Igor Ustinov, artiste et startuper ingénieux et inspiré
Portrait
Le fils du comédien Peter Ustinov est un sculpteur reconnu dans le monde entier qui, à près de 65 ans, est devenu entrepreneur en Suisse pour recycler le PET dans la construction

Il aurait pu choisir une carrière de chanteur d’opéra. Puissante, profonde et sonore, sa voix de baryton-basse teintée d’un très léger accent anglais vous embarque d’emblée. Elle préfigure un voyage prodigieux, menant de Saint-Pétersbourg à Londres en passant par Constantinople ou encore le Québec. Une évasion qui ne se refuse pas après bientôt une année de pandémie.
Mais avant d’empoigner le bâton de pèlerin d’Igor Ustinov, les présentations s’imposent. Oui, Igor est bien le fils de Peter, star britannique du cinéma du XXe siècle qui prit notamment à six reprises les traits du détective Hercule Poirot. Igor est un pur produit cinématographique. Sa mère, la Québécoise Suzanne Cloutier, avait aussi succombé à l’appel du septième art, tapant notamment dans l’œil d’Orson Welles.
Une dynastie d’artistes
Seul garçon d’une fratrie de quatre enfants, Igor écarte pourtant cette voie: «Mes deux sœurs aînées étaient déjà comédiennes.» Après les beaux-arts et le conservatoire de chant à Paris, étudiant au passage la biologie, il jette son dévolu sur la sculpture: «Je voulais savoir ce qu’était vraiment la réalité. La sculpture, c’est comme mettre son esprit dans la matière», confie l’artiste au milieu de son atelier qu’il a installé à Rue, dans la Glâne fribourgeoise.
«Quand j’ai décidé de quitter Paris, mes amis m’ont dit: «Tu es fou, tu vas te retrouver à la rue. Eh bien, je me suis effectivement retrouvé à Rue!» glisse en riant celui qui a hérité du sens de l’humour de son père. Puis il ajoute: «C’est en Suisse que sont mes racines. C’est ici que j’ai passé le plus de temps, enfant.»
Autour de nous se dressent une multitude de statues de bronze, pour beaucoup des silhouettes longilignes qui paraissent prêtes à se mouvoir. Si Igor Ustinov a exclu le cinéma, il n’a pas pour autant défié la génétique: la famille de son père recense en tout cas 50 artistes, tous apparentés à Louis César Benois, un confiseur français qui émigra en Russie à la suite de la Révolution de 1789. Celui-ci rejoint la cour, où il épousera la nourrice du tsar. De leur union naîtront 17 enfants et des destinées qui n’ont rien à envier à celles des personnages que Peter Ustinov incarnera. Un musée est consacré à la dynastie à Saint-Pétersbourg.
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Cette Russie, les ancêtres d’Igor la quitteront avant la Révolution d’octobre de 1917. Mais elle reste omniprésente dans le parcours de leur descendance. En pleine guerre froide, Peter Ustinov réalise un documentaire sur le Musée de l’Ermitage. Il emmène son fils d’une vingtaine d’années dans cette ville qui se nommait Leningrad pour le tourner. Première confrontation pour Igor avec une terre qui le rappellera souvent, par exemple pour y créer la statuette du Benois de la danse, oscar de la discipline au pays du Bolchoï.
Ce voyage lui permet aussi de passer du temps avec un père qui ne sera pas très présent. «Je crois qu’il n’avait pas vraiment la fibre parentale, analyse le sculpteur. Il faut dire qu’il avait une relation très distante avec son propre père, et pour cause: il était espion pour les services secrets britanniques. C’est sur le tard qu’il a compris certaines choses. Cela nous a rapprochés.»
Nous sommes alors au début des années 2000 et l’acteur, ambassadeur pour l’Unicef, veut créer une fondation philanthropique au profit des enfants. C’est son fils qui mettra l’initiative en musique. Il la porte aujourd’hui encore à bras-le-corps.
«Mon père a donné sa marque, mais chaque année il faut trouver des financements. D’ailleurs, adulte, je n’ai jamais eu aucune relation économique avec lui. Ça m’a peut-être rendu plus astucieux.» De l’inspiration et de l’ingéniosité, Igor Ustinov n’en manque en effet pas, puisqu’en 2017 il est primé au Salon international des inventions de Genève pour des modules en plastique recyclé destinés à la construction.
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Un concept dont les racines remontent à 2005. «Avec ma fondation, nous étions au Cachemire après un tremblement de terre et il fallait d’urgence des abris de fortune. J’ai eu l’idée d’utiliser des gaines électriques en plastique remplies de terre et de ciment pour construire une sorte d’igloo.»
En 2012, l’artiste commence à adapter son idée pour qu’elle soit modulaire, productible à grande échelle et qu’elle réponde aux normes de construction. Il en résulte un système très simple composé de trois profilés de PET recyclé – et recyclable – qui s’emboîtent comme des Lego pour servir de structure au reste de la maison, fabriquée à partir du même matériau.
Le sable manque déjà
En avril, le premier cube doit voir le jour. La production se fera en Normandie, mais la start-up UHCS, créée avec André Hoffmann, un des héritiers de la famille Roche, est basée à Sion. Cette innovation vise à accroître les possibilités de logement dans le monde et à réduire la facture carbonique de cette industrie, car «si l’on veut loger des millions de personnes, il n’y a pas assez de bois, et les forêts sont précieuses. Quant au sable, il manque déjà.»
A 65 ans, Igor Ustinov découvre la vie d’entrepreneur: «J’adore. Je travaille en équipe, ce qui est extraordinaire pour un artiste. On n’est plus isolé dans son atelier.»
Mais l’envie de sculpter n’est jamais bien loin: «Ne pas travailler, c’est comme laisser une belle voiture dans son garage. Je suis un créatif. Ce qui m’intéresse, c’est créer», ajoute celui dont la besace regorge encore d’autres projets, soutenir les inventeurs dans les pays défavorisés, mais aussi développer en Suisse son initiative qui vise à lutter contre les préjugés.
Profil
1956 Naissance à Londres.
1971 Scolarité secondaire au Collège du Léman, jusqu’en 1975.
1980 Naissance de sa fille Clara, à Paris.
1991 Création d’une sculpture de 28 tonnes, exposée aujourd’hui devant le siège de Chanel.
2018 Fondation avec André Hoffmann de l’entreprise UHCS.
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