Pascal Grob, arpenteur de bistrots zurichois
Du Bruit en Cuisine (3/11)
AbonnéAller tous les jours au restaurant, c’est le fardeau de Pascal Grob, food blogger sur les bords de la Limmat. Il raconte son terrain de jeu, le plus abondant du pays

Ah, les fêtes de fin d'année, leurs petites et grandes tablées... Dans cette série, Le Temps vous emmène dans les cuisines et ateliers de Suisses qui ont fait de boire et manger leur métier. Photographes, goûteurs ou concepteurs de vaisselle, ils oeuvrent pour que nos tables soient toujours plus belles. Bonne dégustation!
Zurich compte plus de 2000 restaurants, dont le 169 West, café-bar spécialisé en vin naturel. L’ambiance est boisée, le quartier est branché. Pascal Grob est déjà sur place, en discussion avec le patron. C’est un habitué. Depuis une demi-douzaine d’années, ce chasseur de saveurs arpente inlassablement les tables de sa ville pour alimenter un site bien connu des gastronomes locaux: «Züri isst» – en allemand «Zurich mange» mais aussi «Zurich est» (Zurich ist). Car la cuisine n’est pas seulement là pour calmer la faim, souligne le trentenaire: c’est un art de vivre.
Dix restaurants par semaine
Thé fumant en main, Pascal Grob s’amuse de la situation. Les journalistes ne s’interrogent pas souvent les uns les autres. Les lieux sont charmants. «Je visite jusqu’à 10 établissements par semaine, sourit-il. Pour le travail mais aussi pour moi. La scène gastronomique était ma passion bien avant d’écrire la moindre ligne sur le sujet.»
Né à Zurich, le germanophone a grandi à Limmattal, au nord de l’agglomération zurichoise. «Je ne suis donc pas un Zurichois pur jus, précise-t-il. Une différence que j’ai bien ressentie en arrivant au gymnase.» Son père est décorateur chez Jelmoli, sa mère est vendeuse. L’un vient du Toggenbourg (SG), l’autre est née à Bangkok. La cuisine «fusion» n’est pas qu’un concept culinaire, c’est un souvenir d’enfance.
Entre deux assiettes de panang röstis, un bachelor à la haute école d’art de Zurich lui permet de se spécialiser en photo, alors qu’une relation à distance enrichit ses papilles sur les bords de la Tamise. De retour en Suisse, il débute cependant loin des restaurants: à la tête des réseaux sociaux d’une chaîne de coiffeurs. L’expérience ne sera pas vaine.
Quelque temps plus tard, une opportunité taillée pour lui se présente: la branche suisse de GaultMillau cherche quelqu’un qui s’y connaisse en gastronomie zurichoise, avec un sens photographique et des affinités en réseaux sociaux. Bingo. «Züri isst» est né. «Son one-man-show», plaisante-t-il. Pascal Grob y fait tout. C’est son travail de rêve, sa passion. Il a carte blanche.
Zurich, la méconnue
«Quand on pense gastronomie, on ne pense pas forcément à Zurich, convient-il. Pourtant la scène est de plus en plus intéressante. Ces dernières années, de nombreux chefs suisses sont venus ouvrir un restaurant ici après avoir fait leurs armes à l’étranger. Il y a beaucoup de diversité, de créativité. De plus en plus de tables peuvent intéresser les connaisseurs.» Il cite notamment le Rosi (chef bayernois), le Gül (cuisine «néo-turque») ou encore le Gamper (néo-traditionnel). «Trois bijoux», dit-il.
A l’instar d’autres grandes aires urbaines, la ville brille aussi par ses nombreux «Imbiss», modestes échoppes indiennes, vietnamiennes, palestiniennes, belges, véganes ou carnivores, que Pascal Grob visite régulièrement. Avec l’avantage de l’anonymat. «Je suis devenu reconnaissable dans un certain cercle, dit-il. Mais les tenanciers de stands de street-food ne lisent pas Züri isst.»
Pour les autres, le rédacteur réserve généralement sous le nom d’un proche, ou demande à des collègues de le faire pour lui. Il se rend de toute façon presque toujours accompagné au restaurant. Pour une raison très simple: «Il y a beaucoup trop de choses sur la carte! Je ne peux pas tout manger moi-même si je veux essayer plusieurs plats.»
Et si la qualité laisse à désirer malgré le nombre? «Quand mes attentes sont vraiment déçues, je pars du principe qu’il n’est pas nécessaire d’écrire sur l’établissement. Nos lecteurs ne doivent pas devoir cliquer sur dix restaurants pour en trouver cinq bons. Le site n’a pas vocation à être exhaustif, il donne des recommandations.»
Il y a cependant des exceptions, souligne-t-il. «Quand une ouverture est très attendue et que le résultat final est mauvais, je le dis. Le dernier street food festival a fait l’objet de beaucoup de communication. J’y suis allé. Et j’ai écrit ce que j’en pensais.» En bref, que cela ne valait pas la peine de se déplacer.
La vague de hamburgers
Au-delà des cas spécifiques, courir les restaurants toute l’année permet au Zurichois de sentir les tendances globales, dont il débat comme d’une nouvelle saison de prêt-à-porter. «Il y a quelques années, nous sommes passés par une grande vague de hamburgers, dit-il. En ce moment c’est plutôt la pizza qui revient en force à Zurich, notamment celle de Naples, avec une pâte généreuse cuite au four.»
Pascal Grob en sait quelque chose, il ouvre épisodiquement son propre restaurant «pop-up» éphémère entre amis. Parfois pendant quelques jours, parfois un soir unique. Souvent une pizzeria. «Même si la période n’est évidemment pas idéale en ce moment», grimace-t-il. Passionné des arts de la table, il a souffert de voir celles-ci fermer, rouvrir, refermer, mais surtout ramer ces deux dernières années. Sans pour autant perdre espoir.
«Je trouve que le secteur gastronomique a fait preuve d’une résilience extraordinaire. Certains restaurants se sont mis à la livraison, d’autres ont ouvert un magasin de produits frais, j’en connais un qui s’est transformé en kebab de luxe éphémère. La file faisait deux fois le tour du quartier!»
Dans la communauté «Züri isst», se réjouit-il, aucun n’a mis la clé sous la porte. Lui-même s’est réinventé comme il a pu quand tout était clos. «Malgré la situation absolument catastrophique, il y avait toujours de nouveaux projets. Je voulais soutenir la gastronomie, ce n’était pas le moment de les abandonner.»
Ne pas oublier de respirer
La branche discute beaucoup du covid, qui ne fait que remplacer dans l’actualité une autre crise, environnementale. De plus en plus présente entre les étals, elle oscille contradictoirement, entre injonctions à consommer moins et Black Friday débridé. Entre fraises d’hiver, pression sur les carnivores et produits véganes brésiliens. Qu’en pense-t-il?
«L’écologie est évidemment importante et il est primordial de se rappeler d’où viennent les produits que nous achetons, dit-il. Mais en même temps cela ne me choque pas non plus d’acheter des denrées indiennes pour faire de la cuisine indienne.» Car d’un marasme à l’autre, ce bon vivant rappelle une chose essentielle: «N’oublions pas qu’avant toute chose, manger doit rester un plaisir. Toujours.»
Profil
- 2007: Premier appareil photo, début d’une fascination pour l’image
- 2011: Découverte de la scène gastronomique londonienne «Pop-up-Food»
- 2013: Première visite au «Noma» à Copenhague (restaurant trois étoiles Michelin)
- 2014: Bachelor en Art et Médias à la haute école d’Art de Zurich
- 2017: Lancement de «Züri isst»