Quentin Verne, faiseur de gin
Passeurs de goûts (2/5)
Ancien trader en fonds alternatifs, Quentin Verne troque ses écrans Bloomberg contre des alambics en cuivre

Ils et elles ont sauté le pas. Et après un parcours accompli dans la finance, la chimie ou encore la psychiatrie, ont embrassé une autre voie, liée aux métiers de bouche. Toute cette semaine, «Le Temps» brosse le portrait de ces aventureux.
Episode précédent:
Après avoir scrupuleusement examiné les fluctuations des marchés financiers pendant une décennie, il analyse maintenant le changement des profils de température de distillation. Tel un druide des temps modernes, sans barbe blanche ni serpe d’or, Quentin Verne est un expert en accords aromatiques. L'aventure alcoolisée de cet herboriste par la force des choses commence dans une pièce fermée au sous-sol d’une maison en colocation. Dix ans plus tard, son rêve de gamin est devenu une réalité enivrante. De Cahors à Genève en passant par Manchester, itinéraire d’un trentenaire amoureux de la baie de genièvre et de la fleur de sureau qui rend ses lettres de noblesse à un spiritueux floral et épicé.
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Quentin grandit dans un environnement familial où l’alcool est utilisé à diverses fins. Les vacances de ce fils de négociant en vins dans le sud-ouest de la France se passent au milieu des vignobles. Du côté maternel, ce sont les pentes valaisannes, généreusement baignées de soleil, qui bercent son enfance. «Pour une angine, nous étions soignés avec un coton-tige trempé dans de l’eau-de-vie. L’un n’allait pas sans l’autre.»
Pur produit genevois, Quentin fait toute sa scolarité dans la Cité de Calvin avant de poursuivre ses études universitaires d’économie et finance à Manchester. Lors de soirées estudiantines bien arrosées, il constate avec effroi les limites gustatives des gins de base servis dans les pubs anglais. En parallèle de ses cours, il commence à observer le processus des micro-distilleries mais son objectif reste de faire carrière dans la finance. «A ce stade, je ne rêvais que de performances, d’analyses et de graphiques quantitatifs. Je n’imaginais vraiment pas faire autre chose».
Alambic en sous-sol
En 2010, diplôme en poche, Quentin quitte le Royaume-Uni en pleine crise financière des subprimes. Retour à Genève où il décroche un premier poste dans une banque privée. Ses débuts se limitent à des instructions et des réconciliations de portefeuille de fonds alternatifs et il découvre que le monde de Gordon Gekko joué par Michael Douglas dans le film Wall Street est bien éloigné de la réalité.
Son budget limité l’oblige à prendre une collocation avec un ami qui a la même activité professionnelle que lui. Un soir, après avoir regardé un documentaire sur le gin à la télévision, son colocataire et lui ont l’idée d’aménager le sous-sol inhabitable de la maison en une distillerie clandestine. «Avec une cocotte-minute, nous avons créé un alambic de toutes pièces. Tout en étant sérieux et assidus, nous nagions en plein délire. Mais c’est à ce moment que nous avons pris la décision de créer un jour notre propre marque.» L’aventure LVX Gin commence et son entourage ne se doute de rien.
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Côté finance, changement de poste et d’institution. Quentin prend du galon et devient analyste au sein du département des fonds alternatifs. «Grâce à ma nouvelle fonction, je rencontrais enfin les managers qui font la pluie et le beau temps dans le domaine. J’ai adoré cette période.» Malgré une carrière qui s’annonce sous les meilleurs auspices, il garde à l’esprit tout ce qui se rapporte au gin et profite de son temps libre pour partir à la rencontre d’herboristes dans le Jura et Neuchâtel. Après ses journées bancaires, il passe la plupart de ses soirées à calibrer, mélanger, touiller, proportionner jusqu’à l’obtention de la potion magique. «Quitte à payer plus cher une consommation, j’ai toujours été sensible à la complexité aromatique d’une boisson alcoolisée. Je fais très attention à ce que je bois.»
Coup de tonnerre
Survient un heureux coup du sort: en 2017, le départ d’un investisseur institutionnel et d’une importante partie de ses actifs sous gestion alternative amène la direction à licencier une grande partie de l’équipe. Les directives sont claires: il faut chercher un nouveau travail. Le ciel tombe sur la tête de tout un département. Quentin s’interroge: ne serait-ce pas le moment de saisir cette opportunité pour partir? «Sans cet événement, je ne me serais peut-être jamais complètement lancé dans l’univers du gin. J’ai donc pris mon courage à deux mains et je suis parti.»
L’entrepreneur en devenir ne perd pas un instant et prend contact avec les incontournables maîtres distillateurs, René Wanner et Alex Paccot, qui le prennent sous leurs ailes. Il continue sur sa lancée et suit les cours de distillation à l’Ecole de Changins. «Je découvre que la même plante présente des arômes différents selon le degré d’alcool dans lequel elle est immergée. En faisant macérer mes plantes séparément, je savais enfin quelle direction prendre en termes de goût. Les combinaisons étant illimitées, nous sommes tout à la fois des parfumeurs et des cuisiniers.»
Unique en son genre
Au fil des mois, il perfectionne son éventail de produits et peaufine ses combinaisons d’épices. Celles-ci sont infinies, autant au niveau du mélange des plantes, de leur quantité que de la macération. Après plus d’une centaine d’essais, il présélectionne une quinzaine d’assemblages pour n’en garder qu’un au final. «Ce sont toutes ces petites technicités qui rendent cet alcool unique en son genre. J’aime le gin rond en bouche et floral, mais malgré tout épicé, qui a du retour et qui, de par sa complexité, peut être bu pur. Au final, ma recette me ressemble.»
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L’engouement ne tarde pas et les ventes s’envolent. Au-delà de surfer sur une mode, le jeune entrepreneur est un réel passionné et un défenseur du travail acharné. Avec son bar La Distillerie récemment ouvert, où il propose des cours autour de la confection de gin, Quentin Verne est aujourd’hui une référence locale en la matière. «J’ai travaillé mon produit et j’ai eu la chance de pouvoir m’entourer des meilleurs. Cela me permet d’avoir confiance dans ce que j’élabore. Pourquoi mon aventure n’aurait-elle pas fonctionné?»
La Distillerie, 77, boulevard Carl-Vogt, à Genève. lvxgin.ch
Profil
1987 Naissance à Genève
2007 Départ pour l’Angleterre
2011 Début professionnel à la banque et premier pied dans les hedge funds
2013 Premiers essais et rencontres avec les herboristes
2019 Devient producteur professionnel