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Un esprit glouton
Viennent les années collège à l’abbaye de Saint-Maurice. La jeune fille étudie beaucoup mais respire peu, dans ce «carcan» où l’enseignement est «rigide et archaïque». Heureusement, l’Isabelle du week-end sait remplir ses fioles de légèreté. Avec les copains des carnotzets comme à la patinoire, devant (presque) tous les matchs du HC Martigny. Puis, il y a les au revoir. Aux chanoines de Saint-Maurice, aux montagnes, à maman et surtout à papa, qui a tant de mal à la voir faire ses cartons pour l’Université de Lausanne. «J’ai ouvert la voie dans la famille, mes parents n’avaient pas fait d’études.»
Au bord du Léman, Isabelle modèle ses ailes. Les enseignants de la fac des sciences politiques la captivent, les cours à la carte comblent son esprit glouton. L’égalité se (re)fraye un chemin. C’est que, hors du campus, s’écrit l’épilogue de l’histoire d’Elisabeth Kopp, première conseillère fédérale, déchue. Isabelle fait du traitement médiatique de l’affaire son sujet de mémoire, et, pendant qu’elle révise ses examens en 1991, 500 000 Suissesses font grève – «une époque de mutations et d’éveils». En même temps que ses valeurs s’animent, son cœur bat vite et fort pour cet autre Valaisan du «Poly» qu’Isabelle rencontre lors d’une grillade d’étudiants. La soirée se change en années, les saucisses en festin de noce et son nom de famille voit double.
Si Isabelle Darbellay Métrailler n’a «jamais fait de plan de carrière», celle-ci s’est toujours débrouillée pour la trouver. Lorsqu’elle atteint ses 23 ans, son premier job se cache dans un bout de journal chiffonné: fascinée par la machine médiatique, elle postule à une annonce de documentaliste à la Télévision suisse romande. Elle deviendra responsable ad interim de la documentation audiovisuelle avant d’entrer au service des RH, où elle sera notamment déléguée à l’égalité.
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De ces années genevoises, un souvenir s’accroche: «J’ai pu aller parler à l’ONU, à la commission des droits de la femme, pour présenter les mesures de la TSR. A 30 ans, c’était impressionnant et marquant.» Assise sur la même branche, Isabelle Darbellay Métrailler renoue ensuite avec ses racines. En 2000, elle entre au Bureau de l’égalité de l’Etat du Valais, devient rapidement responsable… et cheffe de bataille: «C’était la période où l’on ne cessait de vouloir supprimer la structure, pour des raisons économiques ou des visions sociétales.» Le PDC et l’UDC peinaient à accepter que l’on promeuve une place des femmes hors de la maison, dit-elle. «Plutôt que de travailler sur les dossiers, on devait justifier qu’on avait le droit d’exister.» Frustrée, elle garde le cap diplomate.
Parallèlement, la maternité fleurit. «Je n’ai jamais voulu avoir des enfants pour avoir des enfants, mais pour leur créer un avenir.» Un aîné, puis des jumeaux, garçon et fille. Elle redistribue les cartes professionnelles. «Concilier vie familiale et professionnelle, c’est tout l’enjeu.» Isabelle Darbellay Métrailler dirige alors les Ecoles-clubs de Migros Valais. Ce sont aussi des années politiques: la PLR préside les Femmes libérales-radicales, cofonde Avenir Ecologie, rameau vert du parti cantonal, et se présente au Conseil national en 2011.
«Raison à droite, cœur à gauche»
Elle n’est pas élue, mais aura coloré la liste de ses touches écolo et féministe, qui détonnent pour le parti de droite – on l’a dite «gauchiste», elle préfère «la raison à droite, le cœur à gauche». Elle prône d’ailleurs, pour l’égalité, une action de toutes les manières et de tous les bords: «Plus on est, mieux c’est. Personne ne peut revendiquer une exclusivité sur ce thème. Ça, c’est un truc qui m’agace.» En 2016, l’Office de l’égalité et de la famille lui rouvre ses portes. Le Valais a changé, les voix antiféministes sont moins audibles.
Au bilan ensoleillé, Isabelle Darbellay Métrailler note l’augmentation des femmes en politique – «aux communales, dans la Constituante et au Grand Conseil, pour lequel nous avons même été le deuxième canton de Suisse en termes de parité en 2021, avant que Neuchâtel nous dépasse!» Côté face, elle soupire devant ces inégalités salariales immortelles, «juste intolérables».
Isabelle Darbellay Métrailler passe finalement le flambeau au début de 2023 pour sauver une autre étincelle de justice: celle de la dignité. La voilà aujourd’hui cheffe de la Croix-Rouge Valais. Avec, au rang des priorités, l’intégration, «essentielle», des migrants et des plus défavorisés en général. Isabelle Darbellay Métrailler croit en Dieu, beaucoup moins en la messe. Mais elle croit surtout en la justesse d’une société solidaire où chacun peut être libre.
Profil
1968 Naissance à Martigny.
1991 Au service de la documentation audiovisuelle de la TSR, puis aux RH et déléguée à l’égalité.
2000 Office de l’égalité du Valais. Entre 2006 et 2016, elle quitte l’Etat pour diriger les Ecoles-clubs de Migros Valais, avant d’y revenir.
2020 Coprésidente de la Conférence suisse contre la violence domestique.
2023 Directrice de la Croix-Rouge Valais.
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