Keyvan Ghavami, un leader solidaire
Engagement
Engagé pour les droits humains, le jeune Germano-Iranien voit les choses en grand. La Fondation qu’il a créée en 2014 organise un concours de photographie sur la migration

Au téléphone, Keyvan Ghavami accepte sans hésiter la rencontre matinale. Quelques jours plus tard, on le retrouve au passage piéton, face au café encore fermé, avec cinq minutes d’avance. Pas de temps à perdre pour le jeune homme de 29 ans, volubile et passionné, qui a des choses à dire et sait convaincre. Pour cause, cet ancien de Human Rights Watch a créé, avec trois amis, sa propre fondation pour promouvoir les droits humains chez les jeunes. Baptisée «Act On Your Future», la structure née en 2014 organise, pour la seconde fois, un prix de photographie sur le thème de la migration. Loin du cliché du jeune militant sans le sou, distribuant des tracts sur le terrain, Keyvan n’a pas eu peur de griller des étapes. Seul moyen, selon lui, d’acquérir une crédibilité: «Je veux montrer à mes partenaires que je joue dans la même cour qu’eux.»
Brillant, privilégié, Keyvan bouscule les idées reçues sur l’engagement citoyen et la philanthropie. Son mantra: pas d’âge, ni de budget minimum pour se lancer. Né à Lausanne d’une mère allemande, sexologue, et d’un père iranien, chirurgien, il grandit entouré de ses trois frères. L’adolescent turbulent, passionné d’histoire et de philosophie, décroche sa maturité bilingue en 2005 et rêve d’embrasser d’autres horizons. «Pour mon père exigeant, une année sabbatique à virevolter à travers le monde était inconcevable. J’ai pourtant décidé de me l’accorder», explique le jeune homme au regard déterminé. Il s’embarque alors pour Paris, sillonne l’Australie, le Japon, puis regagne le cocon familial, à peine rassasié. A 19 ans, il prend le large et s’installe en collocation.
A contre-courant des filières bancaires
Après un faux départ en architecture à l’EPFL, Keyvan Ghavami entame un Bachelor en science politique à l’Université de Lausanne. Besoin de décrypter les rouages de la société, de saisir les dessous des conflits, l’origine des inégalités, mais aussi d’éviter les sentiers tout tracés. Indifférent aux carrières bancaires qui trustent les stands lors des journées d’orientation, Keyvan navigue à contre-courant. Alors président de l’association d’étudiants Mosaïque, il fait venir des ONG, dont le CICR, sur le campus. L’hyperactif se révèle aussi un brin provocateur: en pleine campagne de votations sur l’interdiction des minarets, il invite Tariq Ramadan à venir débattre devant 700 personnes.
Après la théorie vient l’envie de pratiquer. Son diplôme en poche, il postule dans des dizaines d’organisations et fait ses armes chez Human Rights Watch à Genève. «J’ai eu la chance de toucher à tout, de la récolte de fonds à la gestion du bureau ou à l’organisation d’événements.» Entouré de grands pontes, spécialistes ou avocats, il vibre pour l’actualité en simultané, dévore les témoignages de première main sur les printemps arabes ou la chute de Kadhafi. Mais, l’ONG, comme le reste des organisations internationales, demeure une «grosse machine administrative» qui étouffe sa créativité. Au bout de trois ans, la curiosité le pousse hors des frontières helvétiques et il déménage à Londres.
Sur les bancs de la prestigieuse SOAS (School of Oriental and African Studies), il côtoie, à moitié intrigué, des étudiants marxistes en sit-in permanent. En 2015, il rédige un mémoire sur la rente pétrolière en Iran, utilisée tour à tour comme un mécanisme de coercition ou de consentement par les différents gouvernements. Une manière de renouer avec ses racines perses? «Je me sens proche de mon pays, même si je n’y suis allé que deux fois. Lorsque je rédigeais mon travail, on était en pleine négociation de l’accord sur le nucléaire, l’Iran était sous les feux de la rampe. Il y avait un côté excitant», sourit le jeune homme qui «baragouine un peu de farsi».
Leaders d’aujourd’hui
La même année, il fonde «Act On Your Future» avec Léna Menge, Romain de Planta et Alexandre Kalogiannidis. L’objectif: rendre le sujet des droits humains plus accessible. D’abord reliée à Human Rights Watch, la fondation arrache son indépendance. «Nous avions besoin de liberté, de flexibilité. En tant que jeunes, il y a très peu d’espaces pour s’engager.» Le traditionnel discours «trop jeune, trop tôt» leur barre souvent la route. «Il a fallu y aller au culot.» Et ça marche, des partenaires de choix rejoignent l’aventure: la maison Christie’s, l’étude d’avocats Froriep et la Fondation de bienfaisance du groupe Pictet, entre autres.
La fondation lance trois projets clés: un prix de maturité destiné, pour l’instant, aux élèves d’écoles privées, «plus enclines à prendre des risques», des bourses de stages professionnels pour étudiants issus de pays du Sud et un concours de photographie en collaboration avec la HEAD à Genève et l’ECAL à Lausanne. Pour payer ses factures, Keyvan travaille dans un fonds d’investissement responsable, puis, aujourd’hui à mi-temps, dans une société de conseil en entreprise au Landeron, près de Neuchâtel.
La photographie, un «langage universel»
Pourquoi la photo? «C’est un langage universel qui prend aux tripes.» De la migration à l’asile: cette seconde édition donne la possibilité à de jeunes artistes de s’exprimer. «Aujourd’hui, la surenchère de l’horreur nous a rendus indolores. Hier, c’était le petit Aylan, demain ce sera quoi? On veut justement éviter de tomber dans ces travers.» L’an dernier, le photographe Yann Gross avait été récompensé pour son travail sur la résistance indigène au Brésil et exposé à la galerie Art Bärtschi à Genève. Les inscriptions courent jusqu’au 30 septembre avec, à la clé, un prix de 10 000 francs. «Au-delà des start-up, il existe une autre manière de penser la solidarité», souffle encore le bénévole en chemise, une lueur dans les yeux.
Profil
1987: Naissance à Lausanne
2014: Création de la Fondation «Act On Your Future»
2015: Master en études du développement à la London School of Oriental and African Studies (SOAS)
2015: Première édition du Prix de photographie des droits humains
1er décembre 2016: remise de la 2e édition du Prix de photographie des droits humains, à la galerie Art Bärtschi & Cie, aux Acacias, Genève