Les robots et nous
Des machines de soins aux exosquelettes en passant par la réponse aux catastrophes et l’accueil, la robotique japonaise gonfle les muscles face à la concurrence. Troisième volet de notre exploration des nouveaux androïdes

En 1980, quelque 12 ans après le lancement des premiers robots d’usine, la Japan Industrial Robot Association évoquait l’aube d’une «utilisation populaire» de l’automation dans l’Archipel. En 1988, l’écrivain Frederik L. Schodt racontait de l’intérieur ce véritable «royaume des robots». L’année passée, dans un document appelé «New Robot Strategy», le gouvernement de Shinzo Abe appelait à une «révolution robotique», invoquant la nécessité pour le Japon de maintenir son statut de «grande nation de la robotique».
Longtemps considéré comme un leader incontesté, aujourd’hui rattrapé par la Corée, la Chine et les Etats-Unis (nombre d’unités industrielles en fonctionnement, intelligence artificielle), l’Archipel demeure une superpuissance de l’automation. Tandis que Fanuc et Yaskawa font toujours la course en tête (avec ABB et Kuka), d’autres acteurs investissent les champs de la robotique dite «sociale» et «de service» – un secteur qui pourrait passer de 560 millions à 11,2 milliards de francs à l'échelle du Japon d’ici à 2020 selon le Ministère de l’économie.
L’inexorable baisse de la population
La population du Japon décroît; de 127 millions, elle pourrait tomber à 100 millions peu après 2050. Ce déclin de la force de travail, accompagné d’une politique d’immigration très stricte, positionne l’automation comme un facteur clé du maintien de la productivité. L’industrie et l’université se concentrent notamment sur le domaine des soins. Le système RoHo, par exemple, compte déployer des androïdes pour l’interaction avec les petits enfants. Intelligence artificielle, data et robots aux formes de Barbapapa devraient permettre de réduire drastiquement le nombre d’éducateurs. RoHo veut aussi tabler sur des drones pour surveiller et guider les jeunes enfants.
Pour les soins hospitaliers
En termes de soins hospitaliers, Hospi, le prototype de distributeur de médicaments autonome et mobile conçu par Panasonic, est en test dans un hôpital de Singapore. Le géant de l’électronique travaille aussi sur un lit robotique qui se transforme en chaise-véhicule. Dans la même veine, l’institut Riken a mis au pont Robear, un projet de robot capable de soulever dans ses bras et transporter des patients immobilisés. Le Toyota HSR, avec ses capteurs et ses airs de R2D2, se veut un appui aux patients affaiblis.
Une démonstration du Toyota HSR par la firme.
Ces initiatives répondent à l’accroissement des besoins relatifs aux personnes âgées. Plusieurs robots sociaux sont utilisés pour stimuler l’interaction et fournir un soutien affectif aux pensionnaires d’EMS. Les androïdes Palro (Fuji Soft) et Pepper (SoftBank Robotics, capable de reconnaître certaines émotions et de converser), jouent les animateurs dans plusieurs centres. Paro, un robot en forme de phoque, est utilisé dans le cadre des traitements des troubles d’Alzheimer avec des résultats cliniques démontrés.
Un exosquelette pour prévenir les maux de dos
Les exosquelettes Cyberdyne en fibre de carbone promettent de prévenir les problèmes de dos chez les infirmiers. Cyberdyne met à profit des patchs apposés sur la peau qui captent les résidus électriques du système nerveux pour permettre une aide au mouvement fluide. Les combinaisons Cyberdyne sont aussi utilisées dans le cadre de la rééducation, et du soutien aux tâches lourdes. L’entreprise collabore d’ailleurs avec l’aéroport Haneda, où sont implémentés en sus des robots de transport et de nettoyage.
Lire aussi: Le Japon met les exosquelettes au travail
Cyberdyne travaille aussi sur un prototype «Disaster-Recovery», qui recouvre le corps d’une armure en titane ainsi que d’une veste antiradiation. Depuis le triple accident de Fukushima, la réponse aux catastrophes est devenue un axe de recherche important. Mitsubishi Heavy vient de dévoiler un petit robot capable de se faufiler dans des zones hautement inflammables. Lors de l’International Robot Exhibition, l’an dernier, plusieurs projets d’androïdes de secours faisaient voir des capacités prometteuses.
Le robot de Mitsubishi Heavy présenté par le Japan Times
L’agriculture également doit connaître une forte période d’automatisation – c’est en tout cas l’injonction du gouvernement. Kubota travaille sur un tracteur autonome, ainsi qu’un exosquelette d’aide à la récolte. Spread a annoncé que son unité de production de laitues à Kameoka sera entièrement automatisée à l’exception d’une seule tâche d’ici à 2017.
Des progrès visibles à Tokyo
Les progrès dans le secteur de la robotique de service sont de plus en plus visibles à Tokyo. Le temps d’un test, le groupe Mitsukoshi a confié un rôle d’hôtesse à un androïde ultra-réaliste de Toshiba, mis au point avec l’Université d’Osaka. La banque Mitsubishi UFJ a déployé des androïdes NAO dans plusieurs succursales, tandis que Mizuho a tablé sur Pepper. Le petit compagnon de SoftBank Robotics est le plus populaire des androïdes de promotion: on peut entendre sa voix espiègle chez Meiji Yasuda Life Insurance, Nescafé, Bic Camera ou Tsutaya. EMIEW3, le concurrent signé Hitachi, vient juste d’être lancé sur le marché.
L’amusante – et parlante – présentation de Pepper par son fabricant
La prochaine étape? Sans doute l’arrivée à grande échelle de robots conçus pour la maison. Pepper mis à part, peu de tentatives ont convaincu (Mitsubishi Wakamaru, Sony Aibo, Sharp RoboHon). Des efforts sont encore à fournir du côté de l’intelligence artificielle (IA). Pepper bénéficie depuis le début de l’année d’une collaboration avec IBM Watson. Toyota a annoncé l’an dernier l’injection d’un milliard de dollars dans la recherche sur l’IA, tandis que son nouveau gourou de l’automation, Gil Pratt – un ancien de DARPA, l’agence militaire américaine –, veut mettre à profit la technologie de montage à la chaîne Toyota pour produire des robots à bas prix. Fin juin, Sony annonçait son retour dans le business de la robotique grand public, dix ans après Aibo. Enfin, SoftBank vient d’acquérir le constructeur britannique de puces ARM, signalant la convergence entre IT, robotique et Internet of Things.