Julianna, 5 ans, peut-elle choisir entre vivre et mourir?
états-unis
Atteinte d'une grave maladie neurodégénérative, la jeune Américaine a peu de chance de vivre longtemps. Ses parents lui ont demandé si elle préférait aller à l'hôpital en cas de crise ou aller au paradis. Certains bioéthiciens se demandent si une enfant de cet âge peut comprendre le concept de la mort

Une enfant de 5 ans peut-elle savoir ce qu’est la mort? Le cas de Julianna Snow émeut toute l’Amérique. Atteinte par la maladie neurodégénérative de Charcot-Marie-Tooth, cette jeune Américaine vivant à Portland, en Oregon, n’a, selon ses médecins, aucune chance de guérir. Elle porte un respirateur artificiel en permanence, ses poumons et voies respiratoires étant régulièrement engorgés. Le moindre refroidissement pourrait l’emporter. Le milieu médical est d’ailleurs catégorique: à la prochaine grave crise, Julianna pourra peut-être être maintenue en vie, mais celle-ci en sera fortement altérée.
Ses parents, Michelle Moon, une neurologue, et Steve Snow, lui ont soumis plusieurs questions qu’on pose généralement à des personnes en fin de vie. Voici le dialogue entre Michelle et sa fille: «Julianna, si tu retombes malade, veux-tu aller à l’hôpital ou rester à la maison? – Non, pas l’hôpital. – Même si cela signifie que tu iras au paradis si tu restes à la maison? – Oui, je déteste le NT (l'intubation nasotrachéale). Je déteste l’hôpital.»
«J’aime pas mourir»
Un peu plus tard dans la conversation, Julianna demande à sa mère: «Est-ce qu’Alex (son frère de 6 ans) ira au paradis avec moi? – Sans doute pas, répond Michelle. Parfois des gens y vont ensemble, mais la plupart du temps, ils y vont seuls. Est-ce que ça te fait peur?. – Non, poursuit Julianna. Le paradis, c’est bien. Mais j’aime pas mourir.»
On s'en doute, le cas de Julianna provoque un vif débat aux Etats-Unis: une enfant de cinq ans peut-elle déterminer en toute connaissance de cause ce qui est mieux pour elle, mourir ou voir sa vie prolongée grâce à une forme d’acharnement thérapeutique? Julianna peut-elle savoir ce que la notion de qualité de vie signifie? Pour l’heure, grâce à sa famille qui l’entoure, elle ne se plaint pas, choisit la robe de princesse de son choix chaque matin: celle de Raiponce un jour, de Blanche-Neige ou Cendrillon un autre.
«Une connaissance adéquate»
Dans son blog, Michelle Moon se dit convaincue que sa fille comprend les enjeux. «Elle a peur de mourir, précise-t-elle, mais elle m’a montré une connaissance adéquate de ce qu’est la mort.» Michelle Moon reste néanmoins en permanence à l’écoute de sa fille: «Si elle tombe malade, nous lui reposerons la question et nous exaucerons ses souhaits.»
Le pneumologue de la petite fille, Danny Hsia, le souligne sur le site de CNN: «Julianna est plus sage que la plupart des enfants de 5 ans.» La souffrance et les petites joies que lui procure sa famille l’auraient rendue plus mature que d’autres. En l’occurrence, il n’est pas question d’aide au suicide, mais d’une notion qui peut choquer à cet âge: celle de soins palliatifs.
Un biais religieux
Bioéthicien, Art Caplan est pourtant catégorique: «Un enfant de 5 ans à zéro chance de comprendre la notion de mort. Ce genre de réflexion ne se développe pas avant l’âge de 9 à 10 ans.» Pour le bioéthicien Craig Klugman, qui s’exprime via Twitter, les parents de Julianna n’ont pas présenté la situation à leur fille de façon objective en lui précisant qu’elle irait au paradis si elle venait à mourir. L’utilisation du mot paradis trahirait aussi un biais religieux qui entretient le flou.
S’ils lui avaient dit que mourir, c’était «cesser d’exister», elle aurait peut-être eu une autre réaction. «Un enfant de 5 ans ne devrait jamais avoir à choisir entre vivre et mourir», poursuit-il. Les parents doivent faire ce choix et ne pas chercher à «échapper au sentiment de culpabilité en plaçant une responsabilité morale sur les épaules» de leur fille.