Portrait
Héros du film «Le Petit Criminel», de Jacques Doillon en 1990, il est actuellement mis en examen pour vol avec arme et meurtre. Une postière de l'Ain y a laissé la vie. Le village lui en veut. Lui se dit innocent. Histoire d'un garçon à l'abandon, acteur un jour, à la rue le lendemain

Les habitants de Montréal-la-Cluse, près de Nantua, n’oublieront jamais leur postière, tuée de 28 coups de couteau le 19 décembre 2008 sur son lieu de travail. Trois mille euros sont volés. Catherine Burgod était la fille du secrétaire de mairie, mère de famille, enceinte de cinq mois. «Gentille, rendant service à nos vieux» disent les gens. Quand ils arpentent la Montée du Pavé, les riverains regardent la boîte aux lettres.
C’est tout ce qu’il reste de l’agence fermée après le drame. Ils ne regardent pas en face, le numéro 1A, cette fenêtre au ras du sol et ce rideau bien repassé, qui tombe droit. Qui vit là désormais? Ils ne savent pas et s’en contrefichent. Mais ils n’oublient pas qu’avant le studio était occupé «par des marginaux» dont Gérald Thomassin. Les gens croisés sont persuadés qu’il est l’assassin, «parce que tout indique que c’est lui».
Gérald Thomassin, 41 ans, acteur de cinéma né à Pantin, césar du meilleur espoir masculin en 1991 pour «Le Petit Criminel», le film de Jacques Doillon (il avait 16 ans), gosse des services sociaux, sans toit ni loi, errant, attachant paraît-il, en prison aujourd’hui du côté de Bordeaux. Le patron du Bar PMU 7 /7 de Montréal-la-Cluse: «Faut lui couper les couilles et la tête. Il venait chez moi boire ses bières, il se vantait d’être une star, qu’il connaissait du monde à Paris. Le cinéma, c’est sa famille d’adoption qui le protège. Il devrait être condamné à perpette pour meurtre mais ses amis là-haut ont le bras long. Ils ont même obtenu sa libération. Et nous on a ici deux orphelins.»
Il vend son César
Etrange et douloureuse histoire. Gérald Thomassin est né dans une famille manquante. Père qui s’en va quand il a 2 ans, aujourd’hui enterré sans nom dans un caveau municipal. Mère abîmée par l’alcool qu’il découvrira plus tard dans un hôtel meublé sur son lit de morte. Enfant de foyer, avec d’autres gamins de son âge aussi peu vernis par la vie, sanguins, intenables, mais d’une douceur parfois incroyable.
Doillon cherchait un acteur amateur, ayant du vécu. Avec le petit Thomassin, il va être servi. Il joue à la perfection le Petit Criminel. Une révélation, naissance d’une étoile entend-on et cette récompense sous forme de statuette qu’il revendra par ailleurs au Mont-de-piété pour éponger une dette de stupéfiants.
Il tournera d’autres films, une vingtaine et toujours cette arme dans la main, en flic ou voyou, ces dialogues de rage qu’on lui soumet, ces postures d’animal traqué qu’on lui impose. Il est le nouveau Patrick Dewaere, jurent les critiques. Jacques Doillon le décrivait «comme un jeune type n’aimant pas le travail mais fonctionnant à l’amitié, capable de donner des choses extraordinaires avec une liberté inimaginable».
Durant les tournages, il est assidu, semble heureux, a un rôle, est en famille. Sitôt le clap de fin et que l’équipe s’éparpille, Gérald rejoint le vent, la rue, une tente en bord de mer, les squats, un matelas posé dans une friche avec un chien et deux rats. Avec son amour, jeune fille rencontrée dans une association de toxicos. Avec deux ou trois potes du foyer de jadis, frères de tourment et de déconne avec qui il a visité les voitures et dépouillé les touristes sur les grands boulevards. Il est seul aussi, souvent même. Et difficile à localiser. Quand Doillon le réclame pour tenir le premier rôle dans «Le Premier Venu» (2008), il envoie ses collaborateurs le pister. Ils le retrouvent faisant la manche dans une gare.
Délit de sale gueule
Comment échoue-t-il en 2007 à Montréal-la-Cluse? C’est un copain du temps des placements en foyer qui l’héberge. Gérald Thomassin a expliqué aux enquêteurs qu’il voulait se rapprocher de Lyon où vit l’enfant qu’il avait eu avec son ex-fiancée. Il veut connaître son fils, «pas faire dans l’abandon» comme son père. Dans le village, on balaie le beau sentiment: «Il y avait des allées et venues. Thomassin était là pour la drogue, le trafic, la Suisse c’est pas loin, Paris non plus. Il faisait du commerce pour le show-biz».
Accusation gratuite sous le coup de la haine? Peut-être. Gérald Thomassin ne semble pas «s’éclater» au pied du Jura. Il prend de l’héroïne, s’ouvre les veines (énième tentative de suicide), va chercher son RSA (revenu minimum) en début de mois chez la postière d’en face à qui il dit qu’il n’est pas qu’un assisté mais aussi un Césarisé du cinéma.
Le lendemain du meurtre, il est réveillé par la police tard dans la matinée. «Hier j’ai tout nettoyé à fond chez moi avec du Monsieur Propre, j’étais fatigué» justifie-t-il. Le jour des obsèques, il quitte précipitamment la cérémonie «parce que j’avais mal au dos». Un mois après le meurtre, il est vu assis sur sa tombe par deux sœurs qu’il va surnommer les commères. «Elles ont raconté que je pleurais mais j’avais en fait le soleil dans les yeux» dit-il à Frédéric Boudouresque, du Progrès de Lyon.
Remis en liberté
Auteur en 2014 de l’ouvrage «Les Grandes affaires criminelles de l’Ain», le journaliste s’est longuement entretenu avec Gérald Thomassin il y a de cela deux semaines. «Il clame son innocence et il est vrai qu’aucune preuve tangible n’existe, pas de traces ADN, pas de témoin, pas de motif» énumère le reporter qui se dit troublé. Gérald Thomassin lui dit qu’il est victime du délit de sale gueule: «Toxico, 16 mg de Subutex par jour, toujours ma canette de bière à la main, mes balafres, mon couteau dans la poche tout le temps. Mais j’ai fait de la rue, je n’ai pas perdu cette habitude pour faire les sandwichs». Il soutient aussi que des types louches traînaient dans le coin ces jours-là.
Le 29 juin 2013, Gérald Thomassin est interpellé à Rochefort, mis en examen pour vol avec arme et meurtre. Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire le 26 mai 2015. A été de nouveau écroué la semaine passée après avoir brisé son bracelet électronique. «Il se sentait comme un chien avec ça» raconte Frédéric Boudouresque. Vendredi 6 novembre, la Cour d’appel de Lyon se prononcera sur son renvoi en cour d’assise. Il avait été mis sous écoute en 2013. «Le Monde» a rapporté ce qu’il a dit à son demi-frère: «C’est moi, je vais avouer, ça s’appelle être un bonhomme». Puis: «Je ne suis pas coupable mais comme ça, je saurai la vraie histoire». Il aurait versé de l’alcool médical dans ses bières avant de tenir ces propos.
Profil
1974 Naissance à Pantin (Seine-Saint-Denis)
1991 César du meilleur espoir masculin
2008 Rôle dans «Le Premier Venu» de Jacques Doillon
Juin 2013 Mis en examen pour vol avec arme, puis emprisonné
Mai 2015 Remis en liberté puis de nouveau écroué fin octobre