Morgan Meier, le pinot noir comme étendard
Portrait
En trois millésimes, l’œnologue s’est imposé comme une des locomotives de la viticulture neuchâteloise, remportant cette année le titre de champion suisse pour ses Landions 2018

Morgan Meier fait partie d’une espèce rare: ceux pour qui l’année 2020 n’est pas complètement à oublier. A la fin du mois d’octobre, l’œnologue neuchâtelois, 30 ans, a remporté la catégorie «pinot noir» du Grand Prix du vin suisse avec Les Landions 2018, cuvée parcellaire qui porte le même nom que le domaine. Ce titre faisait suite à l’inauguration, en mars dernier, d’un nouvel espace de vinification et d’élevage situé au milieu des vignes, à Cortaillod, en face de l’ancienne ferme qu’il utilisait jusque-là.
Depuis l’intérieur de ce parallélépipède de béton, une large baie vitrée permet d’admirer les ceps qui ondulent dans le vent et, à l’horizon, les premiers contreforts du massif jurassien. Mais le décor n’est pas la priorité de Morgan Meier: «Ce nouvel outil de travail change beaucoup de choses sur le plan pratique. Auparavant, par manque de place, je devais faire l’étiquetage à l’extérieur. En hiver, à cause du froid, les étiquettes ne collaient pas. C’était un peu compliqué. Sans parler du stockage de nos fûts de chêne… Nous étions vraiment très à l’étroit.»
Une pépinière fruitière
Cet investissement s’inscrit dans un processus d’amélioration continue entamé il y a bientôt vingt ans par le père de Morgan, Denis Meier. Pour cet ingénieur agronome formé à l’EPFZ, le vin a toujours été une passion. Il a même voulu en faire son métier avant de devoir abandonner l’idée en 1986: le décès subit de son frère le contraint de reprendre l’entreprise familiale, qui allie une pépinière fruitière et la production de pommes de table.
En 2002, souhaitant se diversifier, Denis Meier saisit l’occasion de racheter le domaine du château de Vaumarcus, un superbe vignoble de 14 hectares qui surplombe le lac de Neuchâtel. Il n’est pas question de faire du vin, du moins par encore: il vend le raisin à la Cave Châtenay-Bouvier et replante sur 1 hectare plusieurs sélections de pinot noir achetées à l’Association technique viticole de Bourgogne (ATVB).
L’ingénieur et pépiniériste a une certitude renforcée par ses nombreuses visites en Côte d’Or: le choix de sélections de pinot noir a un impact considérable sur la qualité du vin. Il opte pour des variétés ATVB qualitatives à faible rendement avec des grappes à petits grains, différentes de celles qui sont utilisées habituellement dans le vignoble suisse.
A l’époque, Morgan a 12 ans et n’est pas encore tombé dans le pinot noir. «J’ai commencé à m’intéresser à la viticulture en 2005, quand j’ai commencé le lycée, se souvient-il. Mais pas au point de me projeter pour en faire mon métier.» Son bac en poche, le jeune homme se lance d’ailleurs dans une autre voie en s’inscrivant à HEC à Lausanne, école dont il sortira diplômé en 2013.
Durant cette période, Denis Meier décide de réaliser une première vinification de ses sélections bourguignonnes: «J’ai fait le pas grâce à mon ami vigneron Norbert Diserens, du domaine des Moines, à Villeneuve. Il m’a dit qu’il fallait absolument vinifier ce raisin, qu’il y avait du potentiel. J’ai vinifié deux barriques dans le millésime 2010. Je dois avouer que le résultat a constitué une belle surprise. Mais nous avons gardé les bouteilles pour nous, il n’a jamais été question de les commercialiser.»
Goûté avec le père et le fils pour accompagner l’entretien, ce premier vin bientôt épuisé se déguste encore très bien, avec un fruit précis et encore un beau potentiel de garde. Denis Meier a réalisé un autre essai en 2014, là encore sans mettre les bouteilles en vente. Mais il avait posé des bases très solides pour le premier millésime officiel du domaine des Landions, le 2015, vinifié par Morgan au terme de sa formation en œnologie effectuée à Dijon.
Le jeune œnologue a choisi d’aller étudier en Bourgogne pour créer un réseau et affiner sa connaissance du pinot noir. «J’ai eu la chance d’effectuer des stages dans les domaines David Duband et Armand Rousseau. J’ai beaucoup dégusté et beaucoup appris. Cela a renforcé ma conviction de me spécialiser, de faire peu et de viser la qualité. Cela nous permet de proposer quelque chose de différent.»
Des inspirations
Morgan Meier reconnaît avoir été inspiré par un autre Neuchâtelois, Jacques Tatasciore, ainsi que par le Grison Daniel Gantenbein, deux icônes du vin suisse qui se sont spécialisées dans le pinot noir. Comme eux, il revendique une approche très classique de son métier: «Je suis œnologue, mais je ne suis pas un bon technicien. J’ai une approche passionnelle du vin.» Son père affine le diagnostic: «Oui, mais tu es beaucoup plus cartésien et rigoureux que moi. J’ai plus tendance à y aller au feeling.»
Père et fils disent vouloir «continuer à progresser», une obsession familiale. Pour cela, ils ont décidé de passer les 7 hectares qu’ils vinifient – sur un total de 25 – en biodynamie, en collaboration avec le «druide» Jean-Michel Henrioud, qui réalise les préparations biodynamiques pour plusieurs producteurs de la région. Ils ont le projet à terme de doubler leur production, à 30 000 bouteilles, pour assurer l’assise financière du domaine et répondre à une demande encore dopée par le titre de meilleur pinot noir de Suisse.
Profil
1989 Naissance à Neuchâtel.
2013 Diplômé HEC Lausanne.
2015 Diplômé en œnologie à Dijon.
2015 Vinification de son premier millésime, commercialisé en 2017.
2020 Vainqueur de la catégorie «pinot noir» au Grand Prix du vin suisse.
Retrouvez tous les portraits du «Temps».