– Pourquoi alors focalisez-vous votre attention sur les châtiments corporels?
– Pour deux raisons: d'abord, les coups sont la seule violence qui soit justifiée par un discours. Je n'ai jamais vu de théorie éducative qui préconise les mots humiliants. En revanche, le mythe selon lequel il y aurait une «bonne» fessée est encore massivement diffusé.
– Et la deuxième raison?
– Avec les châtiments corporels, c'est directement le corps qui est atteint, et il a une mémoire redoutable, souvent indépendante de la conscience: «Ma main est partie toute seule», dit le parent. Son esprit a oublié sa douleur et son incompréhension d'enfant car il veut à tout prix continuer à croire qu'il a eu des parents aimants. Donc, son esprit a oublié sa douleur, mais pas son corps. Et ce corps reproduit les coups reçus.
– Votre travail le plus célèbre analyse l'enfance de Hitler*. Vous y expliquez aussi que pour faire exister le nazisme, il fallait un peuple allemand docile.
– Bien sûr. J'ai expliqué comment cette docilité venait des théories éducatives de la fin du XIXe siècle, de cette «pédagogie noire» qui pousse très loin l'éducation «à la dure ». Cela dit, il y a une spécificité de la folie de Hitler. Il a, en commun avec les autres massacreurs, d'avoir été un enfant battu sans trouver sur son chemin le «témoin secourable» qui l'aide à s'en sortir. Mais son obsession des origines est toute particulière. Hitler a fait détruire le village de son enfance, et il a exigé de ses concitoyens qu'ils prouvent leurs origines jusqu'à la troisième génération, ce qui ne s'est jamais vu dans l'histoire de l'antisémitisme. Il était fou de ne pas savoir: un bruit courait que son grand-père était l'ancien patron juif chez qui sa grand-mère avait servi comme femme de chambre, mais il n'a jamais pu éclaircir la question.
– En 1999, vous avez lancé en France l'association «Eduquer sans frapper» . Pourquoi ne menez-vous pas ce combat en Suisse?
– Je le ferais volontiers, mais jusqu'à présent je n'ai pas rencontré en Suisse de gens intéressés à travailler dans cette direction. Cela peut changer. J'aimerais par exemple proposer qu'on fasse un sondage pour savoir combien de gens dans ce pays (y compris dans les régions de montagne) trouvent que la fessée est efficace et nécessaire. J'adore la Suisse et ses paysages, mais je m'y sens souvent seule avec mes idées qui me semblent être dérangeantes ici. Aux Etats-Unis, en France, en Hollande, je me suis sentie mieux comprise. Ici, après 54 ans, malgré mon dialecte impeccable, j'ai toujours l'impression d'être une étrangère.