Le bon goût existe-il?
Interrogations
La réponse du sociologue de la mode, professeur à HEC Paris, Frédéric Godart

Le bon goût existe, oui. Il est cependant propre à chaque catégorie sociale et dépend de normes culturelles locales. Mais, dans une société donnée, on observe une domination des catégories sociales supérieures. Si la mode émerge parfois de la rue et des classes populaires, ce n’est qu’à partir du moment où elles sont transformées de manière créative par des designers qu’elles deviennent de bon goût, à l’image de Vivienne Westwood et les symboles punks. En modifiant les éléments, rajoutant des codes, l’industrie hisse ces vêtements ou accessoires sur les podiums. Les classes dominantes ont donc toujours accès au bon goût, cela étant facilité par leurs moyens financiers.
Un concept en mouvement
Jusqu’aux années soixante, le bon goût était relativement stable. Il y avait une recherche de style, d’élégance, d’esthétique. Depuis les années 1980, il a une relation tendue avec la mode, dans le sens où l’avant-garde remet en cause cette permanence. De ce point de vue là, elle va s’opposer au bon goût associé aux codes traditionnels, au classicisme. Elle cherche en permanence à renouveler les styles, non seulement parce qu’il y a une poussée créative de la part des créateurs et des créatrices, mais aussi une ambition commerciale, une volonté de vendre plus en renouvelant constamment les collections. Le luxe, par contre, représenté par le monde de l’artisanat reste le temple du bon goût. L’industrie horlogère suisse privilégie par exemple les modèles stables, emblématiques.
Peut-on pour autant parler du bon goût en tant que valeur intrinsèque et immuable? Il y a des tentatives de références stylistiques stables propres aux catégories sociales dominantes, mais le principe de la mode est de transgresser perpétuellement l’ordre établi. Le contenu du bon goût change donc continuellement, malgré une aspiration à une forme de stabilité.
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