Jeune très qualifié cherche emploi stable et logement
#GénérationCH 1/6
Les trentenaires s’estiment trop qualifiés pour leur salaire. En face, les sexagénaires, qui ont pu profiter les premiers d’un deuxième pilier, n’ont jamais été aussi riches, tout en bénéficiant de logements meilleur marché… Premier volet des résultats de notre grand questionnaire

Sale temps pour entrer sur le marché de l’emploi. Les résultats de l’enquête menée le mois dernier par Le Temps auprès de quelque 1200 personnes mettent en lumière de sérieuses préoccupations quant à la situation professionnelle des jeunes.
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Alors que le niveau et la durée des études ne cessent d’augmenter, près de 24% des trentenaires qui nous ont répondu pensent être trop qualifiés pour le poste qu’ils occupent. Plus de 28% estiment ne pas être assez rémunérés. Une insatisfaction qui touche deux fois moins de quadragénaires, selon les résultats de notre coup de sonde en ligne, sans prétention scientifique et plus représentatif du lectorat du Temps plutôt que de la société suisse dans son ensemble.
Notre enquête #GénérationCH
Lire aussi:
- 1/6 Jeune très qualifié cherche emploi stable et logement (20.06.2016)
- 2/6 La génération qui ne voulait plus posséder (21.06.2016)
- 3/6 Les moins de 30 ans et l’environnement: je t’aime, moi non plus (22.06.2016)
- 4/6. Sexualité, les nouvelles générations refusent de rentrer dans les cases (23.06.2016)
- 5/6 A 20 ans comme à 60, on aime la Suisse (24.06.2016)
- 6/6 «Les différences entre générations sont aussi fortes que les différences à l’intérieur d’une génération» (25.06.2016)
- Chronique. Fractures de générations, vraiment? (17.06.2016)
- TEST. De quelle génération êtes-vous vraiment? (24.06.2016)
Ces frustrations sont-elles à mettre sur le compte de l’arrogance de la jeunesse? Pas si sûr. Même s’il reste l’un des plus bas d’Europe à 6,4%, le chômage des jeunes en Suisse reste 1,5 fois plus élevé que celui du reste de la population. Plus préoccupant: l’accès au marché de l’emploi se durcit année après année.
Selon la dernière étude de l’Office fédéral des statistiques (OFS) sur les personnes diplômées, les lauréats de 2008 ont été «nettement moins touchés par le chômage au sens du BIT que les personnes nouvellement diplômées de la volée 2012 et que la population résidente permanente».
Les trentenaires gagnent 720 francs de moins
Avec des difficultés supplémentaires pour les universitaires – comme 71% des personnes qui ont répondu à notre sondage. C’est que la compétition est désormais devenue globale. Goldman Sachs, considérée comme la banque la plus puissante du monde, a par exemple reçu plus de 250 000 candidatures de stages pour cet été, 40% de plus qu’en 2012.
Une pression également confirmée par les aînés. «Il y a 40 ans, on nous courrait après pour nous engager, commente une sexagénaire que nous avons interrogée (lire ci-dessous). Nos enfants ont fait des études et se retrouvent au chômage. Ils doivent accepter des postes que l’on obtenait après un apprentissage.» Depuis trois ans, le salaire annuel moyen des trentenaires recule. Entre 2011 et 2013 (dernières données disponibles à l’OFS), les 30-34 ans ont perdu 380 francs (-0,55%) et les 35-39 ans 720 francs (-1%).
La «génération deuxième pilier» gagne plus que des actifs
Une tendance qui contraste avec l’amélioration des conditions de vie des baby boomers. A Genève, les couples fraîchement arrivés à la retraite (65 à 69 ans) gagnent désormais davantage que les jeunes couples mariés (25-29 ans). Avec 102 000 francs de revenu médian – contre 96 000 pour leurs cadets, on est «loin de l’image du pauvre retraité, concède Matti Langel qui a mené l’étude pour l’Office cantonal de la statistique. Depuis 1990, les sexagénaires sont la population qui a vu, en proportion, ses revenus augmenter le plus».
Une première historique pour les jeunes retraités, première génération à avoir cotisé au deuxième pilier – généralisé en 1985 – durant toute leur carrière. Or, l’inversion de la pyramide des âges, l’essoufflement économique de l’Europe et l’environnement de taux bas qui perdure depuis la crise de 2008 pourraient bien effilocher le pacte intergénérationnel.
Le malaise ne date pas d’hier, selon certains de nos lecteurs. Une quadragénaire neuchâteloise cite l’ancien chroniqueur du Temps Beat Kappeler qui en juin 2003 déjà résumait la situation ainsi: «La génération qui a travaillé le moins de toute l’histoire, qui a accumulé la plus grosse dette publique en temps de paix, qui a fait le moins d’enfants de toute l’histoire humaine; cette génération réclame les retraites les plus élevées de tous les temps.» Tout en bénéficiant de logements meilleur marché, serait-on tenté d’ajouter.
Lire aussi: «La semaine de Beat Kappeler. Les casseurs de vitrines et les casseurs de mots»
A Lausanne, plus d’une heure de trajet pour aller en cours
Dans notre sondage, les tracas immobiliers touchent toutes les générations. Mais près de 24% des trentenaires sondés vivent dans un logement qui ne correspond pas à leurs attentes. Ce sont bien eux qui ont subi de plein fouet l’augmentation des loyers: +57% sur la région lémanique depuis 2005, selon la société Wüest & Partner. Dans les centres urbains, les jeunes finissent par payer des loyers plus élevés que leurs parents, pour une ou deux pièces en moins. Ou sont repoussés vers la périphérie.
A l’Université de Lausanne, 24% des étudiants de première année effectuent un trajet de plus d’une heure pour se rendre en cours. Contre 14,5% en 2007, selon une étude du Service d’orientation et carrière.
Le phénomène touche aussi les trentenaires. Arrivés en âge de fonder une famille, nombre d’entre eux s’installent dans les zones périurbaines. La commune de Palézieux, plébiscitée par les pendulaires depuis le passage de la ligne ferroviaire Lausanne-Berne, a par exemple vu sa population doubler en 30 ans, explique le chercheur de l’Université de Genève Mathieu Petite, coauteur de l’étude «Habiter (un temps) le périurbain».
Difficile de trouver un toit quand on est déjà exposé aux intempéries du marché de l’emploi.
Témoignages
Une retraitée qui s’inquiète du bouleversement du monde du travail, un étudiant qui a pu profiter du système des passerelles mais a galéré pour se loger, et un autre qui relativise l'importance du travail: trois profils qui sont ressortis de notre enquête.
1 – «Il y a 40 ans, on nous courait après pour nous engager»
Témoignage de Françoise Furst, 65 ans, ancienne secrétaire de direction, qui a assisté avec inquiétude au bouleversement du monde du travail pour ses trois enfants.
«Tout était facile dans les années 1970. Quand j’ai fini mon apprentissage dans l’administration, j’ai d’abord pris un premier poste chez un notaire, qui ne me m’a pas plu, mais l’ouverture de l’Ecole normale à Montreux a permis au directeur d’engager une secrétaire et il est venu me chercher. Quand j’ai pris ma retraite en 2011, mon employeur a reçu 150 postulations! Certains candidats avaient des diplômes universitaires, et tentaient de se vendre à tout prix, ils n’arrivaient pas à trouver un emploi, ils étaient jugés trop qualifiés.
Mes trois enfants ont eu des parcours différents. A 33 ans, le premier est technicien en horlogerie. Le second, 31 ans, a fait des études de droit, mais, sans réseau, difficile de trouver une place de stage. Enfin cela ne va être simple non plus pour ma fille de 25 ans qui a étudié le japonais pour le plaisir. Je ne l’ai pas poussée à choisir d’abord la rentabilité, alors qu’à mon époque il était évident qu’il fallait choisir un métier pour être rapidement autonome. Aujourd’hui les jeunes essaient des voies différentes, ils changent, se réorientent. Il n’est pas rare dans mon entourage d’arriver à la trentaine et de n’avoir encore jamais travaillé.
Auparavant, même avec un apprentissage on pouvait monter en grade, avoir de l’ancienneté signifiait qu’on connaissait bien son métier et son entreprise, et c’était reconnu. Aujourd’hui l’entreprise n’a plus envie de garder les savoir-faire, elle évacue la mémoire des anciens et ne donne plus la possibilité de s’attacher. Même les grandes maisons engagent en contrat à durée déterminée, et se moquent des jeunes en les faisant partir puis revenir, tout en mettant les charges sur le dos de la société. Il faut donner toujours plus, c’est un monde de tout à l’argent. Cela peut-il durer?
(Recueilli par Catherine Frammery)
2- «J’ai vraiment eu de la chance»
Témoignage de Julien, étudiant genevois 27 ans, qui a longtemps galéré mais a su utiliser la souplesse du système de passerelles et a fini par trouver un logement.
«J’ai eu de la chance car j’ai vraiment profité de la souplesse du système éducatif, et des passerelles. J’ai fait un apprentissage dans la vente, j’ai ensuite pu faire une maturité et suis aujourd’hui étudiant en master de statistiques. Pour moi c’était génial.
J’ai aussi eu de la chance car j’occupe aujourd’hui un petit appartement social à Genève, aux Eaux-Vives, dans une résidence spécialisée dans les bas revenus, où il y a autant de vieilles personnes que de jeunes. Je paye 500 francs par mois pour un 1,5 pièce.
Mais j’ai mis beaucoup de temps à trouver. J’avais 21 ans quand j’ai commencé à chercher un appartement pour vivre en couple, je travaillais à 70-80% tout en étudiant à la Haute école de gestion et gagnais environ 3000 francs. Mon amie gagnait la même chose mais ce n’était pas déclaré, or il fallait bien sûr présenter des fiches de paie. Ma mère s’est portée caution mais le seul appartement que nous ayons fini par trouver était un 5,5 pièces à 2000 francs par mois, grâce à une personne qui avait compris notre situation, qui aimait bien aider les jeunes et nous a fait confiance. Mais c’était très cher.
Je me suis ensuite retrouvé de retour chez ma mère, et j’ai recommencé à chercher un tout petit logement pour moi seul, je ne me voyais pas habiter en colocation, après avoir vécu en couple. A la fin je n’allais même plus aux visites, j’envoyais juste un dossier de candidature: j’en ai envoyé une cinquantaine. Comme tout le monde à Genève j’étais prêt à prendre n’importe quoi. Cela a duré cinq mois.
J’ai vraiment eu de la chance. Je n’aurais pas pu continuer à travailler pour gagner plus tout en continuant mes études.»
(Recueilli par Catherine Frammery)
3- «La vie ne doit pas tourner autour du travail»
Témoignage de Romain Pilloud, 20 ans, Montreusien, en transition entre monde du travail et université, pour qui le travail à l’ancienne a vécu.
«J’étais dans la voie VSB, la voie royale, et on nous disait d’aller au gymnase, que l’apprentissage était pour les mauvais. Je me souviens qu’un professeur me disait que je méritais mieux: j’ai vite compris qu’il y avait un souci. C’est assez décourageant, on nous met très rapidement dans des cases, mais j’ai décidé quand même d’aller en apprentissage, je voulais d’abord découvrir le monde professionnel. J’ai effectué un CFC de commerce, j’ai travaillé un an, j’ai beaucoup apprécié, et ensuite j’ai utilisé le système de passerelle pour une année transitoire avant d’entrer à l’université en sciences politiques.
Je travaillais justement sur l’intégration des jeunes sans diplôme dans le monde du travail, sur tous ces jeunes qui ne trouvent pas de place d’apprentissage. Le monde du travail est rude quand on a 15 ans, on nous demande beaucoup. Quand vous devez travailler 42 heures par semaine, plus les cours et le travail personnel, vous arrivez vite à Métro-boulot-dodo.
Auparavant avoir un bon travail c’était avoir une bonne vie, il fallait un bon emploi pour avoir une bonne place dans la société. Aujourd’hui on a envie de faire autre chose, de passer du temps avec sa famille, avec ses amis, de voyager. La première question en Suisse c’est toujours – que faites-vous dans la vie? Pour nous, la vie ne doit pas tourner autour du travail, nous ne voulons pas en faire notre activité principale, nous voulons VIVRE. Dans un monde idéal il faudrait baisser le temps de travail, que les gens puissent se former, s’occuper de leur famille, avoir des loisirs. Ce serait positif pour toute la société. Le RBI a échoué mais la question du travail est posée.»
(Recueilli par Catherine Frammery)