Religions
Qu’ils soient Français, Belges ou Suisses, une vague de démissions, burn-out et dépression touche les pasteurs. Explications avec Jérôme Cottin, professeur de théologie pratique et auteur d’une grande enquête sur la crise de cette profession

Les pasteurs ont mal à leur profession. C’est le constat principal qui ressort de la grande enquête réalisée sur le sujet par Jérôme Cottin, professeur de théologie pratique à l’Université de Strasbourg, et publiée ces jours aux Editions Labor et Fides. Explications.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’enquêter sur les pasteurs?
Jérôme Cottin: On assiste aujourd’hui à un burn-out pastoral. Un phénomène qui touche également de plus en plus de jeunes pasteurs. On savait déjà que certaines Eglises avaient des difficultés à recruter des ministres. Aujourd’hui, on s’aperçoit en plus que certains, au bout de quelques années, ne tiennent pas le coup, tombent en dépression, etc. Il y avait donc urgence, selon moi, à s’intéresser à la question.
Lire également: Dans les églises, mosquées et synagogues de Suisse, les femmes se battent pour l’égalité
Comment comprenez-vous cette crise pastorale?
Ce n’est plus si évident que ça, en 2020, d’être pasteur alors que les Eglises sont partout en perte de vitesse. Le défi est énorme pour ceux qui veulent y consacrer leur vie, car aujourd’hui ce n’est plus le ministère qui porte la personne, mais la personne qui porte le ministère. Autrefois, c’était un métier qui était porté par une image, des structures sociales, etc. Le pasteur, surtout dans des pays comme la Suisse, c’était quelqu’un. Il représentait une autorité. A l’heure où les institutions sont remises en question, contestées, parfois même ignorées ou méprisées, le pasteur se retrouve bien seul.
Dans votre livre, vous pointez les non-dits de ce ministère. Quels sont-ils?
On a beaucoup parlé du pasteur comme personnage public, mais on s’est peu intéressé à ce qu’il est au quotidien: comment il vit ce ministère, et notamment au sein de son intimité familiale. Je leur ai donc posé un certain nombre de questions assez personnelles, voire intimes.
Ce qui m’a mis sur la piste, c’est le constat que dans la région où je suis [en Alsace], le taux de divorces chez les pasteurs était sans doute supérieur à la moyenne nationale. Mon enquête révèle une autre image du pasteur, celle d’un être humain qui connaît finalement les mêmes difficultés et échecs que les autres. Or l'image d’Epinal de famille modèle continue de peser sur ceux qui peinent à trouver un équilibre entre ministère et vie privée.
Pourquoi cet équilibre est-il si difficile à trouver?
Les pasteurs ont de la peine à se protéger. Or ils doivent apprendre à protéger leur vie privée, qui est sans cesse rognée par des impératifs, des urgences. On attend beaucoup d'eux, et de fait ils peinent à vivre aussi pour eux-mêmes. Et cela finit par aboutir à des échecs retentissants.
Quel rôle joue l’aspect financier dans cette crise?
Cela dépend beaucoup des contextes, puisque certaines églises sont financées par l’Etat ou des structures publiques (comme dans le canton de Vaud), et d’autres doivent financer elles-mêmes leurs pasteurs. Alors évidemment quand le nombre de paroissiens diminue, les finances suivent. Et tout ça va peser sur le pasteur, à qui on va confier des territoires de plus en plus grands. Beaucoup, en France, se retrouvent à faire tout seuls l’équivalent de ce que faisaient quatre ou cinq personnes il y a vingt ans.
Lire aussi: Noé, Rébecca ou Jésus sont des coaches de vie, foi de Marc Pernot
«Le pasteur d’aujourd’hui est d’abord là pour accompagner l’humain, la spiritualité puis la foi viennent de surcroît», écrivez-vous. Le pasteur d’aujourd’hui est-il devenu un travailleur social comme un autre?
Non, loin de là! Bien sûr, il fait du social, il travaille au sein de réseaux sociaux, mais tous les pasteurs que j’ai interrogés sont convaincus d’avoir quelque chose de spécifique à apporter. Ils sont là pour délivrer un message spirituel, fondé sur la lecture et l’interprétation de la Bible: c’est leur raison d’être. La difficulté vient du fait que cette vocation spirituelle a de plus en plus de mal à être entendue, reçue, comprise. Et ce, alors même que la société est largement en quête spirituelle.
Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Les gens sont férus de spiritualité, mais qui n’est pas celle que les pasteurs et les Eglises proposent. Ils recherchent une spiritualité centrée sur l’individu ou le bonheur personnel, ou auront plutôt tendance à être attirés par les spiritualités orientales. Or, dans le message chrétien véhiculé par les Eglises traditionnelles, il y a une insistance très forte sur le groupe, la communauté, la disponibilité à l’autre, l’effacement des besoins personnels au profit de l’aide aux plus petits, etc. Cette vision des choses est en contradiction avec la tendance sociale actuelle qui est de rechercher une spiritualité autocentrée sur ses propres besoins.
Un autre gros changement qu’a vécu cette profession, c’est sa féminisation. De quelle manière celle-ci l’a-t-elle influencée?
J’ai constaté une grande différence dans les réponses émanant de femmes ou d’hommes pasteurs. Les réponses des femmes m’ont semblé plus pertinentes, plus précises, plus honnêtes aussi peut-être. Comme le ministère féminin est assez nouveau, les femmes pasteurs se sentent plus libres: elles n’ont pas le souci, l’obsession de coller à une image. Alors que les hommes cherchent parfois à reproduire ce modèle du pasteur tel qu’il a traversé les siècles, et du coup, ils vont être moins créatifs.
Cette féminisation du métier est vraiment une grande chance pour le protestantisme – qui est quand même la seule religion à avoir un ministère féminin de cette importance.
Ecouter aussi l’épisode de notre podcast «Brise Glace»: «Comment Valentin, 25 ans, a choisi de consacrer sa vie à Dieu»
«Les pasteurs. Origines, intimité, perspectives», De Jérôme Cottin, Ed. Labor et Fides. Sortie le 19 février