interview
Chanteur du groupe corse I Muvrini, Jean-François Bernardini donne sans relâche des formations sur la non-violence dans les écoles et les universités. Une véritable mission bienveillante et porteuse d’espoir. Interview

Jean-François Bernardini, c’est un peu «L’Homme qui plantait des arbres» de Jean Giono. Chaque jour, il sème des graines pour que renaisse la vie. Mais ses graines à lui sont celles de la bienveillance, au travers de sa Fondation UMANI et de son programme d’action pour la non-violence. Dans le chaos ambiant, les démarches bénévoles du chanteur de I Muvrini portent leurs fruits, lentement mais sûrement. «Et si pour une fois, nous osions mettre la non-violence à la Une?». Bonne question.
Le Temps: Jean-François Bernardini, comment en est-on arrivé à devoir donner des formations sur la non-violence?
Jean-François Bernardini: Nous sommes dans un monde qui nous prive, nous ampute dès l’enfance d’une initiation à notre véritable nature, qui est empathique, bienveillante, compassionnelle. La famille, le quartier, le village, le «nous» de l’appartenance sont malmenés et bien de ces offres sont affaiblies, débordées par des mécanismes, des écrans qui nous apprennent l’avidité, la compétition, une relation prédatrice vis-à-vis de l’autre et de la nature.
– La non-violence s’apprend-elle comme on apprend un langage?
– Oui, elle s’apprend, et de mille manières. Elle se frotte toujours à la réalité. Elle s’invente tous les jours, dans la salle à manger, comment je te parle, comment tu me parles. Elle s’invente sur les stades, dans la rue, dans les luttes. La chute du Mur de Berlin sans une goutte de sang a été possible avec des citoyens formés à la non-violence et leur fameux slogan «Keine Gewalt» – «Pas de violence». Le cerveau humain est capable du pire et du meilleur. A nous de choisir.
– Etait-ce un sujet dont vous parliez déjà, en concert avec I Muvrini?
– Je le faisais sans nommer cette illustre inconnue qu’est la non-violence, particulièrement en France. Moi aussi j’ai eu peur du ridicule. Entamer un combat David contre Goliath, passer beaucoup de temps avant d’être pris au sérieux… Il faut souvent beaucoup de morts pour que cela intéresse.
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– Quelles ont été les répercussions depuis la naissance de votre fondation UMANI en 2011?
– Une page dans un journal, une première formation dans un collège, une première rencontre publique, des petits pas. Une marche avait commencé. Elle ne cesse de s’amplifier. Nous étions loin de nous attendre à une telle résonance. Des centaines de conférences, des demandes de formation arrivent chaque jour, plus de 20’000 personnes initiées, un partenariat avec des clubs de football professionnels qui forment leurs jeunes et leurs cadres. J’ai donné près de 200 conférences en deux ans, au rythme de trois par jour bien souvent, dans des écoles, des universités et tout public. L’Université de Neuchâtel organisera une journée entière dédiée à ce thème le 8 avril prochain. Ces démarches valent autant qu’un décret de loi, pour les passionnés de solutions que nous sommes.
– Qu’abordez-vous précisément dans ces conférences?
– Je propose de nous reconnecter avec notre véritable nature. Notre équipement de base est bien plus non-violent que violent. La violence est une violation de notre nature. Réhabiliter la notion de conflit: nous ne sommes pas éduqués pour le conflit, et nous cédons très souvent à «priorité violence». Prendre conscience des cerveaux-mécanismes, des émotions négatives qui peuvent nous aveugler. La colère c’est la santé, mais que vas-tu faire de ta colère, et que va-t-elle faire de toi?
– Quelles sont les réactions, positives ou négatives, de vos auditeurs?
– Au début on peut entendre «La non-violence est une utopie! L’homme est violent par nature! La violence est fatale!» Tout cela reste bien ancré dans les esprits. Et si la violence était une utopie? Elle ne règle aucun des problèmes qu’elle prétend résoudre. Les neurosciences confirment aujourd’hui que notre équipement de base est par essence coopératif et empathique. Je prévois toujours un temps de dialogue. A la fin, je ressors émerveillé, touché, encouragé. L’énergie de l’intelligence remonte à la surface. Ils révèlent une immense soif, et ce bonheur de sentir chacun reconnecté avec sa nature profonde. Ces jeunes redécouvrent l’accès à leur GPS intérieur. La non-violence inspire, confirme leur besoin et leur recherche parfois désespérée d’un monde qui vaut le coup. Leur attention pendant deux heures est la plus belle preuve de la pertinence d’un message qui les invite à être bienveillants et en même temps intelligents, courageux et en même temps efficaces, dans la vie et dans le conflit.
– Quels sont les témoignages les plus marquants reçus suite à vos interventions?
– J’ai vu des amphis de 300 lycéens scander «Non-violence» pendant plusieurs minutes, j’ai entendu des proviseurs témoigner qu’une simple conférence pouvait changer la vie du lycée, des enseignants affirmer leur soif de ces formations. J’ai vu des élèves dire debout, micro à la main face à l’assistance: «Pourquoi ne nous enseigne-t-on pas cela? J’ai appris des choses qui feront de moi quelqu’un d’autre… A partir d’aujourd’hui je serai différent.» J’ai reçu le témoignage d’un professeur désemparé par sa classe ingérable dans un milieu difficile: «Mes élèves ont été touchés par la grâce.» Leurs comportements avaient totalement changé, ce qui prouve que, souvent, il s’agit davantage d’un problème de conscience que d’un problème de discipline.
– Toutes vos démarches sont bénévoles. Est-ce pour vous une forme de mission?
– Oui, j’aime être ce petit électricien qui reconnecte jeunes et adultes avec notre équipement biologique de base, et avec un réseau mondial de trésors, de ressources qui nous attendent, nous transforment et changent le monde. Ils sont en chacun de nous, mais nous ne le savons pas. Pas encore.
– Formez-vous des gens à donner cette formation à leur tour?
– Oui, le monde a besoin d’armes d’instruction massive. La non-violence a besoin de transmetteurs, de témoins, de semeurs. Personnellement, c’est ainsi que je conçois mon rôle d‘artiste.
– Peut-on ne pas être réceptif du tout aux discours de non-violence?
– Si on est dictateur, vendeur d’armes ou tyran, on a peu d’intérêt à cultiver la non-violence. À qui profite le fait que l’efficacité de la non-violence soit ignorée par le peuple? Les puissants, les vendeurs d’armes, les lobbys auraient-ils vraiment intérêt à ce que le peuple comprenne que l’on peut changer les choses autrement?
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– Un essayiste et conférencier survivaliste suisse a récemment déclaré que la violence résout tous les problèmes. Que lui répondez-vous?
– Je l’invite à regarder le monde tel qu’il est ou la violence dans notre société.
Les armes sont un mensonge. La violence désenchante le monde et les luttes. Elle ne règle aucun des problèmes qu’elle promet de régler. Deux universitaires américaines l’ont confirmé dans une étude récente: Entre 1900 à 2005, sur 123 derniers conflits, l’utilisation de la non-violence a été deux fois plus efficace, et surtout plus fiable dans la durée. Les ressources, les méthodes, les stratégies, l’inventivité des combats non-violents nous offrent un équipement de vie, face à ces instruments de mort que l’on nous vend comme incontournables. Et si les formations à la non-violence étaient aussi disponibles que le sont les armes aujourd’hui? Et si la non-violence, outil et méthode politique au sens noble du terme, était le visage inattendu du XXIème siècle?
Jean-François Bernardini et son groupe I Muvrini viennent de sortir l’album Pianetta (Sony Music)