand au poste d’œnologue cantonal vaudois en février dernier. Il est le premier non-Vaudois à occuper cette fonction. «Je n’ai entendu aucun commentaire négatif à propos de mes origines, souligne-t-il. De toute façon, ça m’est égal. Mes amis sont ici. Je me sens plus Vaudois qu’Alsacien.»

Depuis son laboratoire d’analyse viticole de Marcelin, à Morges, le diplômé en œnologie de l’Université de Reims regarde derrière lui sans nostalgie. Engagé en 2004 comme chef de cave au domaine Josmeyer, crée par son arrière-grand-père, il semblait destiné à y faire carrière. En 2008, il décide pourtant de changer d’air. «Mes cousines ont rejoint le domaine. Pour moins de 20 hectares, on était trop nombreux. Et comme je n’étais pas héritier direct, j’ai préféré partir. J’étais prêt à aller n’importe où, sauf en Alsace. Avec mon nom, cela aurait été difficile…»

Ce sera Lavaux, une région qu’il connaît de nom. «Quand je travaillais chez Josmeyer, je suis venu plusieurs fois présenter nos vins à Bâle et Zurich. Je me souviens avoir entendu des clients me dire qu’ils préféraient le chasselas romand au riesling. Les deux vins se ressemblent au niveau de leur expression minérale. Mais le ­riesling est plus vif. Au point qu’aujourd’hui, quand je déguste certaine cuvée, ça me surprend. J’ai perdu l’habitude.»

Sollicité par Louis-Philippe Bovard, à la tête d’un des domaines les plus réputés de Lavaux, Philippe Meyer prend très vite la dé­cision de s’installer au bord du Léman. «Quand je suis venu à Cully, j’ai immédiatement été séduit par le cadre somptueux. Les vignes en terrasses m’ont fait penser au vignoble de la Côte-Rôtie. J’ai tout de suite senti le potentiel de la région. Il y avait aussi le challenge de vinifier beaucoup de cépages différents.»

A-t-il été attiré par le niveau des salaires, plus élevé qu’en France? «Bien sûr, je gagne plus en Suisse. Mais en habitant à Cully avec deux enfants à charge, je ne mets pas beaucoup plus d’argent de côté que si j’habitais en France. Ça n’a pas été le facteur déterminant.»

Philippe Meyer assure qu’il se plaisait beaucoup à Cully. «Le poste d’œnologue cantonal se libérait avec le départ à la retraite de Monsieur Jotterand. C’était une opportunité à saisir, avec un cahier des charges très varié. Outre la responsabilité du laboratoire et l’appui et le conseil aux vignerons, j’ai un mandat d’enseignement avec des cours aux apprentis cavistes. Je rédige aussi la partie œnologique des bulletins viticoles destinés aux vignerons. Cela nécessite un important effort de vulgarisation.»

Prudent dans un poste qu’il sait exposé, le Vaudois d’adoption estime que les vignerons suisses ont encore des progrès à faire, avant tout en matière de vente et de marketing. «Il faudrait avoir plus de structures qui permettent ­d’accueillir du monde, comme cela existe en Alsace, par exemple. Ici, de tels lieux sont rares. Le vigneron doit aussi aller sur le terrain vendre son vin. Le principal défi est de gagner des parts de marché en Suisse alémanique. L’exportation, c’est bien, en particulier pour l’image. Mais ce n’est pas ça qui permet de mettre du beurre dans les épinards.»

Philippe Meyer relativise les difficultés du vin suisse, mis sous pression par la baisse de la consommation indigène et le succès croissant des vins étrangers. «Toutes les régions viticoles connaissent des hauts et des bas. Là, on se trouve dans un creux. Mais je suis optimiste pour l’avenir. L’attrait pour la production locale se développe. Il faut en profiter.»

Le travail de la vigne et les vi­nifications ne lui manquent pas. «J’aime le travail au laboratoire. Il y a beaucoup à faire, j’ai plusieurs projets. Pour le chasselas, j’aimerais par exemple définir d’où vient l’amertume végétale que l’on retrouve parfois. Est-ce dû à un manque d’azote? A un manque d’eau? Ou tout simplement à un manque de maturité? Avec des analyses suivies, c’est le genre de questions auxquelles je souhaite pouvoir répondre. Il y a beaucoup à faire pour faire avancer la viticulture vaudoise.»

S’imagine-t-il rester en fonction jusqu’à la retraite, dans trente ans, supplantant ainsi Claude Jotterand et ses vingt-deux ans de bons et loyaux services? «Il est très difficile de savoir ce qu’on fera dans trente ans. Mais cette fonction me plaît énormément, j’espère très sincèrement l’exercer encore très longtemps.»

«Pour les vignerons,le principal défi est de gagner des parts de marché en Suisse alémanique»