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Mode éthique
A Genève, Jeanne von Segesser détient peut-être la solution pour répondre aux maux de la fast fashion – cette tendance exacerbée par l’e-commerce qui nous pousse à acheter compulsivement des vêtements, à les porter, à les jeter et à en racheter. Fondatrice du label de mode éthique Apesigned et coordinatrice du mouvement Fashion Revolution en Suisse romande, Jeanne von Segesser aimerait que «le consommateur soit un consomacteur». Dans son atelier du quartier des Grottes (Genève) et dans ses points de vente à Lucerne, à Zurich et bientôt à Fribourg, elle propose des lignes de vêtements éthiques, issues du recyclage de la fast fashion.
L’idée germe lors d’un voyage au Vietnam, dont elle est originaire par sa mère. Le pays est un poids lourd mondial dont l’industrie textile exporte pour 20 milliards de dollars chaque année sur les marchés américains et européens, selon les chiffres du Vietnam National Textile and Garment Group (Vinatex). Soit 15% du PIB du Vietnam. Jeanne von Segesser a l’idée de produire des collections avec les fins de rouleaux de tissus en collaboration avec des artisans locaux. «Nous réutilisons donc ce qui est déjà produit.» Pour ses collections de prêt-à-porter et ses pièces sur mesure, Jeanne von Segesser recycle également les vêtements existants des minorités ethniques du Vietnam.
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Révolution bistronomique
A son échelle, Jeanne von Segesser met en pratique ce que les mastodontes de l’industrie communiquent. De New York à Milan, en passant par Paris et Londres, les fashion weeks ont vu l’émergence d’un discours pro-animal et pro-environnement chez de nombreux créateurs et plusieurs grandes maisons de haute couture.
L’industrie de la mode – deuxième plus polluante au monde – semble faire sa révolution éthique sans en oublier la vision commerciale. «Toutes les initiatives dans le développement durable sont louables, mais il ne faut pas sombrer dans le greenwashing. Ces grands groupes ont toutes les ressources nécessaires pour contribuer au changement de consommation. C’est un effort conjoint qui doit être fait.»
A quelques kilomètres de là, Walter el Nagar est à l’avant-garde d’une révolution culinaire. Le chef milanais à la tête du restaurant Le Cinquième Jour à Genève mise sur les bienfaits de la fermentation, la saisonnalité des produits locaux et le zéro déchet alimentaire comme une nouvelle forme d’expression culinaire. «La créativité représente le 100% de mon travail, explique le chef. Je ne travaille aucun produit qui n’existe pas dans le canton de Genève. Pas de fruits de mer, pas de thon des Philippines. Tout est local et de saison. Il faut donc rivaliser de créativité pour transformer ces ingrédients et ces produits dans un plat surprenant.»
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Chef contestataire
Walter el Nagar est un chef contestataire qui découvre, en 2008, les bienfaits des aliments fermentés. Une pratique culinaire ancestrale, mais encore très peu répandue. Dans son restaurant genevois, le chef veille donc jalousement sur ses bocaux de boutons de rose, de pickles vinaigrés ou de choux-fleurs qui, privés d’oxygène pendant des mois, vont se transformer par fermentation sous l’influence des levures et des bactéries et offrir ainsi de nouvelles saveurs. «La créativité est la seule solution pour pallier l’absence de produit.»
Savant fou, Walter el Nagar est un ovni qui fait sa place dans le paysage culinaire genevois. Le chef crée de nouveaux ingrédients et des plats à partir d’un seul produit. Il cite l’exemple de l’écrevisse du lac Léman: «Nous allons servir la queue, mais utiliser la carcasse et la tête pour faire une soupe, ou une sauce, ou produire notre propre sel. Il n’y a pas de limites.» Tous les samedis midi, Walter el Nager retransforme les déchets alimentaires de son restaurant dans de nouveaux plats qu’il sert gratuitement dans son restaurant aux personnes défavorisées. Une manière d’allier créativité, gastronomie et solidarité.
Météorologues des villes
Changeons d’échelle avec l’architecte climatique Philippe Rahm. Depuis toujours, le Vaudois se préoccupe du lien entre l’habitat, l’urbanisme et le temps qu’il fait. La démultiplication des canicules – toujours plus sévères –, la pollution de l’air, les particules fines sont autant de sujets d’expérimentations pour lui: «Les outils d’architecture développés depuis les années 1960 correspondent à une vision touristique, culturelle et esthétique de l’urbanisme. Ils ne sont plus adaptés à la réalité climatique. Il faut donc réinventer la manière dont nous dessinons les villes pour répondre à ces enjeux.» Mais comment? Grâce à des dispositifs naturels qui existent depuis la nuit des temps.
Philippe Rahm cite l’exemple de Stuttgart. «Le service d’urbanisme de la ville emploie un météorologue. Pour chaque appel à projet, il analyse si la nouvelle construction ne bloquera pas le vent qui rafraîchit naturellement la ville. Depuis cinquante ans, on règle tout avec l’air conditionné et le chauffage central. On oublie ces outils naturels.» L’architecte plaide pour un retour des questions climatiques dans sa discipline: «Naturellement, l’air froid stagne et l’air chaud monte. Un architecte devrait penser une maison en disposant les salles d’eau aux étages supérieurs où il fait plus chaud. Il faut arrêter de construire les maisons selon une organisation sociale, mais selon des critères de chaud et froid, d’humide et sec.»
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Théâtre documentaire
Retour à la case départ: la création peut-elle sauver le monde? «Est-ce que le monde doit être sauvé, interroge à son tour Yan Duyvendak? C’est impossible. C’est d’ailleurs une question déprimante. Le travail local est beaucoup plus intéressant et plus viable.» Lauréat du Grand Prix suisse de théâtre/Anneau Hans Reinhart 2019, le performeur et metteur en scène romand est l’auteur d’une trentaine de spectacles qui tournent sur tous les continents, avec la même volonté d’emmener l’art dans l’espace public.
Yan Duyvendak est un engagé. Son théâtre est politique. Toujours avec empathie, il force le spectateur à devenir acteur d’une problématique: «L’empathie, c’est le maître mot de mon travail. J’aime que le spectateur change de point de vue, qu’il soit acteur par le corps et la pensée.» En 2016, Yan Duyvendak développe le projet «Actions», un théâtre documentaire qui aide à apaiser les situations d’accueil des réfugiés, localement: «J’ai appris en travaillant dans la jungle de Calais qu’aider un peu, c’est déjà quelque chose. Mais aider en connaissance de cause, c’est encore mieux.»
Trouble social
Depuis l’automne, il mène le projet «Invisible» et ses 18 actions qui visent à troubler le contexte social. Au fil de ces expérimentations, les participants sont invités à altérer – en toute discrétion – le cours des choses. En diffusant de bonnes odeurs dans un train ou en laissant systématiquement passer la personne de derrière dans la file de la caisse du supermarché. Yan Duyvendak se complaît dans l’observation de ces altérations induites par des microchangements de comportements sociaux. «Elles nous font prendre conscience à quel point nous sommes forts, en tant que groupe, et à quel point nous avons intégré les codes sociétaux.»
Forum Imagine 2019, Nouveau Campus HEAD, Bâtiment H, avenue de Châtelaine 7, Genève, me 4 décembre, 14h40. www.letemps.ch/imagine